On connaît les vertus du management visuel pour les équipes projet (Dans cet article, nous parlons indifféremment de projet ou de programme). On s’intéresse moins à son apport pour le top management, quand il anime des revues de projet opérationnelles sur le terrain, en s’appuyant sur le management visuel et en pratiquant le Gemba. Et pourtant, les bénéfices sont significatifs.

Précédemment, nous avons insisté[i] sur l’apport du Lean management pour répondre aux enjeux de performance des programmes et notamment la mise en œuvre du management visuel, qui permet de booster les équipes projets et de rester aligné sur les enjeux et les objectifs.

Mais le Lean management permet d’aller plus loin. En effet, en déployant la première brique, le management visuel, la direction de projet crée les conditions pour modifier radicalement sa relation avec le top management, au bénéfice de l’entreprise. Cette transformation peut être analysée à travers 4 prismes : la perception du terrain par le top management, sa capacité à relayer les décisions projet, sa compréhension de la déclinaison opérationnelle de la stratégie et enfin son rôle de promoteur de nouveaux talents.

Le top management voit la vraie vie

En général, le travail du top management consiste à analyser en chambre un reporting. Dans ce type d’exercice, le dirigeant doit recréer la réalité terrain à partir de données consolidées et prendre des décisions, en s’appuyant uniquement sur des chiffres, des courbes, des graphes... Le management visuel est un moyen efficace de faire mieux, en pratiquant le Gemba, c’est-à-dire en faisant venir les dirigeants sur le terrain.

On connaît tous les visites « terrain » des dirigeants. Cela se traduit par un exercice de style, où toutes les équipes se préparent, répètent et délivrent aux dirigeants un « discours choisi et feutré » appris par cœur. En général, le dirigeant retire très peu de ces déplacements.

Pratiquer le Gemba, c’est bien autre chose. C’est une immersion du top management dans la vie opérationnelle des équipes. Et c’est précisément le management visuel qui offre la possibilité au top management d’organiser des revues de projet sur le terrain. Cela facilite un échange direct et concret avec les équipes autour des arbitrages à réaliser, des orientations à suivre et de l’appui à apporter, sur la base des informations présentées sur les panneaux. Les équipes ne récitent plus un discours appris à l’avance. L’équipe et le top management ont changé de posture ; les uns et les autres sont dans l’écoute mutuelle et l’échange s’articule autour d’un seul objectif : servir les clients, le projet et l’entreprise.

Le management visuel contient toute la vie de l’équipe projet, ses succès, ses inquiétudes, ses doutes… Il est donc le médiateur unique et riche entre l’équipe projet et le top management. C’est à travers la pratique du Gemba que ce dernier peut trouver des pistes pour comprendre la vraie vie de ses équipes. Le Gemba autour du management visuel fournit au top management le son, quand le reporting fournit l’image.

Le top management suit les décisions des N-1

L’un des actes les plus importants, les plus forts du management, est certainement lié à la confiance donnée et montrée à une équipe, parce qu’on sait qu’elle va réussir. Pour le top management, faire confiance à une équipe signifie lier son propre destin à celui de l’équipe. Or, souvent éloigné du terrain, le top management discute, voire remet en cause les orientations et les décisions des équipes projet, simplement en analysant un reporting et en se faisant son idée de cette réalité opérationnelle.

En pratiquant le Gemba et en allant discuter avec l’équipe projet, le top management vit différemment son rôle. Il prend conscience de la pertinence de la décision « projet », fruit d’une rationalité et d’une réflexion collective. Son rôle change naturellement. Sa priorité n’est plus de challenger systématiquement toutes les décisions prises dans le cadre du programme mais de les appuyer et faire en sorte qu’elles soient mises en œuvre très vite, avec tous les moyens nécessaires. En pratiquant le Gemba, le top management ne demande plus aux managers pourquoi tel choix a été fait ; il demande comment il peut aider, car il a confiance en l’équipe qu’il connaît bien et pratique régulièrement. De censeur en chambre, il devient levier d’action et use de tout son pouvoir pour accélérer la mise en œuvre des décisions de l’équipe projet.

Le top management mesure l’écart entre sa vision et sa mise en œuvre par les troupes

Au sommet de l’organisation de l’entreprise, le top management a une vision et des valeurs, qu’il communique et matérialise à travers une stratégie et une feuille de route. Mais comment être sûr que cette stratégie et ce plan de route sont clairement compris et déclinés par les équipes ? C’est précisément en allant sur le terrain, par le truchement des échanges autour du management visuel, qu’il va voir et percevoir comment les équipes se sont appropriées cette vision et ces valeurs dans leur activité. Les objectifs ont-ils été bien compris ? Les principaux jalons de l’année sont-ils connus et utilisés ? Les valeurs sont-elles respectées dans la vie d’entreprise ? A travers ces discussions orientées projet, il peut ainsi mesurer des écarts (mineurs ou significatifs), qui peuvent souvent expliquer pourquoi les objectifs ne sont pas atteints et pourquoi les comportements ne sont pas alignés sur les valeurs. Fort de cet enseignement de première main, il peut entamer une résolution de problème et identifier les causes à l’origine de cet écart. Il peut donc mettre la dynamique d’amélioration continue au service de la vision. Il peut également tenir compte des retours terrain, afin d’ajuster la stratégie et les valeurs, en les rendant plus facilement compatibles avec les contraintes opérationnelles.

Le top management cherche plus de leaders et moins de héros

Depuis quelques années, les dirigeants se sont clairement rendus compte que le rôle et les qualités d’un bon manager ont évolué. Aujourd’hui, la principale qualité du manager est d’être capable d’animer et de motiver une équipe. Le manager est celui qui mobilise les énergies dans la durée et qui est capable d’orienter son équipe dans une direction cohérente avec les objectifs de l’entreprise. Il doit être capable de concilier toutes les contraintes de son environnement et de traiter les problèmes quand ils arrivent, sans les mettre « sous le tapis ». Et cela en permanence, dans un écosystème varié et souvent aléatoire. Tout cela est encore plus vrai pour un projet, qui constitue un exercice difficile : nombreuses contraintes (coûts, délais, qualité), acteurs de tous horizons (équipes internes, sous-traitants, clients), risques et aléas permanents…

Face à cette évolution des compétences du manager idéal, le top management doit veiller à valoriser d’autres succès que ceux obtenus en mode « héros », c’est-à-dire obtenus coûte que coûte, au détriment de tout le reste, à « l’arrache ». Il doit veiller à détecter très tôt ces nouveaux managers, plus leader que héros, plus mobilisateur que franc-tireur. Il doit les mettre en situation et les appuyer pour mettre ces talents au service des projets majeurs.

En conclusion, nous souhaitons insister sur le fait que le déploiement du Lean management constitue une véritable opportunité pour le top management. Celle de pratiquer le Gemba, pour comprendre mieux la réalité opérationnelle. Celle de comprendre les décisions des directions de projet, afin d’aider à leur mise en œuvre. Celle d’entrer dans une amélioration continue de la stratégie et des valeurs de l’entreprise, en allant constater régulièrement comment cette stratégie et ces valeurs sont réellement comprises et mises en œuvre. Celle enfin de faire émerger les managers de demain, les leaders qui sauront mobiliser les équipes, au service des enjeux et des objectifs de l’entreprise. Sur ce point, le top management doit étroitement travailler avec la DRH. Cela nécessite en effet l’émergence d’un leadership Lean. Il faut ainsi concevoir et déployer des formations adaptées pour les managers et les collaborateurs, un accompagnement / coaching spécifique et ajuster les modes d’évaluation de la performance individuelle. Pour être efficace et pérenne, cela doit s’inscrire dans une démarche GPEC construite, c’est-à-dire s’inscrire au cœur même de la stratégie et des valeurs de l’entreprise, portées précisément par le top management.

Dans nos prochains articles, nous analyserons deux derniers aspects de l’efficacité du management visuel pour les projets / programmes : le management de la qualité et la capacité à anticiper.


[i] Cf. nos précédents articles : « Pourquoi déployer le Lean management dans les programmes ? » et « Le management visuel pour booster les équipes projet et rester aligner sur les enjeux et les objectifs » parus respectivement le 15/09/21 et le 12/10/2021 dans RH Info

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