Évoluant dans des secteurs concurrentiels, les coopératives se doivent comme les entreprises classiques d’être performantes pour survivre et se développer. Mais à la différence de ces dernières plus ou moins soumises à la pression des actionnaires, les coopératives sont portées par un projet sociopolitique. Elles s’appuient sur une gouvernance démocratique et optent pour une lucrativité limitée en orientant l’essentiel des excédents dégagés vers le développement de l’activité. Privilégiant le capital humain au capital financier, les coopératives sont amenées à développer des pratiques de GRH portées par des valeurs humanistes qui pourraient bien expliquer, au moins en partie, leur succès et particulière agilité à surmonter les crises. Ces pratiques ont-elles pour autant valeur d’exemplarité ?

La primauté du collectif sur l’individuel 

Dans les coopératives, on embauche moins un salarié pour un poste précis qu’un participant tourné vers les autres et prêt à partager des valeurs communes. Le flou volontaire des fiches de poste (quand elles existent !) témoigne de cet attachement à la dimension communautaire. Les recruteurs sont généralement sensibles à la diversité, aux activités de bénévolat, aux parcours non linéaires. Un trou dans un CV, parce que le candidat a voulu s’octroyer du temps pour découvrir, voyager, réfléchir, est vu comme un atout. Idem pour un changement d’orientation professionnelle d’un candidat en quête de sens. Ancrées dans la territorialité, les coopératives sont souvent en lien avec des organisations locales d’insertion et accueillent de nombreux stagiaires. Une façon d’apporter leur contribution sociale et d’entretenir un vivier de candidats. Elles se démarquent ainsi des entreprises classiques qui opèrent dans un champ plus vaste et accordent plus d’importance aux diplômes.

Fuyant les inconvénients du cloisonnement et de la verticalité, les coopératives privilégient le recrutement en mode participatif. L’avantage vient notamment de ce que les salariés sollicités ne cherchent pas à survendre leur entreprise. Cette transparence pousse le candidat à être lui aussi dans l’authenticité. Pour lui faire prendre conscience de son rôle dans un projet collectif qui a du sens et une histoire, une grande attention est par la suite accordée à l’accueil, à l’intégration et à la formation de la personne embauchée.

Une relation qui s’inscrit dans la durée 

C’est une relation durable qui est proposée aux salariés. Jean-Yves Juban (1) utilise le néologisme de « sécuflexibilité » car, à l’inverse de la flexicurité, la priorité dans les coopératives est donnée au maintien des emplois et à la recherche d’une flexibilité interne et qualitative. La polyvalence est ainsi préférée aux CDD et à l’intérim. Dans cette perspective d’implication et de fidélisation, les aménagements des conditions de travail aux vulnérabilités de chacun font partie intégrante du projet d’entreprise. L’esprit de compétition et le chacun pour soi ne sont pas de mise. À tel point que les entretiens professionnels, loin de déboucher sur la fixation d’objectifs individuels, constituent le plus souvent l’occasion de questionner le ressenti du salarié. Il s’ensuit que les membres de la coopérative se sentent dégagés de toute obsession court-termiste de performance. Ce rapport singulier au temps, au travail et aux personnes fait partie de l’identité de la coopérative. 

Rémunération, le talon d’Achille des coopératives ?

Illustrant un pan des travaux de David Graeber (2) sur les bullshit jobs, la crise sanitaire a mis en avant le décalage entre le package rémunération avantageux de certains postes à l’utilité sociale parfois douteuse et la faible rémunération des postes “d’en bas” pourtant indispensables au maintien de l’activité. Imprégné par la valeur de l’égalité, le modèle de la coopérative restaure du bon sens en faisant le choix d’un faible éventail des salaires et d’une absence de primes individuelles. S’il est toujours salutaire de mettre en avant le travail réel et la dimension communautaire de l’organisation, le dénigrement de la logique financière peut cependant conduire à sous-estimer l’importance des niveaux de salaires. On comprend bien que l’objectif des coopératives n’est pas d’attirer et de retenir des personnes au profil individualiste. Mais la volonté de participer à une aventure collective n’écarte pas le désir des salariés d’être reconnus financièrement pour le travail réalisé, tout particulièrement lorsque la coopérative connaît une croissance témoignant de sa bonne santé économique. 

Au-delà de ce point de vigilance sur les niveaux de salaires, les pratiques de GRH généralement en vigueur dans les coopératives ont un côté exemplaire de par l’attention portée aux personnes, à leur diversité, à leur intégration dans une communauté, à leur bien-être au travail. Il ne s’agit pas à proprement parler d’exemples à imiter, car le one best way n’existe pas en GRH. Il s’agit plutôt d’exemples dont les DRH des entreprises classiques peuvent s’inspirer dans la perspective de renforcer leur engagement RSE et leur marque employeur, d’améliorer l’expérience candidat/collaborateur et de gagner en capacité à traverser collectivement les crises.
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(1) JUBAN J-Y. (2015), « Les scop relèvent-elles d’un modèle de GRH homogène ? enseignements d’une recherche de terrain », @GRH, Vol. 15, n° 2, p. 79-98.

(2) GRAEBER D. (2018), Bullshit Jobs, éd. Les liens qui libèrent.

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