À quel personnage de Disney vous identifiez-vous ? Que faites-vous mieux que 95% des gens ? Évaluez le nombre de balles de ping-pong qui peuvent rentrer dans cette pièce. Si vos amis écrivaient votre biographie, quel en serait le titre ? Racontez-moi une histoire drôle.

Voilà quelques exemples de questions « pièges » ou du moins originales [1] posées par des entreprises telles qu’Alan Allman, AssessFirst, Disneyland Paris, Embisphere ou bien encore Leroy Merlin lors de leurs entretiens de recrutement.

Si ces questions peuvent prêter à sourire et être perçues comme « fun », qu’en est-il au juste de leur utilité ? Apportent-elles une valeur particulière au processus de recrutement ? Et surtout doivent-elles être un passage obligé de tout entretien de recrutement ?

L’objectif assigné aux questions pièges

Tout d’abord, pourquoi certains acteurs du recrutement recourent-ils aux questions pièges ?

Certains recruteurs estiment utile, pertinent et nécessaire de poser des questions pièges pour sortir des sentiers battus et évaluer de manière plus fine les compétences des candidats, leur capacité de raisonnement leur adaptabilité ou bien encore leur sens logique.

Ils pensent qu’en sortant les candidats de leur zone de confort ils vont pouvoir mieux évaluer leur sens de la répartie, leur vivacité intellectuelle, leur audace ou bien encore leur créativité.

Car, bien évidemment, le but de ce genre de question n’est pas d’évaluer la pertinence ou bien la justesse en elle-même de la réponse apportée mais bien d’évaluer la réaction du candidat à savoir s’il est désarçonné, s’il garde son sang-froid, s’il fait preuve d’humour, de répartie, d’aplomb, de créativité ou bien encore d’une logique à toute épreuve…

L’utilité concrète des questions pièges

Pour ma part, j’estime que ce genre de questions permet seulement d’évaluer la capacité des candidats à répondre à des questions décalées voire déstabilisantes et à improviser et faire preuve de répartie. Si cette compétence est un critère essentiel identifié pour le poste à pourvoir, pourquoi pas ne pas y recourir…

Mais force et de constater qu’il s’agit d’une compétence fortement dispensable hormis, je vous l’accorde, pour un humoriste pratiquant le stand up, un animateur ou chroniqueur télé/radio exerçant dans les conditions périlleuses du direct…

Comme le démontre par l’absurde l’excellent sketch de Lolywood « La question piège » [2], il y a des candidats qui excellent dans ce type de « ping pong verbal ». Pour autant, leur réussite à cet exercice ne préfigure pas leur capacité à réussir de manière très opérationnelle et concrète dans leur futur poste. Ils ont beau avoir réussi à répondre à toute une batterie de questions alambiquées, il n’y a pas de garantie que cela ne fasse pas « pschitt » pour autant lorsqu’ils prendront leur fonction. Il n’est, en effet, pas prouvé que les questions pièges aient une réelle capacité à prédire la performance future d’un candidat recruté.

Google a longtemps été une entreprise emblématique des questions pièges et a même bâti une partie de sa réputation sur ses questions d’entretien de recrutement du type : Concevez un plan d’évacuation pour San Francisco », « Utilisez un langage de programmation pour décrire un poulet », « Si vous étiez un personnage de bd, qui seriez-vous et pourquoi ? » ou encore « Quelle est la plus belle équation que vous ayez jamais vue ? »

William Poundstone a ainsi écrit un livre sur le sujet intitulé « Etes-vous assez intelligent pour travailler chez Google ? » recensant quelques-unes des questions pièges, énigmes et casse-têtes posés par les recruteurs de Google.

Or, en 2013, Google a décidé d’arrêter purement et simplement les frais et d’abandonner les questions pièges.

Laszlo Bock, directeur adjoint des ressources humaines chez Google explique, en effet, au New York Times « Nous avons constaté que les casse-têtes sont une perte de temps totale » « Ils ne permettent pas de prédire quoi que ce soit. Ils permettent surtout à l’intervieweur de se sentir intelligent. » [3]

Evaluer un candidat à son maximum

Pour ma part, je suis contre les questions pièges car j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’y recourir pour sortir les candidats de leur zone de confort car dans les faits c’est clairement déjà le cas.

Il ne faut, en effet, pas perdre de vue que l’entretien de recrutement est "structurellement" un exercice déséquilibré et inégalitaire où le recruteur est manifestement « en position de force » puisqu’il joue en quelque sorte à domicile et sur son propre terrain.

Aussi inutile, selon moi, d'en rajouter sciemment en posant des questions pièges, atypiques ou décalées, peu importe le nom qu’on leur donne.

Je préfère, au contraire, essayer de mettre le candidat à l'aise car il me semble plus pertinent et sain de l’évaluer à son maximum plutôt que de tenter de le déstabiliser dans le pseudo-espoir de capter un moment de vérité.

Après, si le but recherché par le recruteur est de se faire une meilleure idée des « softskills » du candidat et de sortir des questions ultra convenues ou classiques d’un entretien non structuré, je lui conseille plutôt, en lieu et place des questions pièges, de recourir à des questions comportementales et situationnelles permettant au candidat de s’exprimer un maximum et au recruteur d’évaluer de manière moins théorique ses compétences.

C’est d’ailleurs le cheminement effectué par Google qui est aujourd’hui une entreprise fervente partisane des entretiens structurés. [4]

Ne pas perdre de vue l’expérience candidat !

Enfin, en termes d’expérience candidat, je déconseille vivement la déstabilisation délibérée des candidats.

Il me semble, en effet, plus judicieux d’utiliser le temps de l’entretien pour évaluer au mieux les compétences des candidats et pour leur « vendre » notre structure et leur donner envie de nous rejoindre.

A l’heure où la guerre des talents fait rage et où plus de 51% des recrutements sont jugés difficiles en 2020 selon une étude de Pôle Emploi, recourir à ce genre de technique me semble à tout le moins « suicidaire ».

Et puis, soyons honnêtes et réalistes, toutes les organisations n’ont pas le même pouvoir d’attraction que les GAFAM… et ne croulent pas sous les candidatures et sollicitations des candidats.

Conclusion

Pour ma part, vous l’aurez compris, je ne suis pas une grande fan des questions pièges et n’en pose jamais en entretien.

J’estime que leur utilité est très limitée, qu’elles m’apprennent peu de choses réellement sur le candidat et qu’elles ne me permettent pas de sélectionner de manière plus éclairée et pertinente un candidat. Au lieu de déstabiliser les candidats, je m’efforce, au contraire, de les mettre à l’aise afin de leur permettre d’exprimer leur plein potentiel et de les évaluer à leur maximum.

Il s’avère que je suis loin d’être une exception puisque selon une étude de Régionsjob, 73% des recruteurs ne posent jamais de questions pièges en entretien et 3% seulement le font systématiquement. Il n’y aurait donc pas de volonté systématique des recruteurs de piéger et de désarçonner les candidats…

Pourtant dans la même étude de Régionsjob, ce sont 44% des candidats qui déclarent qu’on leur pose bien des questions pièges en entretien ... Le décalage est bluffant ! Il faut croire que recruteurs et candidats ne partagent pas la même définition d’une « question piège ». La question piège des uns n’est pas celle des autres …

PS : Petit conseil aux candidats confrontés à une question piège : ne stressez pas, gardez votre sang froid et rappelez-vous que le recruteur ne vous jugera pas tant sur la réponse en elle-même que sur votre réaction, votre raisonnement et votre manière de restituer ce dernier de manière claire, concise et intelligible. Evitez à tout prix de répondre « je ne sais pas » et si vous en êtes capable, jouez la carte de l’humour !
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Références

[1] Entretien De Recrutement : Sauriez-Vous Répondre A Ces Questions Pièges ? | Jean-Jacques Manceau

[2] Sketch de Lolywood « La question piège »

[3] In Head-Hunting, Big Data May Not Be Such a Big Deal

[4] https://rework.withgoogle.com/guides/hiring-use-structured-interviewing/steps/introduction/

[5] Enquête : le recrutement et la recherche d'emploi en 2019

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