Les commentaires se sont multipliés après l’éviction d’Emmanuel Faber de la Direction de Danone. Certains ont voulu y voir une démonstration de l’incompatibilité de l’intérêt de l’actionnaire et d’une approche responsable sur les enjeux RH et sociétaux. Selon eux, la nécessité pour l’entreprise de maximiser son profit ne doit pas s’encombrer d’autres considérations, sociales ou sociétales.
Une conception encore dominante
Dans la conception de l’entreprise théorisée par Milton Friedman, la recherche de profit ne peut en aucun cas être obérée par quelque autre dimension. Avec cette seule approche, les entreprises s’inscrivent dans des logiques autocentrées, en faisant assumer par la collectivité les « externalités négatives » qu’elles produisent. Un tel phénomène existe lorsque l’activité de l’entreprise nuit à une tierce partie, notamment à travers les coûts sociaux ou environnementaux générés.
Les fonds activistes poussent à l’extrême la promotion de cette approche, du fait de la temporalité très court terme des retours sur investissement qu’ils attendent. Un groupe comme Pernod Ricard a par exemple eu à s’en défendre il y a deux ans.
Dans cette optique, l’approche des RH est simple : le facteur humain est un coût et une contrainte qu’il est nécessaire de minimiser. Peu importe l’employabilité des collaborateurs ou leur engagement, puisqu’en maximisant la flexibilité, il sera possible d’acquérir et de se séparer facilement de cette ressource, la collectivité assumant les conséquences de ces choix.
L’approche alternative
Une approche alternative s’est progressivement diffusée dans le discours de certaines entreprises et parfois dans leurs actes, avec une volonté de performance durable. En aucun cas, elle ne signifie un renoncement au profit. Mais elle considère que les intérêts de toutes les parties doivent être pris en compte pour que ce profit soit garanti à court terme, mais aussi à moyen et long termes. Une telle approche contribue à la pérennité de l’entreprise qui traite ainsi le risque d’être mise en cause, voire rejetée par les acteurs de son environnement, en premier lieu par ses clients.
Le regard de l’entreprise sur le facteur humain n’est alors plus le même. Dans cette vision, c’est en investissant de manière choisie sur telle ou telle dimension des RH utile au business que l’entreprise créera de la valeur et générera du profit. Non pas en recherchant un « mieux-disant social » qui reviendrait toujours considérer les dépenses de personnel comme des coûts, mais en ciblant là où les investissements RH permettront d’accroître le chiffre d’affaires et le résultat.
Cette approche ne remet nullement en cause notre modèle économique. Elle tente d’inventer une nouvelle forme de capitalisme et une autre voie pour générer des résultats. Il n’y a pas renoncement au profit, mais identification d’un chemin différent pour le générer. Quand en août 2019, les PDG de 181 entreprises du Business Roundtable publient un manifeste affirmant leur volonté de diriger leurs organisations au bénéfice de l’ensemble des parties prenantes, et notamment d’investir dans leurs employés, ils ne visent pas la destruction du système, mais bien sa pérennité.
La loi PACTE
Le statut d’entreprise à mission, créé par la loi PACTE, n’est donc en aucun cas à l’origine de cette approche alternative. S’il permet désormais aux organisations qui le souhaitent de disposer d’un outil supplémentaire, il ne résume bien évidemment pas l’ensemble de l’approche.
Nombreuses sont les entreprises qui n’ont pas eu besoin de cet instrument pour s’interroger sur leur impact et leur utilité sociétale, raison d’être ou mission. Procéder à cet exercice de clarification permet non seulement de disposer d’un levier d’une très grande puissance en termes d’engagement affectif des collaborateurs, mais aussi d’une « boussole stratégique » pour procéder aux arbitrages majeurs en matière de business.
L’histoire de Danone
Ceux qui font remonter le caractère atypique de l’approche de Danone à l’arrivée d’Emmanuel Faber à sa tête ont la mémoire courte. Dès les années 70, l’entreprise déployait son « double projet économique et social », basé sur une conviction : la possibilité de réconcilier l’économique et l’humain. Les décisions de l’entreprise devaient lui permettre de capitaliser sur le potentiel que porte le facteur humain et d’en faire ainsi le moteur de l’économique.
La définition par Danone dans les années 80 d’une raison d’être, « Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », a ensuite conduit le groupe à transformer son impact sur la Société en se séparant de ses branches bière et biscuiterie et en investissant dans l’alimentation infantile.
Durant cette période, Danone a constitué la référence ultime, la démonstration par la preuve qu’il était possible de développer le chiffre d’affaires et le résultat de l’entreprise en investissant en RH. Dans les décennies qui ont suivi, les décisions de l’entreprise ont été alignées sur cette conception. Certains ont néanmoins pu considérer que depuis une ou deux décennies, même si le discours avait été prolongé, Danone relevait plutôt de « l’étoile éteinte. »
L’analyse de la gouvernance Faber
Le départ d’Emmanuel Faber a été généré par les résultats économiques insuffisants de Danone. En 2019, l’entreprise avait été la première société cotée à adopter le cadre juridique d’Entreprise à Mission. Mais cette décision n’a entraîné aucune inflexion dans les choix business faits ensuite par l’entreprise. Elle ne peut donc en rien être tenue pour responsable des résultats décevants de l’entreprise.
L’honnêteté oblige d’ailleurs à rappeler que parmi les entreprises du même secteur auxquels les résultats de Danone sont comparés à son désavantage, figure au premier rang le groupe Unilever, largement reconnu par ses réalisations en matière de développement durable.
La tentative d’instrumentaliser le départ d’Emmanuel Faber en l’analysant comme une preuve de l’absence d’alternative à un modèle autocentré ne saurait occulter les faits : l’adaptation de notre modèle économique est inéluctable au regard des transformations de la Société dans lequel il s’inscrit. D’autant que les professionnels RH vivent au quotidien une réalité : le contenu du travail a connu une mutation sans précédent durant les dernières décennies et le facteur humain constitue désormais le premier levier potentiel de création de valeur.
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