Deux risques à maitriser en pleine pandémie...

[NDLR[1] ]La situation qui perdure depuis près de deux années a provoqué dans la plupart des pays une vague montante de troubles psychologiques et une fatigue accrue des salariés comme l’alertait dès septembre 2020 le Comité International de la Croix Rouge[2] avec 51% des adultes qui affirmaient que la pandémie affectait négativement leur santé mentale. Cette situation préoccupante ne s’est pas arrangée lors des confinements successifs avec une résistance des entreprises et des collaborateurs, surtout les plus jeunes, à un recours massif au télétravail qui est loin d’être une libération psychologique bien au contraire !

Agir pour réduire la détresse psychologique

Le télétravail est en effet perçu comme un enfermement par beaucoup. Il n’est pas étonnant dans ces conditions de constater que le niveau de détresse psychologique soit sur une courbe ascendante comme le montrait le chiffre alarmant de 70% des jeunes salariés fin 2020 en situation de détresse psychologique[3] largement imputable à l’absence quasi-totale de vraies relations humaines dans le télétravail[4], un contexte amplifié par le couvre-feu et les autres mesures de protection sanitaire. Face à ce qui pourrait apparaitre comme un véritable tsunami de détresse psychologique que peuvent faire les entreprises, et les DRH en particulier, pour éviter des situations qui, pour certaines d’entre elles, sont dramatiques ?

Des pistes pour réduire, voire annihiler, la détresse psychologique sont évoquées depuis quelques années comme celles proposées dans un ouvrage publié en 2018[5] sur le développement d’environnements de travail renforçant la sécurité psychologique : mettre l’accent sur le sens, donner un cadre permettant à tous de s’exprimer (y compris sur ses interrogations et ses peurs), inviter chacun(e) à participer, montrer de l’humilité, reconnaitre et remercier, ne pas stigmatiser les erreurs... Dans la situation actuelle de la crise sanitaire, ces pistes constituent des leviers intéressants pour les DRH cherchant à mettre en œuvre des plans d’actions pour lutter contre la détresse psychologique vécue par un certain nombre de leurs collaborateurs, en particulier par les plus jeunes.

Mais une autre approche est celle du renforcement du bien-être au travail comme le propose un grand cabinet en stratégie organisationnelle et talents dans la mise en œuvre d’une démarche en trois étapes dans le contexte de la pandémie qui n’est pas sans rappeler la célèbre pyramide de Maslow : (1) communication et formation sur les politiques de santé et de sécurité sanitaire mises en œuvre dans l’entreprise pour permettre leur appropriation, (2) contribution des collaborateurs sur le contenu et l’environnement de leur travail en particulier en télétravail pour renforcer leur engagement, (3) déploiement d’une culture d’entreprise orientée à plus long terme et favorisant l’empowerment pour permettre à chacun(e) d’être reconnu(e) comme une partie prenante.

Ces actions, et d’autres qui restent à inventer, peuvent permettre d’éviter ce que Boris Cyrulnik appelle « l’usure de l’âme »[6] qui explique largement la vague de détresse psychologique déferlant dans nos entreprises et la société, en particulier chez les étudiant(e)s. Il reste aux DRH et à l’ensemble des managers d’imaginer et mettre en œuvre des solutions adaptées au contexte de leur entreprise pour protéger la santé mentale de leurs collaborateurs après avoir protégé leur santé physique depuis le début de la crise sanitaire.

Lutter contre la fatigue des salariés

Après deux années de pandémie, le constat est là : les salariés sont fatigués ! Face à une situation qui est loin d’être sous contrôle, plusieurs études récentes montrent en effet que les salariés sont fatigués comme ils l’exprimaient déjà fin 2020 à la suite du 2ème confinement[7]. Une étude Ipsos d’octobre 2021 souligne en effet que la fatigue est le premier mot par importance (41% des répondants) qui caractérise l’état d’esprit des personnes interrogées avec une baisse sensible de l’engagement de plus de 10 points depuis le début de l’année 2021.

Dans une perspective similaire, l’étude Gartner sur les tendances RH 2022[8] met en évidence le fait que les télétravailleurs questionnés attribuent notamment leur fatigue croissante à une baisse de la coopération et de l’innovation au sein des équipes, et à une inclusion plus problématique des collaborateurs à distance. Une majorité d’entre eux (54%) reconnaissent ne pas vouloir rester dans leur entreprise. Si ces tendances se confirment, il devient urgent pour les entreprises de réfléchir rapidement aux actions à lancer pour lutter contre la fatigue des salariés qui risque d’avoir un impact global négatif sur leur performance globale dans les mois et années à venir. Quelques pistes sont maintenant esquissées pour permettre aux DRH et à l’ensemble des managers de répondre à ce défi :

  • Redonner du sens, particulièrement dans un contexte où l’organisation du travail hybride se généralise[9], en privilégiant la qualité du temps passé en présentiel pour recréer un collectif mis à mal par le travail à distance.
  • Rassurer par une communication claire sur la stratégie de l’entreprise pour faire face aux incertitudes créées par la pandémie depuis près de deux ans surtout dans les secteurs lourdement impactés comme le tourisme ou l’évènementiel.
  • Engager une évolution des pratiques managériales vers la confiance, ce qui suppose pour les managers d’accepter de se rendre plus vulnérables par rapport à la posture traditionnelle du « command and control »[10].
  • Renforcer une philosophie d’entreprise tournée vers le « care » en s’occupant plus particulièrement des collaborateurs qui décrochent physiquement et/ou moralement.
  • Développer la perception d’équité entre les catégories de collaborateurs – ceux pour lesquels le télétravail est possible et les autres – pour éviter d’aggraver une fracture observée dès le début de la crise sanitaire.
  • Simplifier l’organisation et les process pour éviter les effets pervers de la bureaucratie d’entreprise avec son cortège d’injonctions contradictoires et de complexité inutile[11].
  • Amplifier l’ensemble des actions destinées à améliorer le bien-être des collaborateurs notamment par la mise en œuvre de programmes de sensibilisation à la nutrition et à la pratique d’exercices physiques.

Ces idées, et bien d’autres qui peuvent être imaginées par les DRH et les managers, sont susceptibles de contribuer à réduire la détresse pyschologique et la fatigue des collaborateurs et des managers eux-mêmes. Deux années de crise sanitaire ont épuisé les ressources de celles et ceux qui ont beaucoup donné pour permettre à l’entreprise de poursuivre ses activités en pleine tempête. Lutter contre la détresse psychologique et la fatigue des salariés n’est plus une option mais devient une obligation économique et morale.


[1] Cet article est une version adaptée de deux chroniques publiées en février et décembre 2021 par l’auteur dans l’hebdomadaire « Entreprise & Carrières ».

[2] ICRC : The importance of mental health and psychosocial support during Covid-19, Report Sept 2020, 24p.

[4] Besseyre des Horts, CH : «Le télétravail en question : la revanche de la relation humaine » , Entreprise & Carrières, n° 1506, 30 novembre au 6 décembre 2020, p. 22.

[5] Edmonson, A. : The fearless organization, Wiley, 2018

[6] Leclair, A. : Interview de Boris Cyrulnik « Il y a une usure de l’âme », Le Figaro, 29 janvier 2021

[9] Autissier, D., Peretti, JM., Besseyre des Horts, CH. (eds) : Travail et Organisation Hybride, MA Editions, ESKA, Avril 2021.

[10] Truong, O, De Geuser, F., Wiersch, E., Besseyre des Horts, CH., Chavanne, PM: Le Management par la Confiance, Editions Eyrolles, Septembre 2020.

[11] Hamel, G. & Zanini, M. : Humanocratie, Editions Diateino, juin 2021

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