En améliorant son savoir-faire, on développe son savoir -Y- faire

Un professionnel « agit en situation », c’est-à-dire dans un espace commun habité par plusieurs protagonistes ; il doit tenir compte des autres intervenants (collègue, hiérarchie, usager, client, fournisseur …) et des caractéristiques de la situation de travail ; par conséquent il développe des compétences horizontales ou « transversales*» de nature à garantir l’efficacité de son action. Il s’adapte, il met donc en place des « artifices » pour ajuster son action à la situation, pour réguler son intervention en association avec les autres. La dimension collective est ainsi valorisée ; les compétences sociales et humaines qui deviennent aujourd’hui des facteurs clés du professionnalisme sont considérées comme des compétences horizontales permettant de consolider et de valoriser les compétences verticales - l’expertise technique. Par exemple, que vaudrait les compétences d’un super technicien en football si ce dernier ne s’inscrivait pas dans les plans de l’entraîneur ou s’il n’adhérait pas à l’esprit de son équipe, s’il ne partageait pas le projet collectif. Pour être compétent, il s’agit de bien comprendre son rôle, ce qu’on attend de nous dans chaque situation : percevoir les attentes, les vécus des autres personnes impliquées, anticiper leurs réactions probables. La sociologie des organisations propose d’analyser la situation de travail comme un système d’action concret* où chacun des acteurs en interaction avec son environnement joue un rôle en fonction de sa propre stratégie et du regard qu’il porte sur la situation.

La compétence c’est résoudre une situation problématique

La situation est dite problématique* lorsqu’elle représente une difficulté à surmonter ; l’appréhension et la compréhension précèdent l’action. Lorsqu’une situation vécue s’impose à nous comme problème, cela nous invite à l’appréhender, à la comprendre avant de l’intégrer. Par exemple, le maçon devant l’affaissement d’un mur va s’interroger, mener une investigation, proposer et négocier des aménagements avec le propriétaire de la maison. Si l’action à mener ne pose pas de problème particulier à résoudre, ne présente aucune difficulté, elle ne peut être considérée comme compétence, même si elle conserve un statut de « tâche » à exécuter en fonction d’une prescription. Il faut que la situation apparaisse suffisamment difficile ou qu’elle présente un enjeu aux yeux de la personne, pour mettre sous tension cette dernière. Pour Philippe Mérieu*, il s’agit de « repérer l’obstacle dont le franchissement permettra d’effectuer un progrès décisif ». Développer une compétence nécessite de faire le lien entre ses capacités personnelles et les caractéristiques de la situation. L’instabilité ou la frustration agissent comme un stimulus qui a pour effet de créer le potentiel d’action : c’est là que naissent les petites aspérités qui mobilisent l’attention, qui nous mettent sous-tension et relancent l’intérêt et le désir. La bonne compréhension que l’on a de la situation à un moment donné permet de se faire une idée, une représentation, d’élargir son horizon qui devient alors porteur de potentialités.

Une mise en confiance : La conscience change notre vécu de la situation

Le potentiel d’action s’explique par le changement perçu à partir de notre situation actuelle ; nous orientons notre conscience vers une « intention » ; ensuite, notre vécu se clarifie après le délai nécessaire à la décantation, à condition de prendre le temps d’accommoder, de réfléchir. Un peu comme un vendeur qui, plutôt que dérouler son argumentaire, prend le temps de découvrir la situation personnelle et professionnelle de son client ; s’il lui porte une attention sincère, s’il personnalise la relation, il accroît ses chances de convaincre. Federico Fellini avait ce commentaire pour expliquer sa compétence de réalisateur : « Pour moi, partir d’une idée bien définie, claire, complète et ensuite la réaliser, ce serait une méthode fausse, dangereuse. Je ne dois pas savoir ce que je ferai. Je ne trouve de ressources que lorsque je me retrouve plongé dans l’obscurité et l’ignorance ».

Cependant, cela suppose d’avoir acquis une certaine assurance, de la confiance. Sans quoi la personne se sent mal à l’aise devant l’incertitude, la remise en question, les possibles conflits d’intérêts en jeu, elle ne voit pas « de jeu » suffisant face aux enjeux de la situation et ne peut donc se représenter les marges de manœuvre qu’elle a pour modifier les modalités de son travail. Le jeune vendeur et le maçon peu expérimenté voudront rapidement se reporter aux techniques qu’ils ont acquises, appliquer les « recettes » qu’ils ont éprouvées dans d’autres situations. Parce que le changement de comportement n’est pas naturel : fidèles à leurs croyances, à leurs mythes, beaucoup de gens éprouvent des difficultés à changer leurs habitudes, à remettre en cause leur façon de faire, ils se maintiennent dans une situation connue et faussement sécurisante. Comme l’écrit Henry Mintzberg*, « l’individu n’a aucune tendance spontanée à s’extraire de sa zone de confort, car nombre de compétences comportementales reposent sur de fausses croyances à déconstruire. ».

Une mise sous tension : Il faut que les impressions soient vives pour que l’esprit vive

Le potentiel s’explique précisément par la confrontation entre la situation désirée - ce que je veux faire - et la situation actuelle - ce que je sais faire ; la dynamique de compétence suppose une tension qui agit sensiblement sur notre représentation ; pour apprendre efficacement, on ne peut se passer de l’appréhension, cette phase de doute et d’inquiétude, inhérente à l’effort de compréhension. La dissonance cognitive s’exprime lorsqu’apparaît cette tension interne chez une personne qui agit en contradiction avec ses idées actuelles, ses croyances. Elle devra donc mettre en œuvre des stratégies d’apprentissage visant à faire évoluer son système de pensée pour retrouver un équilibre cognitif ; ce qui implique fréquemment du stress qui est le signe que de nouvelles représentations s’installent, que les ressources de la personne s’articulent de manière différente pour permettre à celle-ci d’autres possibilités d’action. La tension est indispensable pour progresser ; à une actrice qui affirmait ne pas avoir le trac avant de monter en scène, Louis Jouvet répondait : « Ne vous inquiétez pas, il viendra avec le talent ».

Dans le cas où il est rassuré, où il est mis en confiance par une personne bienveillante, l’énergie du professionnel est décuplée et son pronostic de réussite élevé. La prise de conscience de l’écart et la perception par l’intéressé d’une évolution des données de l’environnement amènent celui-ci à s’interroger sur ses pratiques actuelles ; cette remise en cause, source de stress, favorise l’ouverture d’esprit nécessaire à la transformation. La réflexion que doit opérer la personne sur son activité, ce que l’on nomme métacognition, est une condition nécessaire pour qualifier l’action de compétence.

Les compétences horizontales (soft skills) requièrent moins d’énergie et davantage de synergie.

Plutôt que démultiplier son énergie, l’individu compétent s’interroge et recherche des synergies pour atteindre son objectif ; il est davantage dans la stratégie, moins dans la réaction, davantage sensible au jeu des forces moins dans le rapport de force. Par exemple, le potentiel d’action et de réussite de notre vendeur dépend du potentiel de jeu qu’il possède dans les différentes situations commerciales. La compétence est donc le produit artificiel d’un système de travail complexe où l’action conduite par une personne à partir de ses savoir-faire - compétences techniques - va être influencée par les relations que celle-ci établit avec ses co-acteurs, son environnement humain - compétences relationnelles - et va être guidée par la représentation qu’elle a des enjeux de la situation ainsi que la perception qu’elle a de ses intérêts - compétences stratégiques. L’espace dans lequel s’exerce la compétence est aussi occupé par les autres ; il faut se confronter à leurs désirs, négocier parfois avec les esprits dominants, « prendre sa place » à leur côté. En interrogeant son savoir-faire, la personne développe son « savoir y faire ».

La compétence n’est pas naturelle, elle est le produit d’une construction personnelle et sociale mariant apprentissages théoriques et expérience. Parce qu’il y a plusieurs manières d’habiter une compétence, notre façon de faire actuelle est la base à partir de laquelle nous nous développons ; la compétence est donc une « épreuve expérientielle » où nous ré-évaluons sans cesse notre rapport aux différents éléments de la situation problématique.

La compétence est toujours singulière car elle recouvre la capacité de l’individu à établir le rapport approprié avec son environnement professionnel et à intégrer les spécificités de la situation. L’état d’esprit devient central ; le recruteur va rechercher une personne qui n’est plus « le sachant » qui seul maîtrise l’ensemble des techniques du métier mais celui qui, en capacité de coconstruire une réponse adaptée à chaque spécification, associe des partenaires dans un collectif de travail. Nous pensons notre action à partir de notre culture, nous construisons nos compétences dans un jeu d’acteurs.
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Un système d'action concret* est un ensemble de jeux structurés et d’ajustements permanents entre des acteurs interdépendants, dont les intérêts peuvent être divergents voire contradictoires. Ces acteurs forment un ensemble où se développent des stratégies particulières. Un système d’action concret est un concept sociologique, développé par Michel Crozier et Erhard Friedberg. Source Wikipédia

Compétences horizontales ou transversales* : Compétences durables et transférables - Clés pour l'employabilité Auteur(s) : Jean-Marie Dujardin éditeur(s) : De Boeck Paru le : 05/04/2013

Problématique* : « Ce qui vient avant plan » (Etymologie du mot problème)

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