43% des salariés indiquent marquer plus fortement la limite entre leur temps de travail et leur temps personnel depuis qu’ils traversent cette crise sanitaire. 39% indiquent s’interroger sur le sens de leur travail et leur envie d’en changer. 74% ont le sentiment que leur entreprise fait ce qu’il faut pour les protéger de la Covid-19 depuis le début de la crise sanitaire.

Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé dans le rapport des salariés à leur travail et leur entreprise ? Quelles sont les réponses possibles en termes de management d’équipe au travers du management incarné QVT (1) ? Ce sont à ces deux questions principales que s’intéresse cet article, en trois temps :

  1. La crise sanitaire, les salariés, leur entreprise et leur travail : entre stabilités et fragilités.
  2. Le management d’équipe post-crise - temps 1 - l’importance de fixer le « cadre de travail », et quand cela est possible, incarner les valeurs de l’entreprise.
  3. Le management d’équipe post-crise - temps 2 - l’importance d’incarner les principes de la qualité de vie au travail dans le cadre de travail quotidien des salariés.

1. La crise sanitaire, les salariés, leur entreprise et leur travail : entre stabilités et fragilités

Le HRM Digital Lab de Institut Mines-Télécom Business School s’intéresse depuis deux ans aux conséquences de la crise sanitaire sur les salariés. Dans ce cadre, plus d’une trentaine d’entretiens ont été conduits avec des salariés de différents secteurs d’activité. En outre, une étude quantitative a été administrée en février 2021 puis en novembre 2021 auprès de respectivement 632 salariés et 494 salariés (2). Notons tout de suite que l’échantillon n’est pas un échantillon représentatif de la population active française dans les deux cas. C’est néanmoins un échantillon diversifié, toujours dans les deux cas : toutes les régions de France, tous les secteurs d’activité principaux, toutes les tranches d’âges, tous les genres sont représentés. Notons également que les personnes ayant répondu au questionnaire de février 2021 ne sont pas les mêmes que les personnes ayant répondu au questionnaire de novembre 2021. Cette étude a permis de relever un certain nombre de tendances :

  1. Les salariés ont le sentiment, pour une grande majorité, que leur entreprise fait ce qu’il faut pour les protéger de la Covid-19. En novembre 2021, ils étaient 74% à émettre un avis positif sur ce sujet contre 10% à émettre un avis négatif. Ces chiffres sont stables par rapport à ceux de février 2021.
  2. Ils sont 59%, en novembre 2021, soit près de 6 salariés sur 10, à indiquer que la crise sanitaire n’a rien changé quant au lien qu’ils avaient avec leur entreprise avant la crise. En novembre 2021 toujours, ils sont 13% à indiquer que la crise sanitaire a renforcé leur lien avec leur entreprise contre 15% à indiquer que la crise sanitaire a dégradé leur lien avec leur entreprise. Les chiffres montrent une légère tendance (environ 5%) à une augmentation du non changement du lien perçu avec l’entreprise par rapport à février 2021.
  3. De manière plus massive, 39% d’entre eux indiquent en novembre 2021 s’interroger sur le sens de leur travail et vouloir potentiellement en changer contre 32% à indiquer que la crise n’a rien changé. Ces chiffres sont stables par rapport à ceux de février 2021.
  4. Dans le même ordre d’idée, 36% des répondants indiquent s’interroger sur la pertinence de leur lieu de travail contre 43% à indiquer ne pas s’interroger sur ce point. Là aussi les chiffres sont relativement stables par rapport à février 2021.

Ces chiffres, couplés aux résultats des entretiens, dessinent des lignes du rapport des salariés à leur entreprise et leur travail qui oscillent entre stabilités et fragilités. Virginie, 35 ans, contrôleuse de gestion dans un grand groupe français vient de passer le cap. Elle a envoyé des CV dans d’autres entreprises de la région normande où elle vit et travaille. Elle a débuté ses premiers entretiens de recrutement. Son rapport à son entreprise, et plus particulièrement au management d’équipe pratiqué au sein de son entité, était compliqué avant la crise. La mise en place d’un système de contrôle intensifié lors des phases de télétravail (devoir pointer devant la caméra à heures régulières ou encore remplir des fichiers Excel sur les tâches réalisées durant la journée) a fini d’entamer sa confiance envers son management. Dominique, 46 ans, directrice de la production dans une PME agro-alimentaire en Île-de-France a connu un chemin inverse. La crise a généré de nombreuses tensions sur le système de production (absences liées au COVID notamment, délais de livraisons qui se sont allongés de la part des fournisseurs). Ces tensions ont été l’occasion de réfléchir à ce qui pouvait et devait être changé. Elles ont été l’occasion pour Dominique de mettre en avant, et en pratique, ses idées. Son lien avec son entreprise, et son management direct, s’est renforcé.

Le management d’équipe n’est pas le seul mécanisme qui joue un rôle dans le développement du lien d’un salarié avec son entreprise. L’actualité l’a montré pour certains secteurs en tension comme l’hôtellerie-restauration. Il est parfois nécessaire de revenir sur les basiques d’un emploi que sont la rémunération et les conditions d’exercice du travail. Néanmoins, et paradoxalement, le management d’équipe d’une entreprise n’est pas la raison pour laquelle un collaborateur rejoint une entreprise mais c’est fréquemment une des raisons qui l’en fait partir. En cette période marquée par des stabilités et fragilités, comment penser ce management d’équipe post-crise ? Qu’est-ce que le management incarné QVT et qu’apporte t’il ?

  1. Le management d’équipe post-crise - temps 1 - l’importance de fixer le « cadre de travail », et quand cela est possible, incarner les valeurs de l’entreprise

« Cadrer le travail est un préalable à l’action de chaque collaborateur. (…). C’est une action managériale forte qui fixe le « territoire de jeu » du collaborateur ». C’est ce que rappelle Sonia Levillain Desmarchelier dans son livre « La petite boîte à outils du management à distance ». C’est ce que vous rappellerait également Emmanuel Titeux au démarrage de l’une de ses formations sur le management d’équipe (3). C’est le sens de l’appel qu’avait lancé Andjélika Kichian dans l’un de ses articles pour RHinfo : « Management d’équipe : sortir des artifices ». Une partie d’échec, un tango, un match de rugby, le management d’équipe ont en commun le fait d’avoir un cadre. Autrement dit, sans cadre pas d’action individuelle et pas d’action collective.

Fixer un « cadre de travail », l’affaire est entendue. Mais comment fixe t’on un « cadre de travail » ? Pour Sonia Levillain Desmarchelier, le cadre de travail est constitué des éléments suivants : le contenu de la mission (a), la contribution au sein du service (b), les dimensions légales au sein du service, les dimensions légales liées au contrat de travail, les règlementations (professionnelles, sociales, fiscales) (c) et le savoir-être attendu (d).

  1. Le contenu de la mission renvoie au « pourquoi » nous faisons ce travail. Ce pourquoi comporte deux niveaux : le pourquoi de notre travail en tant que tel et le pourquoi plus global qui renvoie à la raison d’être de l’entreprise. Comme le souligne Emmanuel Titeux, on peut également y inclure le pourquoi de l’équipe, autrement dit notre objectif commun en tant qu’équipe ou service.
  2. La contribution au sein du service renvoie à notre place dans le service et dans l’entreprise. Cette contribution pose la question plus large du « comment on fait ensemble », autrement dit aux rôles de chacun, aux méthodes et modes de fonctionnement (4).
  3. Notre cadre de travail est enveloppé par des éléments contractuels et juridiques. On y retrouve notamment les obligations fixées par le droit du travail, celles par la convention collective à laquelle nous sommes rattachés, le contrat de travail que nous avons signé, le règlement intérieur de l’entreprise et plus largement toutes les décisions prises par la direction d’une entreprise afin d’assurer le bon fonctionnement du travail ainsi que la santé - sécurité de chacun.
  4. Le savoir-être renvoie aux attitudes et comportements à adopter au travail afin de faciliter les relations avec les collègues, les clients, les fournisseurs et toute autre partie prenante.

Emmanuel Titeux ne manque pas de rappeler que les règles qui fixent le cadre de travail doivent être accessibles à tous, connues de tous et rappelées régulièrement. Cela nous semble d’autant plus important à prendre en compte à une époque où la diversité et le foisonnement des outils numériques amènent à un « émiettement de l’information » (5). Cet émiettement peut s’accompagner de solutions de facilité et de déresponsabilisation du management, du type « je ne comprends pas que tu ne sois pas au courant, c’est indiqué dans l’intranet de l’entreprise » ou encore « je ne comprends pas que tu ne sois pas au courant, la direction de l’entreprise a envoyé un e-mail à ce sujet-là».

Sur le dernier point des savoir-être, Andjélika Kichian rappelle qu’il est important de les relier aux valeurs de l’entreprise quand cela est possible. La bienveillance est l’une des valeurs de votre entreprise. Qu’est-ce que cela veut dire au quotidien en termes de savoir-être ? Cela peut vouloir dire qu’appliquer la valeur de la bienveillance est de vérifier que l’on comprend bien ce qu’un collège nous dit en lui posant une question du type « si j’ai bien compris ce que tu veux dire… ». Cela peut aussi vouloir dire ne pas émettre de jugement négatif sur une idée du type « c’est nul comme idée ». Au demeurant, cela ne veut pas dire qu’on va accepter toutes les idées qui seront émises dans une équipe. Le refus d’une idée ne se basera simplement pas sur l’émission d’un jugement mais sur des éléments de pertinence. « Être bienveillant » peut également vouloir dire ne pas hésiter à venir en aide à un collègue s’il rencontre des difficultés au niveau de son travail. Cette première liste est loin d’être exhaustive. En tout état de cause, que des valeurs soient clairement établies ou non dans l’entreprise, les comportements attendus doivent être définis au sein d’une équipe et plus globalement d’une entreprise.

  1. Le management d’équipe post-crise - temps 2 - l’importance d’incarner les principes de la qualité de vie au travail dans le cadre de travail quotidien des salariés

Les deux études quantitatives menées par le HRM Digital Lab, mentionnées dans la première partie de cet article, ont également permis de relever une évolution des salariés quant à la prise en compte de l’importance de leur qualité de vie au travail et son lien avec le numérique. A titre d’exemple, 43% des répondants indiquent qu’ils marquent plus fortement la limite entre temps personnels et temps de travail depuis la crise sanitaire. Ils étaient 39% en février 2021. 31% indiquent prêter attention aux incivilités numériques (6) et 17% indiquent qu’ils y prêtaient déjà attention, soit presque un salarié sur deux au total. Ce chiffre de 31% est en légère augmentation par rapport à celui de février 2021 alors de 28%.

L’intensification du recours au numérique, et le foisonnement de ses outils, génèrent encore plus aujourd’hui, et de manière non exhaustive, un empilement des outils de communication, un émiettement de l’information, de la « zoom » fatigue ou encore un accroissement du sentiment d’urgence. Un travail de régulation des usages du numérique en vue d’assurer une meilleure qualité de vie au travail est devenu incontournable. Ce travail de régulation doit passer par une compréhension des tensions générées par le numérique en fonction des différents métiers et services de l’entreprise. Les usages sont en effet différents en fonction de la nature même des métiers, des fonctionnements propres aux différents services et à ceux de l’entreprise comme l’a par exemple montré Marie Bia Figueiredo dans son analyse de l’usage de l’email en entreprise. Ce travail de régulation ne doit pas rester au niveau d’une charte. Il est primordial que cela soit une réalité dans les pratiques quotidiennes de travail.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce travail est déjà en cours. Ainsi, 43% des salariés interrogés en novembre 2021 estiment que leur manager a mis en place une bonne organisation du travail à distance contre 12% qui pensent le contraire. En outre, ils sont 27% à penser que leur manager a mis en place des règles pour réguler l’usage des outils numériques contre 20% à penser le contraire. Ces chiffres montrent au final des espaces de progression qui restent importants sur le sujet.
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  1. Je remercie infiniment toutes les personnes qui ont contribué à la réflexion et l’opérationnalisation de cette notion de « management incarné QVT » : les deux groupes d’étudiants (aujourd’hui Diplômé.e.s !) du projet OpenHR de l’année 2020-2021 (Danielle Bianca, Aurore Ledudal, Liliana Lopes Injai, Mathilde Mauracheea, pour l’une des deux équipes. Mathias Da Cruz, Lea Dargent, Mariem Hilali, Keliane Kemandjou, pour l’autre équipe), Andjélika Kichian, Emmanuel Titeux, Sonia Levillain Desmarchelier via son son livre.
  2. Cette étude a été administrée par les étudiants de première année de cette même institution dans le cadre de leur cours sur les fondamentaux de la gestion des ressources humaines. Elle a notamment servi d’exemple pour illustrer les pratiques RH dans les entreprises, et plus globalement, les organisations. L’équipe du HRM Digital Lab renouvelle tous ses remerciements à l’ensemble de la promotion 2020-2021 et 2021-2022.
  3. Je remercie Emmanuel Titeux pour le coaching passionnant dont il m’a fait bénéficier.
  4. Cette idée est reprise d’Emmanuel Titeux.
  5. Je reprends cette idée émise par Johan Theuret lors de l’un de nos échanges.
  6. Cette notion est développée par Aurélie Laborde : https://journals.openedition.org/rfsic/2225
  7. Je remercie Barbara Brantschen pour sa patiente relecture. Je reste bien évidemment seul responsable des erreurs potentiellement contenues dans cet article.

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