En conjuguant présence physique des collaborateurs et travail à domicile ou dans des tiers lieux, l’hybridation du travail complexifie le management des équipes. S’y ajoutent l’éclatement des systèmes de production en de multiples processus interdépendants et la diminution des temps collectifs, avec les horaires variables et les modalités individualisées du temps de travail.

Ces éléments génèrent une difficulté de positionnement des managers de proximité, pouvant conduire à la mise en cause de leur valeur ajoutée. Devant ce risque, la clé réside dans la capacité du manager à se centrer sur le travail réel de ses collaborateurs.

Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreuses organisations ont œuvré à la mise en place de nouvelles pratiques de travail, avec des modes de régulation collective revus. Dans ce cadre, nombreux sont les managers qui témoignent de difficultés inédites dans l’exercice de leur fonction.

Des challenges inédits pour les managers

« Je ne vois plus mes collaborateurs. » « Avec la distance physique, les réalisations concrètes m’échappent. » « Si je ne manage qu’à partir des objectifs fixés, cela limite mon rôle à du contrôle. » « Mon métier n’a de sens qu’en proximité. Sans elle je perds toute crédibilité vis-à-vis de l’entreprise et des équipes. »

Ces verbatim ont été recueillis en octobre lors d’un atelier dédié à réinventer la place des managers dans une entreprise de service, très bousculée par la pandémie. Les solutions gravitent souvent autour du bon usage des outils de travail à distance, de la coordination de l’équipe et de la qualité des rares temps collectifs. Sur ces derniers se focalisent des attentes nombreuses. Sans doute trop nombreuses. Il s’agit à la fois de maintenir le collectif, de piloter le travail et de retrouver l’envie d’être ensemble.

Repositionner les managers est un impératif

Les dirigeants d’entreprise, au premier rang desquels les DRH, sont clairement questionnés sur le rôle à donner aux managers de proximité, dans ce contexte d’hybridation durable du travail. Deux réponses émergent.

De nombreuses entreprises font le pari d’un retour progressif à la normale. Elles concèdent des évolutions des pratiques managériales, au travers notamment de formations au management à distance, la conduite de réunion mixant présentiel et distanciel. Mais elles n’entendent pas faire évoluer le rôle des managers.

D’autres, à l’inverse, transforment leur modèle managérial, conçoivent de nouveaux référentiels de management et mettent en exergue certaines des compétences rendues cruciales par les deux ans de crise que nous venons de vivre : l’écoute, l’incitation à l’autonomie, la résilience, l’intelligence des situations.

Une réponse préalable : le manager ressource

Souvent, les solutions imaginées par les entreprises qui réinventent leurs modes de management confirment la pertinence du concept de « manager ressource » que nous explicitions dans notre ouvrage « Faut-il libérer l’entreprise ? » (Dunod, 2016). Ce manager ressource se positionne en premier lieu comme une ressource pour ses collaborateurs.

Il les accompagne et est garant de leur montée en compétence, en responsabilité et en autonomie. Ils peuvent ensuite avoir recours à lui par exception lorsqu’ils en ont besoin. Le profil est donc celui d’un manager dont les pratiques sont alignées sur le projet stratégique de l’entreprise, qui développe des relations en mode « adulte » avec ses collaborateurs et qui est clair sur ses responsabilités RH. Ces caractéristiques sont particulièrement pertinentes pour répondre aux différents enjeux de l’hybridation du travail. Mais elles ne suffisent pas.

Manager le travail réel plus que le travail prescrit

La notion de travail « réel », utilisée par de nombreux sociologues du travail, permet de prendre en compte toutes les activités déployées par le salarié pour répondre à la demande de l’employeur. Ce travail réel intègre la part invisible du travail, comme par exemple les multiples interactions humaines, les négociations et ajustements en situation, et donc la mobilisation de compétences non prévues initialement.

Le manager est rarement proche du travail réel de ses collaborateurs. La distance physique liée au télétravail augmente cet éloignement. Le risque est donc que les managers ne se réfèrent qu’aux résultats ou indicateurs finaux, sans avoir de visibilité sur les étapes de production, les processus et donc les conditions concrètes de travail. Or ce qui n’est pas vu ne peut être ni régulé, ni managé. D’où des risques multiples en termes de qualité de vie au travail, de risques psychosociaux, d’engagement, mais aussi de qualité ou de performance.

Les pistes pour manager vraiment le travail

Pour mieux manager le travail réel, le principal levier réside dans le développement d’espaces d’échanges qui permettent de mettre en débat et de gérer les tensions entre ce qui est demandé (le travail prescrit) et ce qu’il est possible de faire (le travail réel), ainsi que de trouver des compromis entre les différentes prescriptions et attentes vis-à-vis du travail.

Cet espace d’échange est pour le management une opportunité de prise de connaissance sur le travail réel et ses difficultés, donc de reconnaissance du travail effectué par chacun. Cet espace est collectif, l’équipe échangeant sur les horaires, les outils de travail, les processus, les livrables produits et leur qualité.

Les récents accords de télétravail offrent une illustration de l’importance de ces espaces de discussion. Certains accords prévoient une application directe des modalités de (télé)travail au sein de l’ensemble des entités de l’entreprise, qu’il s’agisse de quotas de jours en télétravail ou bien de journées de travail à distance fixées dans la semaine. Mais sans échange ni compromis au plus près du terrain, sans déclinaison des modalités et de leurs conditions de mise en œuvre au sein des collectifs de travail (chartes locales), le travail réel ne peut être appréhendé et l’échec est probable. Faute d’appropriation, mais aussi d’adaptation aux réalités.

Manager le travail requiert de donner des clés aux managers pour qu’ils entrent dans les réalités tangibles de l’activité de leurs équipiers. En les formant à l’écoute active, à l’analyse des processus, en leur laissant les marges de manœuvre suffisantes pour optimiser l’organisation et réguler l’activité, en leur permettant d’adapter les contenus du travail avec agilité et proximité, sans en passer par les fiches de postes tayloriennes. Seuls les managers maîtrisant les contenus du travail réel de leurs équipes sont donc en capacité de relever les défis du travail hybride.

Tags: Organisation hybride Management Travail