Sortir des artifices pour refonder les politiques managériales

Si la crise sanitaire a remis au centre du débat et de l’intérêt des entreprises la question du management des équipes, la thématique n’est pas nouvelle.

De nombreuses organisations avaient, depuis une à deux décennies effectué ce travail de définition des valeurs qu’elles souhaitaient incarner auprès de leurs collaborateurs. Ces mêmes organisations avaient aussi travaillé les pratiques et méthodes managériales qu’elles souhaitaient promouvoir. Aussi, il est rare de nos jours d’intégrer un grand groupe, une entreprise moyenne ou même une start-up sur une fonction de middle-management sans passer par un parcours de formation managérial propre à la structure. Ce parcours de formation se déroulant généralement au moment de la prise de fonctions, il vise deux objectifs principaux :

  • Permettre à la nouvelle recrue d’entamer le processus d’acculturation par lequel elle s’appropriera tous les codes d’appartenance et éléments de langages de sa nouvelle entreprise et qu’elle devra elle-même décliner auprès de ses équipes,
  • Et permettre au nouveau manager de se former à tous les rituels de management d’équipe qui rythment la vie de l’entreprise.
  1. Qu’appelle-t-on les rituels de management d’équipe ?

Les rituels managériaux sont des moments d’échange et/ou d’animation, qui peuvent être collectifs et/ou individuels, se déroulant selon une certaine fréquence et au cours desquels le manager répond aux besoins de l’équipe en vue de servir sa performance.

Il peut s’agir :

  • De revues de performance qui vont répondre aux besoins opérationnels ou de formation,
  • D’animations permettant de donner du sens aux actions ou encore de fédérer et rassurer en temps de crise,
  • D’entretiens d’encadrement qui permettent de faire vivre le cadre de travail et de réguler les comportements.
  1. Rituels et artifices managériaux, de quoi parle-t-on ?

Ce sont de prétendus rituels de management, qui sous couvert de vouloir à tout prix créer de la convivialité au travail, non seulement ne répondent pas aux réels besoins des salariés et des managers, mais finissent par générer du stress. Parmi les causes de ce stress on retrouve le fait que le rituel n’ait pas de sens, qu’il expose le manager en le mettant dans une situation ambiguë, ou encore le fait qu’il soit chronophage à une époque ou managers et collaborateurs sont à bout de ressources.

Ces rituels factices servent également de poudre aux yeux à certains managers défaillants, qui les utilisent à outrance et n’assurent pas l’essentiel de leur mission, c’est à dire un suivi de l’activité, en donnant des consignes et des objectifs clairs, en donnant du sens, du feed-back et tout ce qui relève de la gestion d’une équipe.

  1. Artifices managériaux : quelles conséquences sur les équipes ?

Des collaborateurs qui sont, au mieux, mal à l’aise au pire défiants, des managers qui sont réfractaires et une collaboration qui s’en trouve menacée.

Voici trois exemples de situations récentes, tirées du terrain et qui illustrent cette problématique.

Notre premier exemple est celui de Yasmine. Elle est assistante Cheffe de projet dans un groupe de cosmétique dont les équipes sont soumises à beaucoup de pression depuis la pandémie, du fait d’une forte baisse d’activité. Il a été annoncé qu’elles allaient pouvoir passer le test de personnalité MBTI* et pouvoir bénéficier d’un feedback personnalisé. L’annonce a été faite dix jours avant Noël, en période de clôture budget durant laquelle les équipes déconnectaient rarement avant 21 ou 22h. Le message qui avait été passé par le manager vis-à-vis de ce test était : « Sentez-vous libres de ne pas le faire si vous ne le souhaitez pas ». En l’occurrence, Yasmine, entrée dans le groupe depuis peu, intégrée en télétravail, ayant peu travaillé physiquement avec ses collègues, souffrant d’un manque de lien avec eux qui affecte la réalisation de ses missions, a surtout senti que si elle ne le faisait pas, son intégration déjà fragile pourrait être remise en cause. Pourtant, elle, tout comme ses collègues, a joué le jeu et a réalisé le test qui avait été mis en ligne. Les équipes n’ont, à ce jour, reçu aucun retour sur leurs résultats à ce test, si ce n’est une plaisanterie de leur manager leur annonçant qu’ils allaient servir à faire des matchings pour la tenue de l’arbre de Noel.

Notre deuxième exemple est celui de John, numéro deux d’un hôtel appartenant à un groupe international. Sa manager demande tous les matins aux collaborateurs de choisir une chose pour laquelle ils se sentent reconnaissants et d’exprimer cette reconnaissance à voix haute, devant l’ensemble de leurs collègues lors du briefing quotidien. Quelle que soit leur humeur, leur état d’esprit, le niveau d’activité de l’hôtel, ils doivent tous les matins se soumettre à cet exercice. Ils ont joué le jeu les premières semaines. Au cours de l’été 2020, l’activité ayant repris de façon très intense et face à la fatigue, beaucoup sont devenus reconnaissants pour la météo ou le menu de la cantine. John est même stressé en allant travailler le matin. Il anticipe ce moment et se demande ce qu’il va pouvoir dire et comment cela sera perçu de sa manager et de ses collègues. Lors du deuxième confinement, la manager qui prenait une semaine de congés, a demandé à ses équipes d’appeler durant leur jour de repos, une personne dont ils n’avaient pas pris de nouvelles depuis longtemps afin de sentir combien cette personne leur avait manqué. Tant et si bien qu’à son retour de vacances, au moment du brief, lorsqu’elle a interrogé ses collaborateurs pour leur demander ce pourquoi ils étaient reconnaissants, l’un deux répondit : « Je suis reconnaissant d’avoir pu travailler une semaine en ton absence, sans être micro-managé ni ici, ni dans ma vie personnelle ». Dont acte.

Nous citerons en troisième exemple celui de Rémy, manager IT dans une entreprise du numérique au sein de laquelle on a demandé durant le premier confinement aux managers d’animer les briefs d’équipes en réalisant toutes les semaines, des challenges… Par exemple ? Celui du meilleur déguisement. Aujourd’hui certains managers de l’entreprise refusent de réaliser ces briefs et refusent de mettre en œuvre d’autres processus RH tel que celui qui relève de l’intégration des nouveaux salariés, parce qu’ils considèrent que ce qu’on leur a demandé de faire durant cette période pour animer leurs équipes relève du « Bullshit »**.

  1. Assurer l’essentiel

Nous vivons une période parfaitement inédite. Ainsi, plutôt que de chercher à trop innover, les entreprises ont tout intérêt à s’assurer que les managers disposent des ressources et des moyens qui leur permettent d’appliquer correctement et systématiquement les processus existants et les fondamentaux, et l’un de ces fondamentaux consiste à poser le cadre de travail.

Selon le Larousse, « encadrer » c’est « assurer auprès de personnes un rôle de direction, de formation ; mettre sous une autorité en constituant un ensemble hiérarchique »[1]. Lorsque l’on énonce cette définition auprès de professionnels en formation de managers, 10 à 30% de l’auditoire sursaute en entendant les mots « diriger », « autorité » et « hiérarchie ». Mais c’est confondre autorité et autoritarisme. Incarner l’autorité, c’est, être capable d’établir et de faire respecter des règles qui s’appuient sur des valeurs communes. Cela diffère de l’autoritarisme et s’avère indispensable pour piloter l’activité. Aussi indispensable que le fait de donner une direction. On ne peut en effet, avoir un management qui soit participatif qu’à la condition que chacun sache où il doit aller.

Le fait de poser le cadre de travail est d’autant plus fondamental actuellement car on observe que, si un management était défaillant dans une équipe avant la mise en place du travail à distance, le numérique aura un effet révélateur et amplificateur sur ces problématiques, au point même d’empêcher l’atteinte des objectifs. Un manager qui micro-manageait ses équipes risque d’aller vers l’excès de contrôle du fait de la distance, des collègues qui avaient du mal à se comprendre auront encore plus de mal à communiquer du fait de la perte des éléments de communication non-verbale, etc. Si chacun, en revanche se contraint à respecter en télétravail les mêmes règles qu’en présentiel, quitte à les adapter, collaborateurs comme managers pourront retrouver leurs repères autour du référentiel commun qui les unissaient dans la réalisation du travail.

Or, contraindre, ne veut pas dire restreindre. Le jeu, le sport, l’art, toutes les activités humaines, si créatives soient-elles obéissent à des codes et à des règles.

  1. Comment pose-t-on le cadre de travail ?

Il peut être fixé par le manager (ou la direction) ou co-construit avec les collaborateurs. Dans les structures où le climat organisationnel est sain, il sera préférable de le co-construire avec ses collaborateurs en s’appuyant sur les valeurs ou la mission de l’entreprise. Si par exemple, l’une des valeurs de l’entreprise est la responsabilité, il sera important de l’inscrire dans le cadre de travail comme une règle de conduite : « Je suis responsable », rédigée de manière claire et affirmative. Cette notion de responsabilité devra alors être déclinée en actes et attitudes qui devront être adoptés par l’ensemble des membres de l’équipe. On peut également indiquer dans le cadre des éléments de culture propres à l’organisation tels que les règles en matière de communication, « je tutoie mes collègues » ou « je salue tous les membres de mon équipe le matin ». Naturellement, le manager, lui aussi, en tant que membre à part entière de l’équipe se devra d’exprimer ce qui lui semble important dans la gestion quotidienne de son équipe. On retrouve par exemple très souvent dans les cadres managériaux la notion d’écoute, il convient donc de définir avec ses collaborateurs ce l’on entend par le fait d’être à l’écoute. En ces temps de travail distanciel, la perception d’être écouté et entendu de ses collègues revient souvent à « j’allume ma webcam lors que je suis en visioconférence ».

En revanche si le climat social est délétère et les relations d’équipe compliquées, il reviendra au manager, voire à la direction de fixer le cadre de travail, d’en donner le sens aux salariés et de leur exprimer clairement ce à quoi ils s’exposent s’ils ne le respectent pas. Dans tous les cas, que ce cadre soit fixé ou co-construit, le manager devra lui-même en respecter toutes les règles avec une exemplarité absolue.

Une fois rédigés, ces éléments seront affichés sur des tableaux ou des paper-baords physiques ou virtuels. A chaque nouveau recrutement, avant même de décider si oui ou non le candidat est retenu, il conviendra de lui présenter ces règles en lui indiquant que, s’il souhaite vous rejoindre, qu’il devra s’engager à les respecter et à les incarner. A titre d’exemple, l’une des règles les plus fréquemment inscrites dans les locaux de Google partout dans le monde est « Share knowledge », ou en français « je partage mon savoir ». Ainsi, toute personne qui entre chez Google doit comprendre que si elle possède une information, celle-ci doit être partagée au maximum et servir l’intérêt de l’entreprise et donc du client, et ne doit en aucun cas permettre à quelques-uns de se constituer une forme d’influence ou de pouvoir

Une fois formalisées, ces règles de vie, qui unissent votre collectif, doivent faire partie de vos éléments de langage quotidiens. Pour reprendre l’exemple de la responsabilité, si c’est une règle qui a été définie dans le cadre de travail, il incombera au manager lorsqu’il présentera les objectifs d’activité de rappeler à l’équipe que chacun est responsable de ses résultats, qu’il peut donc agir pour les atteindre. De même, si vous évaluez l’atteinte de ces mêmes objectifs, qu’ils n’ont pas été réalisés, que le collaborateur avance des arguments qui semblent être en réalité des excuses, rappelez-lui qu’il s’est engagé envers vous et envers ses collègues et qu’il est toujours responsable et donc en capacité d’agir sur ses résultats et que vous serez là pour l’accompagner.

Par ailleurs, le cadre de travail doit énumérer les comportements proscrits au sein de l’équipe, tricher, mentir, manipuler, et pour le manager, manager par la peur ou à la promesse par exemple.

Lorsque le cadre de travail est posé, connu de tous et respecté, s’il est vivant et que tous les membres de l’équipe se l’approprient, on peut alors créer, développer, co-développer, gamifier, improviser, piloter l’activité comme on le souhaite parce que ce qui fait sens pour le collectif est garanti.

Néanmoins, il conviendra de rester vigilant face à la gamification à outrance, qui répond à une évolution consumériste de notre société. Le travail se consomme, comme on consomme n’importe quel produit, à ce titre il ne peut être le lieu d’aucun ennui, ni frustration. Cela a pour conséquences d’épuiser les équipes RH qui s’évertuent à imaginer des processus qui soient « fun », alors même que ceux qui existent déjà ne sont pas totalement exploités. Il est donc conseillé de partir des processus existants, de s’assurer de leur bonne mise en œuvre et de leur efficience et d’intégrer, dans les objectifs annuels des managers, des indicateurs RH sur lesquels ils seront évalués et incentivés, au même titre que tout autre objectif d’activité.

* MBTI : Myers-Briggs Type Indicator ou test des 16 personnalités

** « Conneries »


[1] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/encadrer/29067

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