On m'en avait fait des demandes étranges en matière de prestation et de coaching, mais là je dois avouer que celle-là m'a stupéfié... Il y a quelques jours, je rencontre une responsable formation d'une très grande entreprise. Elle m'explique que suite à des changements organisationnels beaucoup de salariés semblent désemparés. C'est du moins le résultat d'une enquête interne mise en place par un cabinet spécialisé. Les voyants sont au rouge et il convient sans tarder de mettre en place des actions correctives. Ce qui ressort de l'étude – comme c'est souvent le cas- c'est un management obsolète qui ne tient pas compte des difficultés d'adaptation des collaborateurs au changement et qui contribue ainsi au stress vécu par les équipes au quotidien.

Avant de vous en dire plus sur cette demande incongrue, prenons quelques instants pour repréciser ce qu'on entend par RPS. 3 lettres qui en disent long pour les initiés mais qui restent encore sibyllines pour les néophytes. Et comme vous le savez très bien, souvent ce qu'on ne connait pas fait peur !

Les RPS (risques psychosociaux), ce sont les risques professionnels susceptibles de porter atteinte à la santé physique ou psychique des salariés. Les trois sujets qui reviennent le plus souvent en la matière sont le stress, les harcèlements (moral/ sexuel), les violences internes ou externes... Les violences internes sont celles qu'on vit à l'intérieur même de l'entreprise, les violences externes sont celles auxquelles on est exposé par l'agression de personnes qui n'en font pas partie (clients, fournisseurs, autres entreprises...)

Vous pouvez répéter la question ?

Venons-en à présent à la demande qui m'est faite... « Pourriez-vous mettre en place pour nos managers une formation pour les sensibiliser aux RPS mais sans parler de RPS ? ». Vous venez de relire la phrase ? Vous avez bien fait. C'est exactement ce que j'ai fait aussi. J'ai demandé à la responsable de formation de répéter... Je voulais être sûr de ne pas avoir mal entendu... Non, c'était bien cela. Je ne manquais pas de lui demander comment et pourquoi je devais animer une formation sur un sujet que je ne devais pas mentionner... Elle me répondit alors « les RPS, ça fait peur... ».

C'était donc ça. Les RPS avaient quelque chose d'effrayant en soi et représentaient pour elle un sujet tabou... Comme une maladie contagieuse dont on ne veut/peut pas parler. Franchement, j'eus presque envie de lui demander si elle ne confondait pas, du fait de la proximité des sonorités, RPS et herpès... Mais je me retins. L'heure n'était pas à l'humour. Il était question de collaborateurs en souffrance. D'ailleurs, lorsque je prononçai ce dernier mot, je la vis sursauter... « C'est bien de cela dont il s'agit, mais il faudrait aussi éviter d'utiliser ce mot...). C'était le deuxième terme tabou de cette future formation. Mal-être passe encore, mais avec « souffrance » on franchissait un cap à ne pas dépasser...

Appeler un chat un chat

Mon premier objectif dans la construction de cette mission fut de faire comprendre à l'intéressée qu'on ne peut avancer avec des non-dits. Sortir du mal-être pour s'approcher dans le meilleur des cas du bien-être, cela passe nécessairement par l'impériosité de dire les choses, de les officialiser. Si l'on ne reconnaît pas la souffrance des collaborateurs, on peut difficilement lutter contre. Imaginer un médecin qui, de peur de heurter ses patients, déciderait de ne jamais nommer les maladies dont ils sont atteints... « Vous avez une maladie grave... Nécessitant un congé de longue durée... Vous allez devoir subir une petite intervention chirurgicale et des séances de chimiothérapie. En six lettres. Ça commence par un C et finit par un R. » On se croirait dans une grille de mots croisés... Non, définitivement, on ne joue pas aux devinettes lorsque la santé des personnes en dépend et il est bel et bien essentiel de nommer le mal pour le combattre.

Je voyais progressivement mon interlocutrice en prendre conscience et tenter de me rejoindre bien qu'assaillie par mille craintes... Elle se souciait de l'image de l'entreprise en interne comme vis à vis de l'extérieur... Je dus là encore la rassurer. Rien de déshonorant pour une entreprise de mettre en place des actions visant à faciliter le quotidien des collaborateurs en touchant notamment la ligne managériale. En revanche, ne rien faire quand on a constaté qu'une partie considérable des effectifs connait des difficultés d'adaptation dans un environnement mouvant dans lequel le changement n'est pas accompagné, peut se révéler être non seulement dangereux mais également préjudiciable sur le plan pénal.

Elle finit par convenir du fait qu'il valait mieux assumer (valable dans tellement de circonstances...). L'entreprise se devait d'assumer aux yeux des collaborateurs -et tant pis ça devait se savoir au-delà- qu'elle avait failli, qu'elle avait privilégié la rapidité dans la mise en place des changements au détriment de ceux qui allaient devoir les vivre. En voulant aller plus vite, trop vite, l'entreprise est désormais obligée de réparer les dommages en cours et d'éviter que la situation ne se dégrade.

Prévenir plutôt que guérir

Il en est ainsi en matière de gestion des RPS. Les 3 préventions -que connaissent bien les experts en la matière- ont toujours des occasions de résonner à l'étage de la Direction et des RH. Lorsqu'on n'a pas suffisamment anticipé, on devra donc, s'inscrivant dans la prévention tertiaire, mettre en œuvre des mesures curatives... Le mal est déjà là, il a gangréné l'entreprise. Il faut le stopper. Il faut aider ceux qui en ont été victimes à s'en sortir le mieux possible, colmater les plaies.

Si on avait agi plus tôt (prévention secondaire) on aurait mis en place d'autres actions. On aurait combattu le mal à la racine et le traitement aurait éradiqué l'infection beaucoup plus vite...

Mais on aurait pu également faire mieux ! Anticiper (prévention primaire) Comprendre que, dans une entreprise, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Des changements mis en place dans une structure ne sont pas reçus de la même façon par tous les collaborateurs. Et ceux qui les vivent moins bien ne doivent pas être incriminés, considérés comme des « maillons faibles »... Eux aussi sont indispensables à l'entreprise. Ils ont juste une sensibilité différente qu'il faut prendre en compte.

Expliquer le changement. Donner du sens. Impliquer les collaborateurs qui, parfois, sont bien placés pour savoir de quels changements l'entreprise a besoin ou les risques inhérents à ceux qui ont été décidés en haut lieu... Il y a tellement à faire. C'est un peu d'investissement, pour une belle récolte... A contrario, devoir réparer, cela coûte très cher, beaucoup plus cher... Et parfois, c'est irréparable...

Ma cliente et moi, nous ne nous sommes pas serré la main. Ce n'est plus très tendance depuis deux ans. Mais en nous disant au revoir, nous étions tombés d'accord.

Je me sentais bien – et pas seulement parce que je venais de décrocher un nouveau contrat ! – Je me sentais bien parce que je m'étais senti utile, parce que je pensais à ces collaborateurs que je ne connaissais pas encore mais que j'allais aider à vivre un peu mieux... Je me sentais bien parce que j'avais, en un seul et même rendez-vous, pu revêtir à tour de rôle mes trois casquettes : formateur, coach et « préventeur ».

On ne le répètera jamais assez : faire du bien, c'est tellement agréable. Essayez, vous verrez !

Tags: RPS Management GRH