Paresseux et économe comme un cerveau

Nous remettons notre vie entre ses mains. Pour la conduite de nos carrières et de nos relations, nous nous reposons sur lui. Nous sommes d'ailleurs globalement assez fiers de ses performances ! Après tout, n'est-ce pas lui qui nous a permis de partir sur la lune ? Il a toute notre confiance pour prendre des décisions, juger les gens, résoudre un problème, mémoriser des situations, tenir des raisonnements ...

Nous lui demandons beaucoup, et il a l'habitude : nous fonctionnons comme ça depuis la nuit des temps. Il a compris le truc ! Pour assurer le plus vite possible en toutes circonstances, il a la solution : travailler à la louche. Le cerveau prend des raccourcis mentaux, il dévie même parfois ! Fin stratège, il s'économise et ne réinvente pas la roue tous les jours ! A quoi bon ? Trop fatiguant, trop coûteux en énergie ... déjà qu'il est l'organe le plus vorace de notre organisme, consommant à lui tout seul 20% des calories que nous ingérons ...

Heuristique de pensées, biais cognitifs, distorsions, généralisations et approximations en tous genre, voilà son quotidien. Et le nôtre par conséquent ! Ne cherchez pas plus loin la raison des mauvaises décisions ou des chicaneries relationnelles qui nous gâchent l'existence. Et ne faites par l'erreur de penser que vous n'êtes pas concerné, car nous le sommes tous !

Piégés par nos ornières dans la matière grise

La liste de nos raisonnements erronés (et automatiques) est très très longue : c'est un annuaire haut en couleurs qui nous tend les bras. Voici une petite sélection personnelle :

  • Biais de confirmation: C'est le plus connu des biais cognitifs, et le plus décrié : nous croyons ce que nous voulons croire, parce que cela nous arrange de maintenir le statu-quo. Pour rester dans le confort de nos croyances et de nos préjugés, nous sélectionnons les informations qui nous confortent, et nous sous-estimons les faits. C'est une partialité installée, d'autant plus marquée que nos émotions sont fortes autour du sujet concerné, et que changer de croyance nous amènerait à devoir modifier notre mode de vie pour rester cohérents.
  • Biais d'optimisme : c'est une illusion sur soi-même ou sur le monde, qui nous amène à attendre plus d'événements positifs que négatifs, ou à nous surévaluer dans notre comparaison avec les autres. Nous en trouvons un exemple dans le fait que la plupart des conducteurs se croient meilleurs que la moyenne.
  • Effet de halo : Autre perception sélective des situations, elle nous pousse à porter un jugement global positif à partir d'une première impression positive ou d'une caractéristique spécifique. C'est la difficulté pour nous de distinguer un élément d'une situation (ou d'une personne) sans englober le tout.
  • Effet Dunning-Kruger: Comportement de sur-confiance par lequel les moins qualifiés dans un domaine surestiment leur compétence. Ainsi, la personne incompétente ne voit pas son incompétence, et, plus grave encore, elle est incapable de reconnaître la compétence de ceux qui le sont véritablement.

Comment mettre des garde-fous à nos raisonnements ?

L'art de ne pas se laisser rouler dans la farine pourrait passer par quelques astuces :

  • Penser contre soi : « Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit » disait Alain. Nos croyances, nos intuitions, nos préjugés ou le bon sens ont souvent tort. Se défier de ce qui nous paraît évident, se faire moins confiance, en d'autres termes : se questionner sur « comment et pourquoi je pense ce que je pense, ou je crois ce que je crois ». Autant que possible, être critique de nos propres idées qui « campent paresseusement dans notre boîte crânienne », selon la belle formule d'Etienne Klein.
  • Opter pour l'intelligence collective : recourir à des analyses complémentaires nous permet de contourner nos propres limites. Idéalement, en faisant appel à une personne totalement extérieure, car il existe bien entendu des biais collectifs et des effets de groupe. Solliciter le regard d'une personne qui découvre nos dossiers avec un œil neuf, dépassionné, est souvent un bon investissement de notre temps.
  • Aimer les personnes contrariantes et franches : Il est bien utile d'avoir un « Fou du Roi », cette personne non-conformiste qui va oser nous dire ce que nous ne voulons pas entendre ou pas voir. Encourageons nos proches à la franchise et à l'assertivité, puis prenons au sérieux le feedback qui nous est offert. Une petite claque égotique vaut mieux qu'un grand choc opérationnel.
  • Sortir régulièrement de notre champ de compétence : prendre l'air mentalement, quitter nos habitudes, découvrir de nouvelles disciplines nous permet de tenir des raisonnements transversaux qui peuvent nous amener à des « moments Euréka ». Pourquoi s'en priver ? Apprendre et pratiquer dans des domaines variés est non seulement amusant, mais aussi excellent pour notre QI !
  • Bouger son corps : Nous pensons avec l'ensemble de notre corps, et pas seulement avec notre tête. L'activité physique en stimulant notre cerveau, booste nos performances, notre mémoire et notre créativité ... sans même parler de l'amélioration de l'humeur et de la confiance en soi !

Et ce faisant, nous devenons alors un peu membres de l’école péripatéticienne, telle que conçue par Aristote, qui enseignait en marchant avec ses élèves.

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