Saison 2 – Episode 2 : Analyse des situations de télétravail vécues par les salariés en période de crise sanitaire.

Article co-écrit avec Stanislas Fregard (a) et Mariem Hilali (b).
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Dans la continuité des « Breaking news » de l’année dernière, RHinfo permet cette année encore de mettre en avant les analyses de jeunes professionnels RH du master 2 « Management Digital des Ressources Humaines – Spécialisation : gestion de crise » de Institut Mines-Télécom Business School. Ces analyses ont été réalisées dans le cadre de leur mémoire de fin d’études autours d’une problématique posée. Une analyse de ce qui a déjà été écrit sur leur sujet et la conduite d’une mini-enquête de terrain (environ six entretiens effectués en moyenne dans une même organisation ou plusieurs organisations) ont été menées autours de cette problématique. Cet épisode 2 de la saison 2 porte sur l’analyse des risques psychosociaux en période de télétravail intensif et subi, et plus globalement sur les facteurs clés de succès de l’organisation du télétravail en période de crise. L’analyse a été conduite sur la période allant jusqu’à fin juin 2021.

Pour rappel l’épisode 1 de la saison 2 portait sur l’analyse des pratiques RH en période de crise. Une analyse des relations avec les CSE avait montré les modifications des liens entre professionnels RH et représentants du CSE tendant vers une coopération accrue et une modification de la communication médiatisée par le numérique. Dans ce même article, une analyse de la digitalisation des processus RH avait montré une accélération de la numérisation des processus de recrutement et de formation. Une dernière analyse s’était penchée sur la modification des relations et interactions collaborateurs-managers-professionnels RH, médiatisées par le numérique. Cette analyse avait montré l’ambivalence de ces outils numériques de communication en période de crise, à la fois vecteur de résilience pour l’organisation et vecteur de difficultés supplémentaires à gérer (empilement des moyens de communication, niveau d’urgence accru, zoom fatigue…). L’article est consultable à l’adresse suivante : https://www.rhinfo.adp.com/rhinfo/2021/gestion-des-ressources-humaines-en-periode-de-crise/

Le présent article comporte trois parties.

La première partie, sous forme d’un préambule, souligne l’importance de repenser l’analyse des situations de télétravail vécues par les salariés. Pour bien analyser ces situations de travail recomposé, souvent de manière forcée, il est nécessaire de prendre en compte la globalité, et la totalité, des espaces, des temporalités et des environnements sociaux dans lesquels ces derniers évoluent (1). Les risques de brouillage, voire de télescopage, entre espaces privés et espaces de travail, temps familiaux et temps de travail, environnements familiaux et de travail n’ont jamais été aussi fort et exacerbé qu’avec la mise en place forcée du télétravail.

La deuxième partie présente les résultats du travail de Mariem Hilali ainsi que ses préconisations. Elle s’est intéressée aux facteurs de bien-être, et de mal-être, au travail en situation de télétravail forcé (2).

La troisième partie présente les résultats du travail conduit par Stanislas Frégard ainsi que ses préconisations. Il s’est intéressé aux modifications induites par le télétravail forcé en période de crise et aux facteurs clés de succès dans la mise en place pérenne du télétravail (3).

  1. Préambule - Le salarié dans cette période de télétravail forcé : réaffirmation, voire exacerbation, des dimensions spatiales, temporelles et sociales constitutives de l’environnement de travail des salariés et variabilités des situations.

Les deux études conduites par Mariem Hilali et Stanislas Frégard permettent de pointer, s’il le fallait, l’importance de considérer le salarié dans son environnement global lorsque l’on analyse les situations de télétravail forcé lors des différents confinements. Le salarié n’est pas qu’une personne au sens psychologique du terme, c’est à dire un être doté d’une personnalité, de valeurs, d’attentes, de compétences, pour ne citer que quelques éléments. Il est aussi un être social, spatial et temporel. Ces trois dimensions constituent un cadre (et génèrent plusieurs configurations de cadre lorsque l’une ou plusieurs de ces dimensions changent) dans lequel s’inscrit ses actions et notamment son travail. Le télétravail forcé a profondément modifié les espaces de travail des salariés, leurs temps de travail (tant sur la durée que sur les rythmes des journées) et les relations sociales constitutives de la vie au travail. Il a fallu réinventer l’espace de travail à la maison, les temps de travail à la maison, les interrelations entre environnement social de travail et environnement social familial. Les situations ont été, et restent très diverses. Comme le souligne Stanislas Frégard, il est important pour un service RH de connaître la variabilité des situations vécues afin de proposer des situations de télétravail adaptées. Par exemple, certains salariés auront besoin de pouvoir aller travailler dans un tiers-lieu, quand d’autres pourront travailler sereinement de chez eux.

Dans certains cas, ces réorganisations des différents espaces, des différents temps, des différents environnement sociaux se sont faites sans trop de heurts. Dans ces mêmes cas d’ailleurs, le télétravail n’était pas une réelle découverte. Une étude du HRM Digital Lab de Institut Mines-Télécom Business School, conduite auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 salariés en France en 2016, relevait déjà que 45% des salariés interrogés avait déjà vécu une situation de télétravail. L’étude précisait même qu’ils étaient presque un sur deux, sur ces 45%, à trouver la solution de télétravail proposée par leur entreprise intéressante.

Dans de nombreux autres cas, ces réorganisations ont été difficiles, voire sont toujours impossibles. Les télescopages, voire les brouillages, entre espace personnel / espace professionnel, entre temps personnel / temps professionnel, et entre environnement social personnel / environnement social professionnel ont été nombreux. Qui n’a pas vu débarquer un animal de compagnie lors d’une visioconférence, si ce n’était pas un enfant ? La conciliation vie personnelle / professionnelle a été rendue encore plus difficile dans le cas de nombreuses femmes avec une difficulté, voire une impossibilité à établir une barrière claire, et acceptée de tous dans la famille, entre les temps de travail et les temps professionnels. Sur cette question de la conciliation temps de travail / temps personnel, il est intéressant de relever que pour certains salariés le télétravail forcé a été synonyme d’horaires à rallonge quand d’autres ont retrouvé du temps familial et personnel grâce à la suppression des temps de transport.

Pour le dire de manière simple, tous les salariés n’ont pas vécu le rapport à cet environnement de télétravail forcé de la même façon car leurs attentes ne sont pas les mêmes, leur personnalité ne sont pas les mêmes, la nature de leur travail n’est pas la même, leur environnement managérial n’est pas le même, leur environnement familial n’est pas le même, les ressources à leur disposition (espace et matériel informatique) ne sont pas les mêmes, pour ne citer que les éléments principaux

D’une manière plus générale, le travail réalisé par Mariem Hilali et Stanislas Frégard, rappelle que le numérique, dans sa globalité, bouscule les environnements traditionnels vécus par les salariés. Le télétravail forcé lors des confinements a été riche d’enseignements sur cette thématique car forcé, non prévu et cette obligation inattendue a concerné de nombreux salariés. Néanmoins, d’autres aspects de la numérisation de la vie professionnelle des salariés modifient leur environnement global. A titre d’exemple, le e-learning a modifié et modifie espace, temps et relations dans la formation. Il est parfois pris pour acquis que se former, seul, à son poste de travail est chose aisée. C’est omettre que les postes de travail ne sont fondamentalement pas conçus pour s’auto-former : problème de bruit, problème d’accès aux outils numériques nécessaires (comme un casque par exemple), problème d’espace personnel pour ne pas être vu des collègues… Il est parfois nécessaire de redéfinir des espaces, des temps d’autoformation en e-learning, ou encore de légitimer auprès des salariés et managers l’importance de s’autoformer (certains pouvant considérer tout cela comme une perte de temps).

(2) Les facteurs de bien-être, et mal-être au travail, dans une situation de télétravail forcé

Mariem Hilali s’est intéressée aux facteurs de bien-être et mal-être au travail en situation de télétravail forcé. Après avoir conduit une analyse des écrits existants sur la question, elle a réalisé des entretiens auprès de cinq salariés pour qui le télétravail a été imposé en raison de la crise sanitaire. Ils évoluent dans des secteurs d’activité différents comme l’automobile, le conseil en systèmes d’informations et informatique, le service de prestations Cloud ou encore l’énergie. Elle a pu également interroger une personne en freelance dans l’accompagnement des entreprises dans une démarche de bien-être afin de voir quelles ont été les différentes demandes des entreprises et les actions mises en place.

Globalement, elle constate que les facteurs de bien-être et mal-être sont propres à chacun. Cependant, elle retrouve également des invariants.

Ainsi le rôle des managers intermédiaires a été fondamental dans le vécu des salariés et dans la génération de bien-être ou de mal-être dans ces situations vécues de télétravail forcé durant lesquelles les salariés ont pu connaître des états de stress, de pertes de motivation ou encore de fatigue. Dans plusieurs cas, le manager a joué un rôle de soutien psychologique, d’organisateur et régulateur des nouvelles organisations du travail. Dans d’autres, des salariés ont ressenti un manque de proximité avec leur manager, ont manqué d’autonomie ou encore de reconnaissance quant à l’importance de leur travail.

Elle remarque également que le bien-être et le mal-être peuvent dépendre de facteurs externes à l’entreprise. Dans certains cas, le confinement et le télétravail ont permis de libérer du temps aux salariés pour leur vie de famille et/ou leur loisir grâce à la suppression des temps de transport. Dans d’autres cas, des salariés ont vécu une intensification du temps de travail. Ils ont eu du mal à s’arrêter de travailler lorsque la journée se terminait ou à prendre des pauses.

Au niveau matériel, certains salariés n’avaient pas les moyens nécessaires pour télétravailler dans de bonnes conditions. Cela a pu avoir des effets néfastes sur la santé aussi bien physique que psychologique.

En termes de préconisations, elles en formulent trois :

  • Mieux outiller les managers en matière de gestion de la santé et du bien-être au travail,
  • Réhabiliter la médecine du travail,
  • Mettre en place une organisation du travail plus agile et plus hybride.

Sur cette dernière préconisation, elle précise les éléments suivants :

  • Dans un contexte post-crise sanitaire, le télétravail fait désormais partie intégrante de la culture et des habitudes des collaborateurs. Selon une étude réalisée par Malakoff Humanis en décembre 2020, le nombre de jours idéal pour télétravailler correspond à deux jours par semaine pour 22% des salariés sondés. 19% souhaitent télétravailler un jour par semaine. Au-delà de 2 jours, les chiffres chutent. Les salariés estiment que le télétravail permet d'accroître leur productivité et favorise leur bien-être. Si le télétravail à 100% n’est pas apprécié de tous, l’organisation en mode hybride s’annonce être de bon augure.
  • Les réticences des dirigeants envers le télétravail semblent s’effacer et le management par la confiance devient une tendance forte. L’idée est d’encourager l’autonomie des collaborateurs et d’éviter de demander des reportings trop réguliers, tout en en mettant en place des points assez fréquents afin de savoir si tout se passe bien. Un des défis du management d’équipe en mode hybride est l’engagement collectif. Aujourd’hui, il existe des formations bien spécifiques à ce type de gestion d’équipe. Il faut également stimuler l’engagement en organisant de manière régulière des réunions d’équipes mixtes par exemple, ou encore en organisant des évènements permettant de réunir le collectif dans son intégralité. La mise en place d’outils de communication performants et appropriés est primordiale. Évidemment, puisque cette forme de management ne s’accompagne pas d’un management de contrôle, valider l’atteinte des objectifs qui ont été listés et fixés en amont va permettre de mesurer la performance et la productivité. Il faut donc mettre en place des points d’étapes et utiliser des outils de gestion de projet dédiés à leur conduite.
  • Pour donner un exemple concret, s’il faut choisir entre une réunion par visioconférence et une réunion, il est difficile de s’entendre avec tout le monde pour connaître leur(s) jours de présence. Ainsi, il serait plus judicieux de laisser place à des réunions hybrides. Cela permettrait d’échanger avec des collaborateurs présents dans les locaux mais aussi à ceux travaillant à distance. Nous avons de nouveaux outils digitaux qui sont un moyen de gérer ce type de réunion, cela favorise les échanges, la co-création, la synchronisation des équipes et assure des échanges enrichissants.

(3) Les facteurs clés de succès du télétravail en situation forcée de crise sanitaire

Stanislas Frégard s’est intéressé aux facteurs clés de succès du télétravail en situation forcée de crise sanitaire. Après avoir conduit une analyse des écrits existants sur la question, il a réalisé deux entretiens avec deux salariés et mené une étude quantitative auprès de 60 répondants. Le premier entretien a été conduit auprès d’un ingénieur spécialisé dans la fibre. Le deuxième a été réalisé avec un consultant média. Les deux professionnels interrogés sont de jeunes professionnels. Un peu plus de 80% des 60 répondants aux questionnaires sont des salariés, 10% des étudiants, et un peu plus de 6% des dirigeants d’entreprise.

Stanislas Frégard retrouve le rôle primordial joué par le management intermédiaire comme facteur clé de succès du télétravail. Il identifie lui aussi une variabilité des situations. Certains salariés ont eu la sensation que leur manager était absent quand d’autres ont trouvé au contraire qu’il était trop présent. Il montre également que le e-leadership, au sens développé par Nabila Jawadi, n’est pas forcément chose aisée. Il compare le travail de ces e-leaders à ceux d’équilibristes qui doivent à la fois être garant des objectifs de l'entreprise tout en procédant à un travail d’écoute et de dialogue.

Il identifie également l’importance d’un espace de travail sain comme facteur clé de succès au télétravail. Il rappelle tout d’abord que l'environnement de travail au sens large, quel qu’il soit, a une importance non négligeable sur l’efficacité. De ce fait, même si l’outil est parfait et fonctionnel, le fait que la connexion internet soit de mauvaise qualité ou que le lieu soit bruyant ou occupé joue sur la productivité des équipes. Il en va encore de la responsabilité du manager de diagnostiquer les potentiels soucis que peuvent croiser leurs collaborateurs.

Il identifie enfin qu’un 100% télétravail n’est pas possible si l’on souhaite maintenir une cohésion d’équipe. Au-delà de son étude, il cite celle de John Roberts et Nicholas Bloom. Ces deux chercheurs à Stanford avaient pour but d’estimer les répercussions du télétravail. En 2010, ils ont forcé 250 salariés d’une agence de voyage chinoise à télétravailler pendant plusieurs mois pour en estimer les répercussions. De leur étude découlent deux points qui viennent étayer l’hypothèse que le 100% télétravail n’est pas non plus la solution. D’un côté, les salariés ont été plus productif de 13%, de l’autre plus de 50% des salariés ont désiré revenir au bureau après les neuf mois car ils se sentaient seuls.

Au regard de ces trois constats, il identifie trois préconisations :

  • La création d’un espace de travail sain est la première des clés pour avoir de bonnes conditions de travail et ainsi, une plus grande productivité. D’un point de vue matériel, c’est à l’entreprise de fournir ce dont le salarié a besoin. C’est bénéfique pour le salarié car cela permet de trancher entre phase de travail et de vie privée. Cet espace doit être aussi distant du reste du foyer spatialement et aussi au niveau des communications lorsque cela est possible.
  • Il y a aussi un intérêt à adapter les rotations sur site et en télétravail. Cette adaptation doit se faire après une discussion avec les salariés. Chacun ayant des préférences entre majoritairement télétravail et travail sur site. Par exemple, une entreprise proposera entre 0 et 2 jours de télétravail par semaine et puis ce sera aux managers de gérer cette fourchette avec les salariés.
  • Il serait enfin intéressant d’ouvrir les rythmes de travail à d’autres fonctionnements. Le principal reproche fait au télétravail était une frontière floue avec la vie privée mais aussi que cette dernière était réduite. Il serait intéressant, selon les entreprises et les secteurs, de passer à une semaine de 4 jours afin d’avoir un meilleur équilibre de vie entre le télétravail, le travail sur site et les congés.

Si cet article vous a intéressé, il est possible de consulter sur le même format :

(a) Stanislas Fregard

Stanislas Frégard est diplômé du master 2, « Management Digital des Ressources Humaines - Spécialisation : gestion de crise », de Institut Mines-Télécom Business School, promotion 2020-2021. De septembre 2020 à septembre 2021, il a réalisé son apprentissage au sein d'Adroma Conseil, en qualité de chargée de recrutement et de communication RH. Il est aujourd'hui en poste au sein du groupe SII chargé de recrutement pour le pôle IT.

(b) Mariem Hilali

Mariem Hilali est diplômée du master 2, « Management Digital des Ressources Humaines - Spécialisation : gestion de crise », de Institut Mines-Télécom Business School, promotion 2020-2021. De septembre 2020 à septembre 2021, elle a réalisé son apprentissage au sein de Faurecia, en qualité de chargée de projet SIRH. Elle est à la recherche d’un poste dans le domaine du conseil en transformation digitale RH.

Tags: Télétravail Crise Covid-19