Dans des webzines comme RHinfo, on y lit des commentaires et astuces pour que son lectorat se sorte plus facilement des tracas qui l'accablent. Et dans d'autres dont le lectorat sont des chercheurs d'emploi, on y publie d'autres formes de conseils qui ont le même but. Mais je ne vois nulle part de publications visant à (ré)concilier ceux qui gèrent ce qu'on appelle des « ressources humaines » et lesdites ressources, celles qui travaillent dans leur entreprise, ou qui voudraient y travailler. En effet, si la pratique des « entretiens annuels » s'est généralisée, elle ne se pratique pas dans le but d'éclairer les gens dans leur carrière, de leur faciliter leurs changements d'employeurs. L'entreprise « capte » une personne, l'incite à s'épanouir, mais agit comme si elle était sa « possession », l'aurait privée de sa liberté d'aller et venir d'emploi en emploi. Le travailleur se trouve donc livré à lui-même, et peut ignorer pour des raisons qui seraient de nature des troubles autistiques, des effets qu'il induit sur les autres quant à la perception « secrète » qu'ils ont de lui.

Soi et les autres

En effet, il est notable, bien que peu explicite, que ce l'on est et ce que l'ont fait produit une image de soi aux autres, et qu'ils vous jugent comme un ami ou un ennemi. L'ami vous sera propice, vous aidera à accomplir vos projets, tandis que l'ennemi vous sera néfaste, nuira à votre avenir. Or il est tout à fait possible d'être dans une position d'ami ou d'ennemi en imaginant que c'est l'inverse. De proposer à quelqu'un de contribuer amicalement à son existence, son essor, mais que lui voit en vous un ennemi, quelqu'un qui va troubler son existence, ruiner sa vie. Dès lors, quand une organisation s'adjoint une nouvelle ressource, les autres ressources déjà présentes ne le verront pas toutes d'un bon œil, mais de cela personne n'en parle, comme un « secret de Polichinelle ».

La raison de ce silence peut être culturelle. On parle en effet de « monde », ce qui sous-entend une pureté, une netteté, parfois de « cosmos », qui sous-entend des éléments ordonnés, rangés, mais moins souvent de « système », c'est à dire des éléments reliés en réseau, et fonctionnels les uns par rapport aux autres. Les anglophones utilisent le mot « world » qui désigne le lieu où vivent des êtres, dont la traduction par le grec correspond à « œcuménique », le fait d'habiter la même maison (oikos). Comme nous voulons nous croire vivant dans un monde, nous ne voyons pas que c'est un world dans lequel des individus se livrent à une âpre compétition, ne veulent pas se retrouver écartés de la gloire et du pouvoir. Dans la maison règnent des jalousies. Être jaloux, nous dit Aristote, c'est être envieux des qualités de quelqu'un d'autre, ce qui soit motive à se surpasser pour l'égaler ou le dépasser, donc à être zélé, soit conduit à le mépriser, le dénigrer, et lui faire obstacle.

L'organisation comme jardin

La DRH, et les recruteurs, sont donc des organisateurs d'une large compétition pour laquelle les concurrents ne doivent pas être confrontés à un champion qui les rendrait négativement jaloux, ou les découragerait. Ce n'est pas comme les Jeux Olympiques où l'essentiel est de participer, c'est plutôt comme Koh Lonta où les plus mauvais se retrouveront ostracisés. Les anglais appellent cela le « tall puppy syndrom », de couper les têtes qui dépassent, les coquelicots trop grands. Cela se pratiquait déjà à Athènes dans l'Antiquité. Et paradoxalement, avec les « entretiens annuels » qui fixent des objectifs de progression, on cherche à faire grandir les « coquelicots », quant ça n'est pas d'éliminer du jardin ceux qui poussent de travers, nuisent à l'harmonie de l'ensemble. Qui donc osera alors qualifier ceci d'humanité ? N'est-ce pas une aliénation de l'homme que le traiter en végétal ?

Comment alors devenir un méta-jardinier pour que les individus membres d'un collectif, qui s'y sont associé par leur engagement, le fait qu'ils perçoivent des gages, un salaire, vont être accompagnés non pas dans le strict intérêt de cette organisation, mais dans l'intérêt de ces personnes ? Car il n'est plus un mystère que l'essor des organisations fluctue, que si certaines embauchent, d'autres qui ont des difficultés débauchent. Si aujourd'hui vous avez le vent en poupe, il tournera peut-être demain et vous l'aurez de face. Traiterez-vous alors les gens qui avaient embarqué dans votre aventure comme des naufragés qu'on équipe d'une bouée et à qui on souhaite bonne chance, à l'instar des montgolfières qui abandonnent du poids quand le temps se rafraîchit ? Une prudence avisée aurait plutôt conseillé de donner à ces collaborateurs les moyens de sauter de branche en branche, selon comme elles ploient. Car en terme de « marque employeur », ça serait glorieux et attractif.

Où trouver une ressource ?

La ressource nécessaire pour cela est-elle alors de faire appel à des psychologues du travail, car on n'entend peu de gens alerter les autres sur ce qu'ils font, les mettre en garde des conséquences de leurs choix. Dans notre « système » ancien, le lien de subordination inhérent au salariat fait que l'employeur est un « chef » qui décide de ce que les salariés doivent faire, et donc devenir. On y conçoit également une permanence de l'emploi, une sécurité, plutôt qu'une flexibilité, fluidité, mobilité. Au lieu de vivre en étant préparé aux fluctuations de l'existence, de savoir que demain ne sera peut-être pas comme aujourd'hui, on se comporte comme si la situation présente sera éternelle. Et on se déresponsabilise de garantir un réel avenir serein à ceux qu'on emploie. Au lieu de contribuer à leur agilité, leur résilience, on s'applique à les scléroser dans ce qu'ils font. L'emploi devient comme une scène sans fin dans une pièce de théâtre, au lieu d'une page d'un livre que l'on feuillette.

Mais les plus conservateurs sont peut-être alors les financiers, les banquiers, qui n'octroient de prêts qu'à des gens qu'ils pensent certains de pouvoir les rembourser. Ce qui fait qu'au lieu d'un essor stimulé par l'emprunt, il serait peut-être sage d'organiser un auto-financement, et que ceux qui ont beaucoup d'argent l'emploient autrement. Et donc que les entreprises soient moins « rivées » à une activité, et se diversifient au gré des modes. On pourra penser à Kodak qui a eu bien du mal à se reconvertir, et donc à la nécessité que des employés, s'ils veulent rester dans votre organisation, se dotent d'un appétit d'évoluer, d'apprendre de nouveaux métiers. C'est donc plus sur cette forme de ressource psychologique qu'il faudrait s'appuyer, sur une éducation à un monde instable, VUCA.

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