Des collectifs de travail marqués par un meilleur équilibre entre l’individu et le groupe
Les managers se questionnent abondamment sur ce qu’il est nécessaire de mettre en place pour préserver la dynamique collective de leur équipe dans un contexte où leurs collaborateurs ont massivement recours au télétravail. Certains font preuve d’audace en organisant des apéros en visio, des « concours photo » ou, pour les plus geek des séquences « jeux vidéo » les vendredi après-midi. D’autres, plus pragmatiques, s’emparent des dernières technologies pour animer des séquences d’idéation à distance.
Toutes ces initiatives semblent rappeler la place centrale du collectif dans les entreprises. Mais au-delà des mots, qu’en est-il vraiment ?
Le télétravail, coupable idéal de l’éclatement des collectifs
On l’a dit et redit, la généralisation du travail à distance rompt l'unité de temps, de lieu et d'action qui fondait l'entreprise traditionnelle. Mais rien de nouveau à cet égard, cette rupture ayant déjà eu lieu depuis plus d’une vingtaine années, avec l'avènement de l'informatique dans les organisations conduisant les collaborateurs à s’écrire ou à se téléphoner alors même qu’ils ne se trouvaient éloignés que de quelques mètres au bureau. Ils travaillaient donc déjà comme s’ils se trouvaient à grande distance les uns des autres, permettant un travail multi site entre équipes réparties sur plusieurs villes et fuseaux horaires. Par ailleurs, les collectifs de travail avaient depuis longtemps été fragilisés. Ils n'ont pas attendu le télétravail massif pour être travaillés par des forces centrifuges. Cela fait des années en effet que les dispositifs de management de la performance valorisent davantage les contributions individuelles aux collectives, que le rythme de travail, souvent effréné, laisse de moins en moins de place à la coopération au sein des équipes.
Par conséquent, le télétravail n’est pas la cause de la dégradation des collectifs de travail, il ne fait que rendre leur dégradation sensible.
Ceci étant dit, on ne peut ignorer que le télétravail amplifie une telle dégradation. Il rend plus difficile l’émulation collective, l’effet d’entraînement des uns par les autres si important tant pour la motivation individuelle que pour l’innovation collective. Tout le monde fait l’expérience de la déperdition d’énergie collective résultant de la distance. C’est la raison pour laquelle le mode de travail privilégié est hybride, conjuguant distanciel et présentiel, selon des modalités variées.
Un réseau de télécollaborateurs plutôt qu’un collectif ?
Mais au-delà des discours convenus sur l’importance de l’entreprise « communauté humaine », en quoi la présence d’un véritable collectif de travail qui fait bloc est-elle vraiment nécessaire, économiquement, à la plupart des activités professionnelles ? La généralisation du travail à distance pose à nouveaux frais la question de savoir si une simple communauté d'intérêt ne pourrait pas suffire à développer le minimum d’esprit d’équipe requis pour assurer un travail bien coordonné, une communication fluide et une entraide ponctuelle entre les collaborateurs. Dans cette perspective, certes encore théorique, l’entreprise, à terme, pourrait même se contenter de solliciter des services de télécollaborateurs, coordonnés par quelque manager ou algorithme comme un réseau de journaliers freelances activables en fonction des besoins évolutifs de l'entreprise, pour accomplir de manière asynchrone les tâches sur lesquelles ils sont jugés les meilleurs.
Quelle que soit l'opinion que l’on se forme à ce sujet, dans l'une (nécessité de collectifs de travail fortement soudés) ou l'autre (équipes en réseau coordonnées à distance) de ces perspectives, une chose demeure : la nécessité d’améliorer la qualité du travail collaboratif pour pallier les inconvénients de la distance.
La distance, clé de lecture des organisations
Dans notre dernier livre, nous relevons que l’un des mérites de la récente généralisation du télétravail est de mettre en valeur l’importance de la question de la distance dans l’organisation du travail. Il révèle en particulier que nos entreprises sont, de longue date, touchées par deux maux contraires : soit une hypertrophie de la distance, soit une atrophie de la distance.
Hypertrophie de la distance en ce sens que les collaborateurs ont été souvent éloignés les uns des autres par leur mise en concurrence, éloignés des centres de décisions par des pratiques managériales ne favorisant pas les approches participatives.
Atrophie de la distance, a contrario, en ceci que se trouve trop souvent nié le respect de l’autonomie de décision due à chaque collaborateur, le réduisant à n’être qu’un exécutant appliqué de directives, de normes et de procédures. Un management directif aussi bien qu’une bureaucratie galopante imposent une standardisation des comportements stérilisant la nécessaire intelligence situationnelle des acteurs.
Il faut d’urgence sortir d’un tel rapport pathologique au travail et réintroduire une vraie subsidiarité. Sortir les entreprises de ces deux excès inverses : soit une atrophie de la distance où l’application scrupuleuse des procédures conduit à l’abolition de toute innovation adaptative, soit une hypertrophie de la distance dans un télétravail mal accompagné où s’exténue la relation humaine. Le pire étant la conjugaison de ces deux maux dans la mise en place d’un télétravail qui amplifierait le micromanagement sourcilleux ultra-contrôlant et processé déjà observé en présentiel.
Face à la menace de dislocation des équipes que fait courir le travail à distance, le collectif ne disparaît pas mais se transforme. La distance physique entre les collaborateurs induit une plus grande distance psychologique entre eux comme à l’égard de leur employeur, développant l’indépendance d’esprit. Les relations interindividuelles étant plus libres et la parole libérée en visio, les collectifs sont moins soudés au sens d’une homogénéité faisant bloc (a-t-elle d’ailleurs vraiment existé ?). Ils n’en sont pas moins unis, d’une union respectueuse des différences, pour autant que l’on sache y injecter d’autant plus de sens. Un sens critique faisant davantage droit à l’expression de désaccords. C’est ainsi que pourront renaître des collectifs de travail marqués par un meilleur équilibre entre l’individu et le groupe auquel il contribue.
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