#1 : Une responsabilité individuelle pour faire société

En 2006, l’Europe définit 8 compétences-clé de référence dont « apprendre à apprendre », citée comme la capacité à être autonome dans son propre parcours et son développement[1]. Quinze ans plus tard, la nécessité de développer cette méta-compétence semble être confirmée tant l’observation des comportements citoyens qu’ils soient étudiants, actifs ou non actifs, renforce cette idée du besoin d’apprendre à apprendre pour se prémunir, du mieux que l’on puisse, de toutes les formes d’obscurantismes.

Le développement technologique et notamment la démocratisation d’internet a transféré le savoir des bibliothèques, réservé à une certaine élite, à nos poches, accessible en 1 clic, à tout moment. La question n’est donc plus d’avoir accès à l’information, de la retenir par cœur ou sur le bout des doigts, mais de se l’approprier, de la comprendre et d’en extraire son essence. Les informations, si elles peuvent être sources de savoir, ne sont pas nécessairement synonymes d’intelligence. Or l’enjeu est bien là : dissiper le brouillard causé par le nuage informationnel[2] (Morin, 1981) et retrouver son chemin.

Pour que cela soit possible, nous devons alors apprendre à apprendre c’est-à-dire développer notre capacité à nous approprier ces savoirs pour en sortir grandis. Cela suppose de mobiliser un certain nombre de connaissances et d’aptitudes : savoir entre autres communiquer, lire et écrire…. Mais au-delà de ce socle, nécessaire bien que non suffisant, « apprendre à apprendre » suppose de développer une attitude particulière face à l’apprentissage en lui-même. Il s’agit en effet de travailler et construire une vision de l’apprentissage qui nous invite à ce qu’il devienne permanent.

Apprendre à apprendre : une question de regard

Qu’elles soient lues, écoutées, regardées ou racontées, nous sommes noyé×es d’informations de toute nature. Être en capacité d’apprendre en continu suppose alors d’adopter un regard critique et de faire preuve de discernement afin d’extraire le vrai du faux, distinguer le fait de la croyance, l’objectif du subjectif. Seulement, l’apprentissage ne s’arrête pas là. Savoir que quelque chose est « vrai » car démontré ne suffit pas, encore faut-il être en capacité d’utiliser ce savoir pour enrichir nos pratiques, nos comportements et nos attitudes. Il s’agit ici de tisser des liens entre la théorie et la pratique, entre cette information nouvelle et les savoirs que j’ai en stock. Cette idée nous renvoie à la formule de Patrick Storhaye : apprendre, comprendre, entreprendre[3]. Apprendre à apprendre c’est alors apprendre à intégrer ces savoirs, se les approprier, les faire sien dans une perspective d’action : celle d’entreprendre. Le savoir ne peut être considéré comme dormant, il nous pousse à agir sur le réel. Et s’il n’est pas dormant, il n’est pas stable non plus et nous invite alors à cultiver le doute et chercher des réponses à des questions peut-être insolubles. C’est faire preuve de curiosité, approfondir, aller plus loin que les schémas établis et au-delà de la pensée prémâchée, mais aussi (et peut-être surtout) se remettre soi-même en question. Nous n’apprenons pas une fois dans nos vies, une bonne fois pour toute. L’apprentissage est un continuum, nous avons toute une vie pour apprendre. Cela suppose un certain inconfort, ne pouvant pas nous reposer sur des certitudes stables. De ce déséquilibre, naît alors le mouvement et donc l’apprentissage et le développement. C’est bien ce mouvement que l’apprentissage continu nous invite à enclencher.

Allons au-delà de la méthode : une évolution culturelle.

Si apprendre à apprendre est avant tout une question de regard porté sur l’apprentissage alors la réponse ne se trouve pas dans une simple méthode quelle qu’elle soit. Les outils technologiques, les méthodes pédagogiques et autres Bulletin Officiel[4] doivent être considérés comme moyens, plus ou moins performants pour donner envie d’entrer dans ce mouvement. La clé est bien là : donner envie. C’est avant tout une question culturelle qui appelle certainement à se transformer, individuellement et collectivement, à changer notre regard sur ce que signifie apprendre et sur les moyens d’y parvenir. Si nous acceptons l’idée que le savoir est dans notre poche, alors l’accès à ce savoir est une question de volonté et de démarche proactive. L’effort ne peut venir que de nous-mêmes, personne ne pourra apprendre à notre place. Cette question peut, bien sûr, se poser en des termes collectifs à l’échelle de la société (école, université ou entreprise) - et pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une deuxième réflexion au vu de l’étendue du sujet et du besoin urgent de se la poser lorsque l’on constate la suppression de « l’esprit critique » par l’Éducation Nationale du référentiel proposé par l’Europe au profit de la mention « appliquer une consigne » - mais concentrons-nous d’abord sur l’individu et sa propre responsabilité. Cette révolution où la×e formé×e devient « celui qui se forme »[5] suppose que chacun×e ait envie d’y consacrer temps et énergie ; parce qu’il n’a jamais été question de dire que c’était facile, mais nécessaire. Chacun×e peut faire évoluer sa propre vision et prendre en main son propre apprentissage. Au-delà des diplômes et de l’accès à certaines formations, l’enjeu premier est celui du temps que l’on y consacre, de notre propre volonté d’accéder à des ressources gratuites sur internet, d’engager des conversations, des échanges et des partages pour se nourrir du savoir de son voisin.

Apprendre à apprendre : un enjeu d’humanité

Cette démarche proactive d’apprentissage continu est alors utile sur plusieurs plans. D’abord pour satisfaire nos propres besoins intellectuels en nourrissant notre esprit, mais aussi de manière plus prosaïque notre employabilité sur un marché du travail sans cesse mouvant où l’appel aux fameuses « softskills » et à l’agilité ou autres « buzzwords » se fait de plus en plus pressant. Mais au-delà de cette démarche utilitariste, apprendre à apprendre répond davantage à un devoir citoyen. Clé de notre capacité à évoluer collectivement face à un monde en perpétuelle mutation, l’apprentissage continu et l’ensemble du substrat culturel qui y est associé nous pousse à faire société sans s’enfermer dans un entre soi exacerbant nos individualités aux dépends de ce qui nous unit collectivement, en tant qu’humain : notre capacité à penser.

L’enjeu n’est pas tant de savoir mais de comprendre et cela exige de faire évoluer le regard que nous portons sur l’apprentissage tant celui-ci réside moins dans une méthode que dans une véritable culture. Il est un besoin urgent de se pencher sur cette question tant collectivement qu’individuellement, car au-delà de la question de l’utilité de l’apprentissage, se pose celle d’humanité.


[1] Guide « accompagner la mise en œuvre de la compétence clé apprendre à apprendre » par le Greta du Velay.

[2] Edgard Morin, Pour sortir du XXème siècle, Nathan, 1981

[3] Patrick Storhaye, le plaisir d’entreprendre, EMS, 2012

[4] Expression de l’Éducation Nationale désignant entre autres les programmes scolaires

[5] Expression de Bertrand Schwartz, pédagogue, dans son entretien avec le Great du Velay, Guide pour accompagner la mise en œuvre de la compétence-clé apprendre à apprendre.

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