On parle beaucoup de burnout, sans doute à juste titre. Mais toutes les situations éprouvantes au travail ne débouchent pas forcément sur cette pathologie de surcharge. Aussi serait-il inapproprié en termes de prévention de raisonner de manière binaire en se focalisant sur un seuil. En-deçà, tout irait bien. Au-delà, le drame, le burnout. La question qui se pose est bien celle des sources de l’épuisement excessif dont le fameux burnout peut en constituer la phase ultime, ou quasi-ultime si l’on considère également le risque de karoshi né au Japon, c’est-à-dire d’arrêt cardiaque consécutif à un sur-engagement intense sur une longue durée.

1. Les sources individuelles de l’épuisement

Nombre de personnes entretiennent un rapport au travail très passionnel. Or, plus on s’investit émotionnellement, plus on développe des attentes envers l’entreprise. Parce que la réponse à ces attentes tarde, on peut être tenté d’intensifier un investissement déjà important qui ne prendra fin qu’à l’arrivée d’un éventuel burnout. Cette pathologie frappe donc généralement des personnes très consciencieuses et ambitieuses. Partant du constat que les professions les plus touchées concernent des métiers d’aide tels que travailleurs sociaux, professionnels de la santé, enseignants ou éducateurs, Pascal Ide [1] assimile le burnout à une « maladie du don ». Pour lui, ces personnes n’éprouvent aucune difficulté à donner. En revanche, elles ont du mal à lâcher prise et à recevoir. Le burnout serait ainsi l’occasion pour les personnes affectées de relire leur existence et de progresser dans le don authentique. Gare au syndrome du sauveur ! Lors des formations de personnes intéressées par l’humanitaire, il est courant que les animateurs s’évertuent à faire passer comme message initial « Sauvez-vous vous-même avant de vouloir sauver les autres. » Donner est un art...

2. Les sources culturelles de l’épuisement

Si les entreprises japonaises ont longtemps tiré parti du sur-engagement associé à une forte culture du sacrifice pour le collectif, un effet boomerang appelé karoshi vient contrarier les perspectives. Depuis une trentaine d’années, des centaines d’employés ou de cadres japonais meurent tous les ans d’un excès de travail (semaines à 80h, prise partielle des jours de congés payés, etc.), amenant récemment le gouvernement à publier une liste noire des entreprises « fautives ». Si, comme l’ont montré les travaux du culturaliste Geert Hofstede [2], la culture française est davantage orientée vers l’individualisme que vers le collectivisme, il n’en demeure pas moins que certains adages tels que « impossible n’est pas français », « quand on veut, on peut » ou « à cœur vaillant, rien d’impossible » peuvent encourager des postures de démesure. Les images de prouesses héroïques renvoyées par la TV ou le cinéma entretiennent cette illusion de sur-puissance et d’idéal de perfection. La confrontation au réel est toute autre. Nombre de randonneurs ont payé de leur vie l’ascension du sommet de l’Everest pour avoir cru que la volonté permettait de tout surmonter...

3. Les sources organisationnelles de l’épuisement

Contrairement à ce qu’on croit souvent, l’épuisement ne correspond pas à une implication qui serait poussée trop loin. Car le problème vient moins d’un excès de travail que d’un déficit de sens de ce travail. Avoir beaucoup travaillé, même si l’on est fatigué, peut être une source de satisfaction pour la personne dès lors qu’elle a le sentiment d’avoir été utile. Les travailleurs comprennent le poids des contraintes externes qui poussent les directions à fixer des objectifs élevés. En revanche, ils ont plus de mal à admettre les blocages et résistances internes qui empêchent d’atteindre lesdits objectifs. Combien de fois des salariés (se) disent que s’il n’y avait pas telle personne malveillante dans l’entreprise, telle procédure rigide ou telle tutelle de contrôle, le travail pourrait être mieux fait et plus rapidement ? Autrement dit, l’épuisement n’est pas que quantitatif, lié à un excès, il est aussi et surtout qualitatif, lié à un manque, à un manque de sens auquel les travailleurs sont confrontés dans leur travail. C’est d’ailleurs ce qui pousse pléthore de cadres à quitter leur entreprise pour s’installer à leur compte : travailler plus pour gagner moins, mais avec la joie de réaliser un travail qui a du sens…

En définitive, c’est la responsabilité de chaque salarié que de prendre conscience de ces sources individuelles, culturelles et organisationnelles de l’épuisement au travail, afin de garder le recul nécessaire dans son rapport à sa vie professionnelle. Mais c’est surtout la responsabilité de l’employeur que de faire disparaître la « mauvaise fatigue » [3] générée par le déficit de sens. Ce qui suppose notamment d’éradiquer la « sur-organisation du travail » [4], perceptible dans la multiplication des procédures, indicateurs quantitatifs et reportings qui occulte le travail réel et qui épuise des salariés empêchés de bien faire leur travail. Attention à la dérive inverse, celle d’un laisser-faire généralisé qui favorise apparemment le pouvoir d’agir, mais occasionne un tel flou dans la répartition du travail et des responsabilités qu’il génère une épuisante conflictualité latente.
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[1] Pascal IDE (2015), Le burn out, une maladie du don, Éditions Emmanuel Quasar.

[2] Geert HOFSTEDE (2004), Cultures and organizations, Mc Graw-Hill Gb.

[3] Marc LORIOL (2000), Le temps de la fatigue. La gestion sociale du mal-être au travail, Anthropos (Sociologiques). 

[4] Jean-Pierre DUPUY (2012), Lost in management : La vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle, Seuil.

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