La rentrée dernière s’est opérée dans plusieurs secteurs et de nombreuses entreprises sous le signe des difficultés à pourvoir certains postes. Au point que le quotidien Les Échos a pu faire sa une sur « Les entreprises face au casse-tête des recrutements ». Depuis, le phénomène s’est encore renforcé.

Cette situation a certes une dimension conjoncturelle, avec des pics d’embauche aux moments de sortie espérée de la crise sanitaire. Mais il était allé croissant ces dernières années. Au point que le DRH du groupe Engie estimait avant la crise que les équipes incomplètes coûtaient 1% de son chiffre d’affaires à l’entreprise, année après année.

Quelle analyse du problème ?

La situation correspond de fait à deux pénuries différentes, l’une et l’autre à caractère structurel. La première renvoie à des besoins de masse dans certains secteurs peu attractifs, comme l’hôtellerie-restauration ou l’hygiène-propreté. La seconde relève d’une carence de profils qualifiés, dans des métiers en tension où les effectifs présents sur le marché sont insuffisants.

Ce second phénomène va s’amplifier. Selon une étude de Korn Ferry limitée à trois secteurs (les services financiers, les technologies, multimédias et télécommunications, l'industrie), la France manquera en 2030 d’un million et demi de talents adaptés aux besoins des organisations. Pour bien appréhender ce que serait alors le niveau de difficultés pour les entreprises, rappelons que ce chiffre est de 200 000 à 400 000 aujourd’hui, selon les sources.

Disons-le sans ambages : il ne fait aucun doute que ce phénomène de pénurie va s’accentuer au fil du temps et que beaucoup d’entreprises en souffriront voire en mourront, faute de disposer des compétences dont elles auront besoin pour poursuivre leur activité.

Confrontées à cette situation, des entreprises identifient et déploient des réponses à effet immédiat, visant à traiter de façon pragmatique les besoins de court terme : communication de recrutement, mesures ponctuelles en matière de rémunération, élargissement de la cible, etc. Ces actions sont indispensables, l’activité n’attend pas. Mais elles ont souvent un coût élevé et ne permettent pas de traiter durablement le problème.

Le DRH dispose de deux leviers pour apporter des réponses de long terme à ce problème de pénuries et permettre ainsi à l’entreprise de le dépasser structurellement.

  1. Construire une identité employeur différenciante

Au sein d’un même secteur touché par les pénuries, certaines entreprises ont beaucoup moins de difficultés que leurs concurrents. Il ne s’agit pas d’abord là des effets de leur communication en matière de recrutement : elles sont reconnues par leurs collaborateurs comme des employeurs de référence, avec des bénéfices clairement identifiés pour ceux-ci. Même à l’époque où Decathlon et son concurrent direct réalisaient le même niveau de chiffre d’affaires en France, le premier recevait 7 fois plus de candidatures spontanées que le second et 92% de ses collaborateurs se disant fiers de travailler pour cette enseigne.

Face au manque d’attractivité de certains métiers ou à la guerre des talents existant sur des profils qualifiés, la réponse parfois brandie est celle de la rémunération. L’approche est simpliste. Les leviers d’attraction, d’engagement et de rétention sont beaucoup plus larges.

Si McDonald's France n’a aucun problème de recrutement, c’est bien parce qu’en dix ans, cette entreprise est devenue un modèle en termes de promotion interne. Orangina est une entreprise fortement attractive du fait de l’autonomie et de la responsabilité données à ses collaborateurs, positionnés en entrepreneurs. Sur le marché tendu des jeunes ingénieurs pétroliers, Schlumberger est l’entreprise privilégiée par les candidats au regard des parcours possibles à l’international.

L’entreprise doit construire une identité employeur forte, en investissant prioritairement sur l’axe RH qui sert le développement de son activité. Elle deviendra ainsi dans son secteur l’employeur de référence. Cette approche apporte une réponse forte à l’une et à l’autre des pénuries.

  1. Mener un projet de Strategic Workforce Planning

Pour ce qui est plus particulièrement des profils qualifiés rares sur le marché, l’entreprise peut adopter une démarche d’anticipation. Non pas avec une approche de GPEC traditionnelle, source de défiance pour de nombreuses entreprises parce que spontanément associée à une démarche longue et complexe, type « usine à gaz », et éloignée des enjeux business. Mais en menant un projet de Strategic Worforce Planning structuré autour de quelques principes clés :

  • Cibler les métiers critiques, notamment ceux qui sont au cœur de la proposition de valeur de l’entreprise et qui font durablement l’objet de tensions sur le marché.
  • Associer étroitement à la démarche les directions opérationnelles concernées. D’une part elles ont la connaissance intime de ces métiers et de leurs évolutions. D’autre part ce sont elles qui auront à mettre en œuvre les plans d’action adoptés.
  • Travailler sur plusieurs scénarios. Réaliser des projections quantitatives et qualitatives ne revient pas à prédire l’avenir. Ces scénarios doivent être construits en fonction des hypothèses structurantes pour l’avenir de l’entreprise : évolution de son environnement de marché, choix stratégiques envisagés, etc.
  • Définir un équilibre entre les trois options possibles pour combler les écarts entre les ressources existantes et celles requises par l’avenir de l’entreprise : développement des compétences, recrutement en externe et mobilité interne.

Pour les métiers concernés, cette approche ne règle pas en soi les difficultés de l’entreprise à pourvoir ses postes au regard de la situation pénurique du marché. Mais en anticipant ainsi, elle lui permet de disposer d’un atout considérable : le temps. La situation n’est pas tout à fait la même lorsque la DRH doit pourvoir 15 postes de data analysts au plus vite et quand elle a identifié ce besoin un ou deux ans en amont et construit les plans d’action qui permettront d’y répondre à l’échéance.

Construire une identité employeur différenciante et mener un projet de Strategic Worforce Planning. Ces deux chantiers n’auront d’effets qu’à moyen terme. Mais le DRH n’a-t-il vocation qu’à éteindre les incendies ou ne doit-il pas aussi mettre en place ce qui permettra à l’entreprise dans le futur de disposer d’atouts considérables par rapport à ses concurrents ?

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