NDLR : Pendant le mois d'août, nous republions quelques-uns des articles les plus lus de l'année
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On lit un peu de tout et son contraire sur le télétravail depuis six mois. Mais ce qui reste le plus surprenant vient de la petite musique qu’on entend ici et là en cette rentrée, selon laquelle le télétravail ne saurait constituer qu’un palliatif au travail en présentiel, sans aucunement pouvoir être considéré comme une solution pérenne.

Évidemment, si l’on se réfère aux études commandées par des entreprises d’aménagement de bureau et d’espaces “conviviaux” – nous ne les citerons pas –, on comprend bien l’intention… Évidemment encore, si l’on appelle “télétravail” la situation de ces salariés soudainement contraints par la crise à travailler de chez eux à 100 %, voire à 130 %, sans équipement ni lieu adapté, sans formation, sans organisation explicite, sans délégation claire ni limites de connexion – ou de déconnexion –, et sous la houlette de managers paniquant tout autant qu’eux dans la même situation, on ne peut que partager les réserves énoncées ! Un tel chambardement improvisé peut conduire à des désastres, pour les salariés comme pour les entreprises. En revanche, les motivations de certains managers, souhaitant sans plus de discernement ramener tout le monde à la “maison-entreprise” (Sic !), sous prétexte de besoin de contrôle, de meilleure collaboration, d’esprit d'équipe ou d’interactions sociales, ne nous semblent pas beaucoup plus transparentes, même si elles versent dans le politiquement correct.

Le télétravail : un terrible révélateur du management

Le « télé-management » répond rigoureusement à la même définition que le management ; ses problématiques de fond ne sont pas différentes ; et l’usage des technologies comme vecteur plus important de communication n’affecte pas le sens même du travail effectué. En clair : ceux qui redoutent le télé-management, au nom de la perte de contrôle qu’il comporte… sont probablement déjà de piètres managers « traditionnels ». Ceux qui ne sont pas capables de structurer une relation de confiance et d’autonomie engageant la responsabilité de leurs collaborateurs feront autant de mauvais managers que de mauvais télé-managers. Pour Emmanuel Abord de Chatillon, directeur de la chaire management et santé au travail de l’IAE de Grenoble et auteur d’une enquête sur le management en télétravail pendant le confinement : « La crise a révélé un management à bout de souffle ».

Ces managers-là, loin d’être représentatifs de toute la profession intermédiaire, très loin de là, privilégient probablement, à un véritable management, des logiques de réseaux et de pouvoir parallèles. Pour qui a trainé ses guêtres là où la moquette est plus épaisse, il est avéré que beaucoup de temps d'interaction en entreprise est dédié aux carrières personnelles, à la constitution et l’entretien de tels réseaux. Les réunions sont précédées et suivies de points initiatiques entre quelques personnes, qui affinent des stratégies de territoire et de pouvoir qui ne visent pas vraiment à faire avancer les questions professionnelles ou les projets. Ceux-là ont effectivement beaucoup perdu avec le télétravail généralisé. Comme le faisait justement remarquer Maurice Thévenet, interviewé dans un article de Ouest-France, « nos entreprises sont des organisations très politiques. Si vous n’êtes pas dans les processus de décision, si vous n’êtes pas là pour sentir les opportunités, vous sortez aussi du jeu. Même avec de bonnes intentions, le manager ne peut y échapper. Vous avez beau vous dire que vous devez être juste, vous avez plus d’informations sur la personne que vous voyez régulièrement que sur celle qui est toujours à distance. Vous ne comparez pas les mêmes choses ».

Le risque ? Un retour vers l’âge de glace !

Il devient donc assez logique que ces personnes souhaitent un retour aux anciennes organisations en iceberg, qui leur permettent une légitimité hiérarchique et fonctionnelle, selon des principes de féodalité et non de libération de l’esprit d’initiative individuel et collectif. Nominations, avancements de carrière, formations prestigieuses sont souvent obtenus grâce aux réseaux parallèles et pas seulement à la compétence ou au potentiel réel. Le télétravail tel que nous venons de le subir a fait fondre l'iceberg et a fait apparaître une transparence parfois cruelle sur le rôle effectif de chacun. Comment s’étonner qu’il y ait des grincements de dents ?

Les fondamentaux du télétravail de demain

Nous nous inscrivons, quant à nous, dans une toute autre logique. Nous pensons que le recours au télétravail constitue un choix stratégique d’organisation performante qui ne repose d’ailleurs nullement sur le “tout ou rien” : dans la plupart des cas, c’est une proportion adéquate entre télétravail et travail sur site qu’il s’agit d’identifier et de faire évoluer selon une géométrie variable au fil du temps. Bien sûr, cela permet de répondre à des besoins pratiques de part et d’autre ; mais c’est d’abord une autre conception du rapport au travail, qui s’appuie sur les évolutions sociétales et technologiques que nous vivons depuis ces dernières années ; même s’il est indéniable que la Covid-19 a fait tomber bien des résistances au sein des entreprises, notamment en France, comme en atteste la récente enquête BCG et ANDRH.

Comment mettre en place un télétravail fécond ?

Sans une nouvelle fois développer une usine à gaz dont ni les salariés ni les managers n’ont besoin, il convient cependant de revenir dans un cadre qui peut d’ailleurs faire l’objet d’accords ou de chartes avec les partenaires sociaux. Nous avons tenté par les points suivants de vous permettre de mesurer votre préparation à la mise en place d’un télétravail pérenne dans l’entreprise.

  1. La mise en place du télétravail doit être conçue comme un véritable contrat social reposant sur le triptyque Confiance-Autonomie-Responsabilité. Le renouveau d’une relation contractuelle plus symétrique, moins fondée sur la subordination.
  2. Interroger les collaborateurs pour comprendre leurs besoins et leurs attentes. La prise en compte de l’expérience collaborateur est ici cruciale pour le succès de la démarche sur le long terme. Il est capital de mesurer ce qu’ont vécu les salariés en télétravail ces derniers mois pour comprendre les adaptations indispensables.
  3. Identifier les collaborateurs éligibles ET volontaires au télétravail et leur donner la possibilité de changer de choix. Accompagner plus particulièrement ceux auxquels le télétravail serait imposé pour des raisons de force majeure.
  4. Identifier le bon volume de télétravail pour maintenir un équilibre opérationnel des équipes en fonction de leurs activités. C’est du cas par cas, et cela peut varier au cours de l’année. La gestion des temps devient donc une dimension cruciale du management de demain.
  5. Nécessité d’une professionnalisation des managers ; ce qui demande de la formation, voire pour certains du coaching. Il faut leur faire comprendre que le pouvoir n’est pas dans le « command and control », mais dans une crédibilité professionnelle et une autorité fondée sur le respect de règles partagées. Dans la plupart des cas, il leur faut (ré)apprendre l’art de la délégation correctement définie.
  6. Lorsqu’une délégation est ainsi formalisée, la problématique du contrôle ne se pose plus : l’atteinte des priorités régulièrement partagées est le meilleur indicateur. Il faut donc établir des règles de communication et d’échange auxquels tous – managers et collaborateurs – trouveront leur intérêt.
  7. Il est utile de faire pratiquer une dose de télétravail par les managers eux-mêmes afin qu’ils comprennent de l’intérieur, pour eux-mêmes, les avantages et les inconvénients, les opportunités et les difficultés qui se posent.
  8. Nécessité d’une formation pour les collaborateurs portant aussi bien sur la maitrise des outils de travail et communication ainsi que de leur propre organisation des taches et du temps. Hors cas d’urgence sanitaire, il ne suffit pas du tout de leur refiler un ordi portable et un smartphone et de leur demander de rester chez eux ! A fortiori de leur demander d’utiliser leur ordinateur personnel ! C’est une véritable organisation à structurer. Lorsque ce n’est pas fait, cela peut être désastreux pour le salarié comme pour l’entreprise. Répétons-le : le télétravail ne s’improvise pas !
  9. Le mettre en place avec une progressivité qui permette d’apprécier les capacités de chacune et chacun à télétravailler efficacement et à l’organisation de se réformer de façon proactive.

Quels sont les critères déterminant pour être éligible au télétravail ?

  1. Que la nature de l’activité effectuée s’y prête. (Difficile de mettre un ouvrier tourneur en télétravail).
  2. Que la nature du travail d’équipe s’y prête, au moins partiellement. (Difficile lorsque les interactions en présentiel sont déterminantes).
  3. Que le collaborateur concerné soit volontaire et que ce choix s’intègre dans une cohésion d’équipe.
  4. Que le collaborateur concerné présente une maturité suffisante pour être autonome et responsable. C’est probablement le point le plus psychologique de ce mode d’organisation, et la DRH a ici un rôle clé à jouer, y compris sur ses politiques de sourcing et de recrutement, ainsi que de mobilité interne et de gestion des talents.
  5. Que le collaborateur concerné ait les moyens concrets de s’organiser dans le lieu de télétravail (Domicile, coworking, tiers lieu,…). L’entreprise peut voir sa responsabilité engagée dans ces éléments intiment liés à la QVT.

Conclusion

Le télétravail ainsi conçu est un très bon vecteur d’empowerment, non pas d’une élite mais du corps social. Utiliser ce nouveau levier permet que tous les acteurs de l’entreprise sachent et puissent œuvrer pour que la collaboration – la force du collectif – confère à chacun un pouvoir d’initiative, une capacité d’action et de développement de ses potentiels. Ce pouvoir « individuel » est fondé sur le triptyque Confiance-Autonomie-Responsabilité. Ce pouvoir, dans sa nature, se déploie donc au service du collectif ; du développement d’une communauté autour d’un bien commun.

Il y faut du temps serein et individuel, auquel répond le télétravail, et du temps partagé et collectif, auquel répond le travail dans un lieu commun. L’intelligence du temps va devenir une compétence à part entière du management.

L'empowerment est en définitive “le bon sens de l'engagement”. « Il s’agit non pas de remettre l’homme au cœur de l’entreprise, mais de remettre l’entreprise dans le cœur de l’homme ». C’est à dire que l’homme s’approprie son travail et partant la valeur ajoutée et donc l’entreprise dans laquelle il œuvre. Cela pourrait presque apparaître marxiste aux yeux des ultra-libéraux ! Et pourtant si chacun devenait Sujet de l’entreprise, et non objet du profit, l’entreprise trouverait enfin une raison sociale et citoyenne digne de ce nom.

Tags: Télétravail Travail à distance Organisation Autonomie