Chacun a ses combats particuliers, ses moulins qu'il veut abattre, vainement ou fondamentalement. Le mien est l'usage des mots impropres à ce qu'ils signifient. Le français provient principalement du latin et du grec, pas de l'anglais, qui lui-même dérive en partie du français. Quand dans une langue des gens choisissent un mot pour nommer une chose et que ce choix montre leur faiblesse linguistique, sémantique, c'est de l'ordre du dialecte, de la koiné, du langage commun. Il y a donc une corruption de la langue, un risque de confusion, donc une perte d'intelligence, car intelligo en latin est le fait discerner et comprendre.

Constat de la situation

Depuis quelques années j'ai été l'auditeur de présentations, orales ou écrites, sur ce qui était appelé l'engagement des salariés. Or je ne comprenais pas le rapport entre l'argumentaire et le thème car en français être engagé signifie mettre en gage quelque chose. De là, un peu analogiquement, en anglais cela signifie être fiancé. Et par extension, les anglophones l'ont rapporté au fait d'engager une vitesse dans une boîte de transmission, alors qu'un ingénieur francophone parlera de crabotage. Néanmoins on parle bien ici d'accouplement. L'engagement est donc le fait d'établir une relation entre deux choses dans un système avec un gage de fidélité, de loyauté, qui dans le cas d'un contrat de travail implique le versement d'un salaire, justement appelé gages. On ne travaille pas pour des nèfles. Le travail a une valeur, c'est la conversion d'un temps investi au profit de quelqu'un en de l'argent qu'il vous verse pour rétribuer cette mise à disposition de votre potentiel d'activité.

Et donc, comme l'explique le Wikipedia anglophone, du côté de l'employeur on désire que l'ardeur mise dans cette activité soit honnête par rapport au salaire versé. Mais le problème est alors qu'un employeur cupide va vouloir que le salarié s'implique le plus possible, jusqu'au stade de la dévotion, du dévouement. C'est là où l'engagement n'est plus équitable. Le contrat doit fixer dès le départ le niveau d'implication requis, avec la rétribution afférente et les éventuels dépassements, plutôt que le laisser à une libre appréciation individuelle, qui souvent est induit par conformisme avec les autres collègues. On trouvera aussi parfois des « workaholics », travaillant comme une forme de toxicomanie, beaucoup plus que les autres.

De ce fait, comme ces cupides ne peuvent écrire dans un contrat que l'employé doit se dédier corps et âme à son travail, est apparu en parallèle l'usage (impropre) du mot engagement en psychologie sociale : on se sert de techniques subtiles pour amener les gens à un certain comportement en leur laissant croire qu'ils l'ont voulu librement. Le principe est de les amener à admettre certaines valeurs morales, ce qui va entraîner un désir de s'y conformer par le comportement, plutôt qu'apparaître hypocrite, ou en contradiction avec ses valeurs (dissonance cognitive). Et donc, dans notre contexte professionnel, c'est en ayant une attitude calculée du management, en fournissant une sorte de salaire moral, une rétribution psychologique, que l'employé se sentirait en besoin de compenser implicitement par un effort plus grand. Savante manipulation !

Principe de diligence

La diligence se comprend comme le soin apporté à l'activité qu'on exécute pour quelqu'un, ainsi que sa célérité. Le mot a le même emploi en français et en anglais. Il dérive directement du latin dīligentia. Or ce qui est intéressant avec sa racine qui est dīligō, c'est qu'elle signifie une distinction dans le choix (dis-lego) par un effet d'amour, d'estime, ce qui rejoint le principe du dévouement. Car on se dévoue pour quelqu'un en général par amour pour lui. Ce sacrifice que l'on fait sur ses propres intérêts répond à un désir de donner beaucoup à ceux qu'on aime particulièrement. Nous ferions donc preuve de diligence du fait de l'estime que nous portons au bénéficiaire de notre activité.

Mais si le mot diligence m'apparait plus correct pour désigner ce qu'on appelle engagement dans le dialecte des Ressources Humaines, il permet aussi l'ajout de préfixes qui grammaticalement sont corrects : ainsi on peut établir cinq degrés de diligence, l'antidiligence (le fait d'en avoir aucune), l'infradiligence (insuffisante), la diligence (normale), l'extradiligence (généreuse), et l'ultradiligence (excessive). Et on pourra alors la mesurer, et peut-être appliquer comme une boîte de vitesses, engager une diligence plus qu'une autre, en particulier selon le client et son besoin. Et l'avantage est de pouvoir décrire contractuellement le niveau de diligence demandé, d'en discuter pendant un entretien d'embauche, d'en faire une aptitude, le rendant légal (légitime).

De même, pour employer les astuces de la psychologie sociale, il sera possible de soumettre un questionnaire pour demander aux employés ce qu'ils pensent de la diligence (à apporter à son travail), pour induire des comportements diligents. Et comme l'étymologie du mot l'indique, c'est en montrant de la bienveillance, comme l'avait déjà remarqué Fayol en 1916, qu'on stimule le dévouement, du fait que la diligence découle d'une estime pour son client. Nous parvenons donc à une logique entre les phénomènes et les mots qui le nomment, ce qui contribuera à diminuer l'impression de chaos, d'incompréhension du monde. Nous pourrions même suspecter que ce qui préoccupe nos contemporains était déjà connu et maîtrisé durant l'Antiquité. Xénophon montre ainsi dans son livre appelé Économique qu'en apportant des soins à ses esclaves ils travaillent mieux.

Conclusion

Employer un vocabulaire dialectique ne permet pas d'exploiter la richesse des mots. Dans l'Antiquité, les mots ne sont pas juste des sons pour appeler les choses, comme on nomme aujourd'hui les gens. Ils ont une sémantique. Ils sont auto-compréhensibles. Ici la diligence permet de cerner immédiatement de quoi on parle, alors que l'engagement doit rester au niveau des gages fournis pour sa fidélité. C'est ainsi que la démission sera un dégagement, mais requiert une procédure avec des étapes. Il y a eu « accouplement » puis « divorce », séparation. Rien à voir avec le niveau d'implication dans la relation, le soin qu'on apporte à son travail.

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