1. Pourquoi la QVT ?
Le concept de qualité de vie au travail est apparu dans les dernières années et s'est rapidement imposé comme une nécessité pour toutes les entreprises. Ce besoin accru de reconnaissance de la notion même de qualité associée au travail est dissocié de celle de productivité et la conséquence naturelle de la progression de nos sociétés. Les travailleurs ne sont pas uniquement des personnes productives mais également des personnes conscientes reconnues pour ce qu'elles font et prenant plaisir au travail au quotidien. D’ailleurs, rappelons que l'origine du mot travail « Trepalium » vient du latin et voulait dire souffrir ou torture. Le travail moderne consiste donc à sortir de cette torture pour aller au contraire vers du plaisir, à la qualité de vie associée à un travail épanouissant. Il s’agit du rêve de tout salarié aujourd'hui dans le monde où qu'il soit. Où qu'il soit ? Eh oui, le télétravail est venu percuter cette belle histoire de qualité de vie au travail qui se mettait en place. Les RH avaient mis en place tout un tas de dispositifs adaptés qui se retrouvent malheureusement aujourd’hui inadaptés à la situation du télétravail. Je pense évidemment principalement aux grands aménagements des locaux de ces dernières années.
2. Pourquoi le télétravail chamboule la QVT ?
Le télétravail est une ancienne tendance qui consiste tout simplement à profiter des moyens du numérique pour travailler tout étant à distance de son entreprise. La question de la qualité de vie est totalement chamboulée par le télétravail et cela pour deux raisons. La première est tout simplement le fait que le télétravail d’aujourd'hui, dans le cas de la pandémie que nous traversons, n'est pas toujours choisi mais forcé. Or il est difficile de trouver du plaisir dans un contexte qui nous a été imposé. Le deuxième point est que les mécanismes même de qualité de vie au travail qui avaient été mis en place par les RH ont été stoppés nets. Les dispositifs mis en place par les RH dans le but que les collaborateurs se sentent mieux au quotidien sont devenus inutiles ou inaccessibles. Les aménagements des espaces et les différentes activités qui pourraient associer le travail à la bienveillance des managers se trouvent tout d'un coup sapées à la base par le télétravail. À la maison, pas de salle de sport, pas de moment de détente. A la maison pas de masseur, ni de baby-foot. Pire encore : les managers en télétravail (on y reviendra plus loin) se sentent dépossédés et reviennent à des mécanismes archaïques de management basés sur le stress. Moins de bienveillance pour au contraire revenir à des réactions dépassées vis-à-vis du salarié. Une situation donc clairement… compliquée.
3. On est dans une impasse ?
Alors on peut imaginer que nous sommes dans une impasse et que le télétravail est une forme qui nécessairement amène à moins de qualité au travail. À cela je réponds non. La résignation consiste à avoir des habitudes et, d'une certaine manière, il nous faut réimaginer un monde différent avec d'autres règles et d'autres moyens afin d’atteindre ce plaisir au travail. Et cela malgré tous les effets que le télétravail induit y compris les effets négatifs. La « visio fatigue », en est un parfait exemple : le fait d'être fatigué des visioconférences à longueur de journée et qui diminue la qualité de vie au travail.
Nous avons progressé sur la question de la qualité de vie au travail dans les bureaux, les open-spaces et la façon dont les gens pouvaient circuler dans des espaces de plus en plus ouverts. La même question se pose aujourd'hui pour le télétravail. L'impasse se trouve justement dans la sidération d'avoir à se reposer des questions aussi fondamentales : Comment je travaille ? Quel est mon environnement ?
Effectivement, faire le deuil de tout un acquis est peut-être le plus difficile. Que tout ce qu'on avait construit dans le monde réel à travers la logique d'agencement spatial devient obsolète dans ce monde du télétravail. Et il est nécessaire de tout reprendre à zéro pour réinventer cette façon de travailler de manière positive.
4. Problème principal
Alors disons le directement. Le problème est comme souvent purement humain. C'est lui qui nous limite dans notre progression. Ce sont nos propres limites qui nous mettent en capacité ou en incapacité à réfléchir à cette nouvelle façon du travail et du plaisir associé. Nous allons voir que ce sont dans les trois grandes strates des organisations que sont : la direction, les managers et les salariés qu'il faut travailler pour tendre à nouveau vers une harmonie au niveau du télétravail.
4.1. La direction
À tout seigneur tout honneur : commençons donc par la direction. La peur ultime de la direction est d'une part de mettre l'entreprise en danger à travers une perte de productivité réelle ou imaginaire de toutes les personnes en télétravail. D'autre part, elle craint de se référer à d’anciennes habitudes de ne pas imaginer ce dispositif à travers la « télé ». La visio et le télétravail ramènent tous deux à la logique de la télévision qui consiste à ne pas tomber dans une espèce de clichés de clowneries ou d’émissions ridicules. Mais également parce que la qualité de vie au travail va être aussi le fait de relâcher le côté sérieux et de ne pas être en permanence dans un mode uniquement centré sur le travail. Le dernier point est le plus difficile pour la direction : accepter qu'il y ait des moments de décompression, y compris en télétravail, sans considérer que cela disqualifie le reste du dispositif pour autant
4.2. Les managers
Ensuite, le problème se pose également pour les managers qui subissent la pression de la direction pour obtenir des résultats. On leur demande de continuer à tenir des objectifs et ils n'ont donc de cesse d'imaginer la reprise de contrôle de leurs équipes alors même que cette reprise de contrôle à distance est un facteur justement de dégradation de la qualité de vie au travail. Il faut donc une forme de lâcher-prise complet mais qui est souvent le contraire de ce qu'on attend du manager par rapport à son travail : être justement celui qui suit de près ses équipes. C'est donc là qu’il faut trouver des nouvelles formes de management. Et ce n’est pas du tout simple pour les managers qui sont peut-être les plus en souffrance dans leurs postes : pas dans leur vie professionnelle de manière générale mais dans leur statut de manager spécifiquement.
4.3. Les salariés
Enfin, les salariés sont dans une situation où ils souhaitent le maintien du statuquo mais veulent également davantage d’évolution. Ils souhaitent être sécurisés mais veulent en même temps être autonomes… Les demandes deviennent multiples. Pourquoi ? Parce que tout le monde a perdu ses repères. On dit « les salariés » comme une généralité alors qu'en vérité, les cas sont très différents d’un salarié à l’autre. Nous allons avoir d’un côté du spectre des gens qui vont vivre cet éloignement de l'entreprise comme une chance d'avoir justement une reconnexion avec leur vie familiale, d'éviter les bouchons et donc, quelque part, un apport immédiat de qualité de vie au travail. Dans le même temps, nous allons avoir de l'autre côté du spectre des gens qui vont se sentir totalement désocialisés, qui vont se sentir perdu du fait de ne pas avoir leurs collègues près d’eux, de ne pas avoir leur rituel de la cantine du midi ou de la machine à café. Autant d’éléments qui constituent la socialisation pendant et après le travail.
Évidemment la vie serait trop simple si nous nous trouvions dans une posture ou une autre. La réalité c'est qu'on va osciller dans notre rythme circadien et, selon les semaines, nous allons tantôt vouloir davantage d’encadrements, tantôt davantage de libertés. Simplement, on ne peut pas toujours informer les autres de l’état dans lequel nous sommes. Cela crée en conséquence énormément d'incompréhension dans les relations qu'il peut y avoir entre les salariés mais également avec les managers.
Si on rajoute une petite dose de stress avec la pandémie, une très grosse dose de stress avec la diminution des chiffres d'affaires (et donc les risques associés), une grosse pression est mise sur les forces productives aujourd'hui dans les pays occidentaux.
Vous avez un cocktail explosif où la qualité de vie au travail qui avait été minutieusement construite est dynamitée par cette situation.
5. Les solutions pour la QVT en télétravail.
Alors, les solutions sont multiples et vont dépendre beaucoup de la culture, de la maturation mais également de l'état de votre entreprise et de sa taille. Il n'y a évidemment pas de réponse ultime à ces questions-là mais il existe par contre des postures et des types de comportements qui vont être soit vertueux, soit au contraire plutôt négatifs.
5.1. Solution 1 : Transposer
La première dimension est tout simplement de transposer ce qui se fait et fonctionne dans le monde « réel », (dans les locaux) et de l'emmener dans le digital (donc dans le cadre du télétravail). Puis, simplement voir si cela fonctionne. Rien de choquant à ça. C'est d'ailleurs ce que nous avons fait chez Jamespot par exemple avec les réunions : le fait de faire venir tous les collègues pour célébrer une victoire.
On va donc retrouver des mimétismes à la situation réelle. On ne peut plus faire d'ateliers sportifs ? Pas de problème, faisons une zumba collective devant un écran. On ne peut plus organiser un moment de détente ou de réflexion avec la pratique du théâtre par exemple ? Eh bien on va construire un atelier de type d'improvisation à travers les écrans !
Bref, le but est de transposer dans le digital moyennant quelques adaptations. C'est déjà un effort essentiel de penser en ces termes car on peut constater que beaucoup d'entreprises finissent par arrêter de croire qu'elles peuvent faire quelque chose sur ces éléments-là. Elles sont comme tétanisées. Elles ne transposent plus d’éléments positifs du monde réel au monde digital : ce qui est dramatique. Alors que si l’on prend conscience de cet état, on fabrique à nouveau du collectif. On prend un risque, effectivement, mais on avance !
5.2. Solution 2 : Dépasser.
La deuxième dimension consiste à dépasser cet état de fait pour aller plus loin. Reprenons l’exemple précédent. Se dire : « Ah très bien on va organiser cet atelier zumba mais en fait on s'aperçoit que ça ne fonctionne pas bien. La musique n’est pas agréable à écouter pour tout le monde mais on va dépasser cela en disant à chacun d’écouter sa propre musique tout en essayant de se coordonner avec le reste du groupe ».
On inverse le processus en essayant justement d'aller plus loin et de se donner comme objectif, à chaque fois, que les employés, les managers et toute l'entreprise s'améliorent.
Il faut alors considérer que l'étape réalisée est une table de transition. Il s’agit avant tout d’une mise en mouvement. Les humains ont une incroyable capacité de dépassement qui va être amenée par chacune des mises en mouvements propulsées par les RH autour de ces problématiques d'actualité. Vous allez voir que le corps social de l'entreprise et les managers tout comme les employés ont envie d'aller plus loin. C’est lent comme un courant, une marée, mais d’une force incroyable !
5.3. Solution 3 : Innover
Troisième dimension : innover. Innover ça veut dire être en rupture. Faire des choses qu'on n’aurai jamais faites sinon. Je vais vous donner un exemple simple. Jouer fait partie de la nature humaine. On reste toujours des grands enfants et chacun de nous joue presque jusqu’à la fin de sa vie. C’est un des traits de caractère de l’humain. Alors pourquoi ne pas penser l'entreprise comme un jeu ? En télétravail on peut faire par exemple ce jeu ou on demande à chacun d'aller chercher un objet d'une couleur précise (qui renvoie à la stratégie de l'entreprise, au logo, au produit…). C'est quelque chose qu'on n'aurait pas pu faire vraiment « dans la vraie vie ». Vous n’allez pas aller dans une salle de réunion avec 30 collaborateurs pour que chacun y trouve un objet : ça n’a pas de sens. Chez vous au contraire ça en a ! C'est même affectif et vous allez beaucoup rire, je peux vous le garantir. Voilà un exemple d’innovation. Amener dans l'entreprise quelque chose qui n'était pas possible avant et considérer que justement cette logique de télétravail nous permet de le faire.
Je vais vous donner un deuxième exemple. Le matin, si vous prenez une équipe de 10-15 personnes et si vous commencez à donner la parole à chacun d’entre eux, le tour de table va alors durer au moins 15 minutes. C’est long. Alors qu’en télétravail, pour connaître l'humeur de vos collaborateurs, vous pouvez très bien demander à travers les outils de visio et de chat que chacun mette, en même temps, un hashtag lié à son humeur (chez Jamespot, on appelle cela « l’humeur du matin ».) Vous créez ainsi un effet de synchronicité en quelques secondes. Tout le monde donne la même information au même moment. Dans le monde réel, ce n'est clairement pas possible. Imaginez si tout le monde se met à crier en même temps !
De plus, si l'animateur est suffisamment malin, il peut rebondir sur les hashtags pour lancer la journée et, en moins de 15 à 20 secondes, vous avez créé un élément collectif, quelque chose qui va peut-être provoquer des émotions positives.
Troisième exemple d'innovation : ce sont les pauses. En général évidemment on sait bien qu’il est difficile de dire à quelqu'un de faire la sieste ou pire de proposer d’aller se promener en forêt… En France, ce n’est pas accepté. Mais si vous avez la possibilité de sortir du cadre et mille et une manières de vous ressourcer, alors il ne faut pas hésiter. Il faut profiter d’être dans un autre environnement pour en puiser toutes les capacités de QVT.
5.4. La place des outils
On a beaucoup parlé de l'approche, de l’humain et du management. La réflexion sur ces questions et la manière de travailler est différente. De plus, la place des outils est essentielle. Ce sont eux qui vont structurer les interactions entre les salariés au moment des échanges. Imaginez des locaux qui seraient sales, impropres, trop petit, mal éclairés… C'est pourtant la base de la qualité de vie au travail. C'est la même chose pour les outils numériques. Vous devez avoir des outils colorés, sympathiques et positifs qui permettent de transférer des émotions. Alors qu’à date beaucoup trop d'outils de type collaboratifs et bureautiques sont dans une logique uniquement productiviste.
La réponse à cette évolution est dans le design de service. Par exemple des icônes qui donnent envie avec une dimension forte d'interaction sociale. C'est pour ça d'ailleurs que le réseau social d'entreprise est un élément essentiel de votre réussite de la QVT. Les outils uniquement de visioconférence, quand ils sont les seuls à être utilisés, dessèchent les relations. Il faut créer du lien social.
6. Et alors c’est le bonheur ?
6.1. Travail comme télétravail n’est pas bonheur / mais QVT
Il faut faire très attention quand on parle de qualité de vie au travail car il ne faut pas la confondre avec le bonheur. Il ne s'agit pas d'obtenir le bonheur des employés. Il s'agit de faire en sorte que le travail amène une qualité de vie au travail. Que ce travail soit justement le plus agréable possible à faire. Il ne faut pas confondre la QVT avec la volonté de bonheur. Je reparle de ce sujet-là car dans la situation actuelle, avec la pandémie, les salariés sont souvent en souffrance et beaucoup nourrissent des angoisses. Les difficultés peuvent être aussi du côté de leur famille, de leurs proches, avec des problèmes économiques ou des problèmes de santé et l'entreprise ne peut pas pallier tout ça. Elle ne peut pas apporter justement une réponse à ces questions. En revanche, elle peut faire en sorte que dans cet environnement de travail, la qualité soit au rendez-vous et qu’il soit naturel et fluide de relâcher les contraintes sur les salariés, contrairement au reste du monde qui cherche à en créer. Diminuer cette pression c’est ce qui crée, à mon sens, la capacité de compenser la dureté extérieure.
6.2. Le télétravail a ses limites
Le télétravail est une obligation aujourd'hui pour une grande partie des travailleurs en Europe. Il a ses limites et on ne peut pas construire à long terme une relation uniquement sur le télétravail. La problématique se pose également pour les nouveaux arrivants, en particulier les jeunes. Je suis frappé de voir que ce sont les plus jeunes qui entrent dans l'entreprise qui ont le plus de mal avec cette perspective de télétravail, là ou des salariés avec beaucoup plus d'expérience savent structurer leur espace mental maison/travail. Ils savent aussi séparer les moments privés et publics, ont un bagage de méthodologie et ont l'habitude d'organiser leur journée et de gérer leur temps. C'est donc un défi pour l’avenir, un défi qui va gagner en puissance au fil du temps : parvenir à créer et à maintenir une culture d’entreprise pour une société tout entière à travers cette logique de télétravail.
7. L’hybridation : modèle de demain
Il est clair aujourd'hui que l'entreprise ne reviendra pas en arrière totalement sur le télétravail. La pandémie a été un déclencheur qui a provoqué un effet de phase et qui amène aujourd'hui le télétravail à devenir essentiel dans la perspective de notre société de demain. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le besoin était latent. C'est donc face à cette entreprise hybride qu'il va falloir réfléchir la question de la qualité de vie au travail. Tous les gestes RH doivent être repensés : l'arrivée des nouveaux collaborateurs, leur montée en compétences, la logique de production et de productivité, les mutations… Autant d’éléments qui constituent des défis qui doivent être relevés par les RH, qui ont toujours ce travail d'équilibriste entre aider le développement commun mais également le développement de chaque individu. Il faut ajouter à cela le facteur de la sphère privée, car le télétravailleur travaille désormais de chez lui, tout en gardant la bonne distance et la séparation travail/vie personnelle. Voilà de très beaux défis pour les RH mais aussi pour les salariés. Ces mouvements de fonds amènent une évolution majeure des métiers dans leurs rapports à plus de numérique, à une meilleure compréhension des outils, à essayer encore plus de méthodes et de nouveaux rituels pour améliorer ces questions de QVT.
Le RH de demain sera-t-il lui aussi hybride ?
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