La fracture numérique est devenue révolution digitale. Chacun l’appelle plus positivement transformation digitale. Pourtant quel que soit le terme utilisé, les organisations sont aujourd'hui confrontées à une rupture profonde durable et encore difficilement concevable de leur environnement comme dans leurs modes de fonctionnement. Déjà en marche avant la crise du COVID, cette réalité est désormais incontournable puisque confinements et restrictions ont profondément modifié les modes de travail et les modèles de consommation.

Vous avez dit « transformation digitale » ?

Cette transformation – utilisons ce terme puisqu’il fait unanimité – est multidimensionnelle comme rarement cela a pu être dans l’histoire récente. Elle fonde désormais la relation client comme la relation collaborateur puisqu’elle touche l’organisation, la hiérarchie, le pouvoir, la confiance, la performance, les processus, la compétence, l’employabilité, l’utilité économique et sociale, l’éthique même.

Comment anticiper ces phénomènes d’innovation qui quelques mois auparavant semblaient inimaginables ? Chaque « keynote » d’Apple ou d’un autre GAFA apporte son lot de solutions nouvelles, révolutionnaires. Eux-mêmes sont parfois dépassés par la manière dont le client va utiliser leur innovation, lui donnant une nouvelle dimension. Si ces entreprises fondées sur l'innovation sont parfois dépassées, que dire des entreprises classiques dont le mode de fonctionnement semblait immuable, basé sur une organisation de compétences historiques et de hiérarchies déterminées souvent par le pouvoir et plus rarement par le service.

Une transformation des comportements

Le consommateur ne s’y trompe pas et s’y laissera prendre probablement de moins en moins. Il délaissera peu à peu ces fournisseurs habituels pour en choisir d’autres et cela de plus en plus vite, de manière de plus en plus imprévisible et jamais définitive. Son comportement – notre comportement à tous – a entamé sa mue profonde, nos exigences évoluent de manière imprévue renvoyant au rebut des années d’études marketing et de certitudes universitaires ou managériales.

Ce tableau sombre de la révolution digitale est pourtant le plus probable. La France y est et y sera confrontée de plus en plus, à l’aune de sa transformation largement engagée de l’économie industrielle vers l’économie de services immatériels...et donc « digitalisables » le plus aisément. Par Google art quiconque peut visiter n’importe quel musée au monde, par Uber se passer des services taxés par l’Etat, par Airbnb des meilleurs sites de booking. Tout cela génère une économie non réglementée pesant à côté de l’économie réelle et administrée… une économie humaine. Est-ce pour autant un progrès ? Ce n’est pas évident à constater les conditions de travail des Deliveroo et autres travailleurs de force.

Face à tout cela, l’enjeu le plus considérable est humain, un enjeu bien plus important que les avancées technologiques et même que la refondation de l’expérience client présentée désormais comme l’alpha et l’omega de la transformation digitale.

Avons-nous encore besoin de compétences professionnelles ?

Ce ne sont plus les compétences qui sont remises en cause, c’est leur utilité même. Comparons cette rupture de compétences à la disparition des cochers quand chacun a pu conduire son propre véhicule. Cette métaphore curieuse – j’en conviens – porte pourtant les mêmes caractéristiques. Une compétence ancestrale, indispensable pendant des siècles devient obsolète. Les cochers ne sont pas subitement devenus incompétents...leur compétence est juste devenue sans objet et inutile.

De nos jours, interrogeons-nous sur la compétence du vendeur. Elle est historiquement fondée sur ses savoirs pour convaincre le client. Est-elle encore utile aujourd’hui pour vendre des services immatériels ? Probablement non car le client n’attend plus cela de son interlocuteur. Sur-informé, hyper renseigné et disposant de tous les éléments de comparaison en prix comme en qualité, il n’attend plus le savoir du vendeur mais son savoir-faire pour le réassurer. Pire, le client est capable à tout instant de remettre en cause les connaissances et le discours du vendeur car il peut en contrôler les éléments instantanément.

Et encore, cette hypothèse est fondée sur le fait que le client ait jugé bon de rencontrer le vendeur alors que peu à peu il déserte les lieux physiques d’achat pour se concentrer sur la plateforme mondiale de services et de biens.

Le vendeur est -il devenu incompétent ? Évidemment non, mais sa compétence est devenue inutile....

Autre exemple de cette révolution digitale. Une appli offre bien souvent plus de marges de manœuvre et d’options de décision à l’acheteur en ligne qu’au conseiller ou au téléconseiller qu’il contactait auparavant. Cette situation est fréquente à tel point que dans certains services de téléphonie, votre interlocuteur vous donne des renseignements à partir de votre propre profil client...que vous êtes vous-même en train de consulter. Il n’en sait pas plus que vous mais lui parler vous rassure parfois.

Nous assistons donc, passivement, à une profonde inversion de système économique et cela interroge les rôles, missions, fonctions et compétences nécessaires aux organisations pour proposer, vendre et servir leur client.

Une révolution copernicienne

Paradoxalement, si les directions générales appellent de leur vœu la transformation digitale comme le graal absolu et incontournable des performances futures, mesurent-elles pour autant que leurs collaborateurs en sont souvent bien plus conscients qu’eux ? Et cela pour deux raisons majeures. Une qui leur est propre et qui veut qu’ils la constatent tous les jours au contact des clients. Les questions posées sont différentes, plus pertinentes, plus renseignées. Une autre qui devrait être partagée car est tour à tour consommateur et prestataire. Malheureusement, les dirigeants ne tirent pas toujours les conséquences de leur propre expérience de client pour remettre en cause profondément leur schéma organisationnel et impulser une révolution des processus et du management. Sont-ils aveuglés ou apeurés par ce qui est au fond la démonstration que leur autorité est devenue inutile aux yeux de leurs équipes et demain de leurs clients ?

Une évolution sociétale dans la conception du rapport au travail

Pour autant n’imaginons pas nous diriger vers un monde économique sans hiérarchie et sans organisation ni processus. En revanche, la révolution digitale porte en elle un élément fondamental de réponse aux enjeux cumulés de la RSE – au sens de la responsabilité sociale – des nouvelles générations et des évolutions du rapport au travail. L’exigence de la cohérence entre discours et actes est déjà renforcée par la capacité de chacun à en vérifier la véracité à tout instant par les réseaux sociaux. L’exigence de confiance est renforcée de son côté par les modes de travail collaboratif entre membres d’une communauté choisie ou de circonstances qui fait fi des hiérarchies et des organisations mises en place. L’exigence de liberté est enfin renforcée par la capacité de chacun à travailler quand il veut puisqu’il dispose d’un accès permanent à ses mails, peut s’envoyer des dossiers complets à son domicile et y travailler quand il veut et non quand l’organisation a prévu qu’il le fit.

Paradoxalement le télétravail a-t -il encore un sens puisque nombre de professions peuvent y recourir sans le déclarer. Certes, les métiers postés le demeureront et cela pose une autre difficulté. L’inégalité croissante créée par le digital entre les conditions de travail.

L’enjeu majeur reste un enjeu humain

Tels sont donc les immenses défis posés aux organisations et par voie de conséquence aux DRH. Leur enjeu est majeur des lors que l’on considère que l’employabilité est la première des responsabilités sociales de l'entreprise.

Nous le savons, il faut entre trois et cinq ans pour faire acquérir réellement une compétence nouvelle. Dans la vieille économie, ce temps est suffisant et adapté à l’évolution de l’exigence client. Dans la nouvelle économie ce temps est ridiculement long pour faire face à des évolutions de comportement consommateurs qui se comptent en mois plus qu’en année. Voilà le défi majeur de la transformation digitale qui est d'abord et avant tout un enjeu humain.

Il faut avoir le courage de dire à nos équipes – et à nos dirigeants- qu’a une échéance brève des métiers entiers vont disparaître et que d’autres vont se transformer dans des proportions telles qu’il faut plus parler de création que d’évolution. Retrouvons notre client. Il n’a déjà plus besoin de vendeur mais « d’après vendeur ». Quand il arrive pour acheter il sait déjà tout et s’il vient ce n’est que parce qu’il n’a pas trouvé d’autres solutions à distance, soit auprès d’une entreprise, soit auprès d’une communauté d’intérêts et de partage administrativement inexistante et humainement organisée.

Nous ferons la différence demain par l’expertise absolue dans la compétence. La dimension généraliste disparaîtra peu à peu puisqu’elle sera présente à distance. Nous ferons aussi la différence par l'excellence comportementale car la plus-value humaine viendra de la différence créée par l’individu lui- même et non par le produit qu’il vend ou promeut. C’est un enjeu enthousiasmant et inquiétant auquel nous devons répondre mais auquel les universités comme les écoles doivent aussi répondre.

Le DRH à la manœuvre !

Le DRH, confronté à ces enjeux de révolution de compétences, l’est aussi face à la révolution organisationnelle et managériale que cela suppose.

Retrouvons nos générations Y et Z, ces jeunes qui savent si bien fonctionner en réseau et se passer de nos modèles d’organisations et de hiérarchie pour réaliser leurs missions avec pertinence mais sans s’encombrer des process que nous tentons désespérément de leur imposer. Ils constituent la Génération W pour whatsapp !

À toutes questions ou demandes le premier réflexe est de se jeter sur son smartphone pour déjà vérifier si c’est utile, si quelqu’un ne l’a pas déjà fait et si une solution à distance ne serait pas plus adaptée. Finie la définition de projet avec ses objectifs stratégiques, ses feuilles de route et ses indicateurs de performance. L’heure est à l’efficacité pour faire aussi vite que possible ; ce qui est demandé non pas par goût immodéré de la productivité, mais par envie profonde de gagner son temps de liberté, d’équilibrer ses vies en maîtrisant le temps qu’elles consomment

Ces changements dans le rapport au travail sont de bon augure mais interrogent grandement les modèles de management, notamment hiérarchique. Chaque membre de l’équipe peut s’organiser en communauté et ne va reconnaitre de valeur qu’à la légitimité et de moins en moins à l’autorité. Recruter, promouvoir et reconnaitre reposent dès lors sur des critères humains bien plus que techniques !

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