Je souhaite me faire ici l’écho d’une conversation que j’ai eue avec un manager fort expérimenté, de ceux que l’on dit de la « vieille école ». J’ai pensé que son propos pourrait être fort inspirant pour ceux de la « nouvelle »… mais comme il n’a pas souhaité apparaitre sous son nom propre – vu le coté incisif de ses opinions –, j’ai décidé d’assumer son discours.

La « gestion du personnel », me dit-il, recouvrait autrefois un ensemble de réalités à dominante administrative, axée sur le collectif et les contraintes obligatoires liées à l’emploi de personnes humaines. Puis on a voulu ajouter, au traitement des aspects légaux, une gestion politique et stratégique du personnel, et on a baptisé ça : « direction des ressources humaines ». Peut-être que si l’on avait parlé des « ressources DES hommes »… aurions-nous évité certaines confusions.

Certains peuvent se dire : « ressources humaines » ou « ressources des hommes »… quelle différence ? C’est bien simple : la différence qu’il y a entre une chose et un sujet personnel. Les hommes « ont » des ressources, qu’ils peuvent mettre à la disposition de l’entreprise à travers leur professionnalisme. Mais ils ne sauraient être considérés eux-mêmes comme des ressources sans se trouver chosifiés, ravalés au rang de simples moyens de production ou de consommables.

Appliquée à l’homme, la « ressource » renvoie en effet à une dimension d’objet, un moyen à « exploiter » de manière optimale, visant la rentabilité de chaque poste et emploi, n’intégrant les réalités personnelles que comme des données-objets au profit d’une organisation néo-scientifique du travail, une sorte de taylorisme appliqué au traitement des « forces humaines au travail ».

« Ressources humaines »… ces deux mots accolés peuvent donner l’illusion aux salariés que leur « humanité » est prise en compte par l’entreprise, et presque même – c’est à la mode – que leur entreprise pourrait avoir une responsabilité dans leur épanouissement !

Mais dans bien des cas, seule leur réalité « d’agent économique » intéresse l’entreprise : les ressources dites « humaines » gèrent les « agents économiques » humains, c’est à dire des forces de travail dont la nature et la forme ne sont pas mécaniques ou technologiques, mais "humaines" ; c’est tout. Et encore les progrès de la technologie et de l’intelligence artificielle sont-ils en passe de palier à bien des défauts que présentent les êtres humains !

Nous pourrions nous dire que le fait d’être regardé comme une ressource comporte des compensations matérielles qui devraient suffire à nous satisfaire. Mais au contraire, tout se passe comme si l’impressionnante facilité que nous avons à satisfaire indéfiniment nos besoins matériels mettait en relief, par contradiction, l’acuité d’un désir de relation et d’humanité plus authentique, plus réel. Car l’homme a besoin, pour vivre, d’être considéré comme un sujet personnel : il a besoin d’être « quelqu’un », et pas seulement « quelque chose » ! C’est précisément en cela que la notion d’empowerment prend aujourd’hui tout son sens.

Sans doute faudra-t-il inventer à l’avenir une gestion des ressources des hommes, c’est à dire restaurer le travail dans le sens du Bien Commun, parce que l’Homme en est la finalité, renouant par là avec ce que l’on appelle « le politique » : c'est-à-dire l’art de veiller au bien du « Tout », tout en permettant à chacun d’y trouver sa place et de s’y accomplir comme sujet de confiance, d’autonomie et de responsabilité.

Conclusion de mon interlocuteur : "Les effets, en termes de créativité par exemple, seraient certainement très largement supérieurs à ceux engendrés par la lassitude, la démotivation et le cynisme ambiant."

Dont acte.

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