« Trous » dans les CV : et si on changeait notre regard ?
Linkedin propose depuis bientôt quatre mois, dans sa version américaine, une nouvelle section permettant de mentionner, tout simplement, sur son profil une pause professionnelle « career break » avec le choix de 13 motifs distincts parmi lesquels « développement personnel », « déménagement », « pause parentale », « reconversion professionnelle », « voyage », « bénévolat », « deuil », « licenciement », « proche aidant »…
C’est le signe que les temps changent… mais aux Etats-Unis !
C’est malheureux à dire mais, en France, en 2022, les candidats ayant effectué des pauses professionnelles suscitent toujours de la méfiance même si les mentalités évoluent petit à petit sur le sujet.
En France, les recruteurs et plus largement les organisations sont majoritairement « trypophobes ». Trypophobes, quesako 😶 ?!? Ils détestent les « trous » dans les CV ou « pauses professionnelles » et ont tendance à stigmatiser et discriminer les candidats présentant un trou dans leur parcours.
Les recruteurs valorisent, en effet, à outrance les profils linéaires jugés comme « parfaits » et les parent de toutes les vertus ou presque : constance, structuration, pertinence, lisibilité et surtout engagement et motivation. Le candidat « idéal » est celui présentant un cursus scolaire parfaitement aligné avec l’ensemble de ses stages, de ses expériences professionnelles et bien évidemment avec le poste à pourvoir. La linéarité des parcours rassure les recruteurs et les organisations.
A contrario, un candidat présentant un trou dans son CV apparaît comme un candidat à « risque » : risque qu’il s’absente à nouveau pendant une longue période, risque qu’il soit instable, risque qu’il ait du mal à reprendre le rythme du travail, risque qu’il ne soit pas opérationnel assez rapidement, risque qu’il retombe malade, risque qu’il soit tout simplement mauvais voire ingérable car s’il a été éloigné pendant plusieurs mois du monde du travail c’est qu’il y a peut-être « anguille sous roche » voire « baleine sous gravillon » (incompétence, problème de comportement…).
Aujourd’hui, force est de constater que la plupart des candidats se sentent plus ou moins « obligés » de camoufler, dans la mesure du possible, ces moments de pause professionnelle en restant flous et évasifs sur les dates voire en se rajoutant quelques mois d’expérience par-ci par-là.
Je ne cautionne pas ces pratiques mais elles sont, en quelque sorte, la résultante de notre système actuel.
Aussi, en tant que recruteuse, « je fais un rêve ». J
Je fais le rêve d’un monde du travail français où les candidats pourraient assumer pleinement leurs pauses professionnelles et les faire apparaître en toutes lettres sur leur CV en en mentionnant le motif et sans avoir à travestir la réalité et à s’inventer une autre vie.
La vie n’est pas linéaire et c’est exactement la même chose pour le parcours professionnel.
Il existe d’innombrables raisons de s’être arrêté plusieurs mois durant son parcours professionnel : prolongation de quelques semaines ou de quelques mois de son congé maternité pour profiter un peu plus de son bébé, accompagnement des dernières semaines de la vie d’un proche, réflexion sur sa carrière et son avenir professionnel, voyage et découverte du monde, déménagement, accompagnement de son conjoint dans sa mobilité, écriture d’un livre, bénévolat, deuil, combat contre la maladie sous toutes ses formes, formation, licenciement économique etc. … les motifs sont multiples !
Ces motifs sont d’ailleurs dépendants ou non de la volonté même des candidats.
Dès lors, pourquoi continuer à avoir « peur » de ces pauses et pourquoi continuer à stigmatiser les candidats s’étant arrêté quelques mois et ayant eu l’honnêteté de l’écrire sur leur CV ou de le mentionner de vive voix à un recruteur ? Pourquoi faire perdurer ce système ?
Continuer à stigmatiser ces candidats c’est refuser de reconnaître que ces pauses professionnelles, loin d’être des périodes de vide, sont autant de possibilités pour élargir son horizon intellectuel, s’ouvrir au monde, apprendre à mieux se connaître, se découvrir des talents et ressources cachés, panser ses plaies et prendre soin de soi afin de mieux rebondir, apprendre de nouvelles choses, acquérir de nouvelles connaissances et compétences…
Une pause professionnelle c’est clairement et avant tout une source d’apprentissages.
Aussi, et si nous, collectivement, recruteurs et organisations, nous apprenions à porter un regard différent sur ces pauses professionnelles afin d’en percevoir la réelle richesse ?
Il est grand temps que nous regardions différemment ces parcours professionnels « non linéaires » que nous les qualifions de différents, d’atypiques voire d’accidentés et que nous cessions de les discriminer.
Cela permettrait, d’une part, à ces candidats de mieux assumer leur parcours et de se réinsérer plus facilement dans le monde du travail et cela permettrait, d’autre part, aux organisations de bénéficier de leurs compétences et de leurs différences. Oui, j’ai bien écrit, bénéficier !
En effet, une organisation pour croître, grandir, performer, se remettre en question, anticiper, s’adapter aux évolutions, se réinventer, relever les challenges et tout simplement durer a besoin de diversité, a besoin de profils variés aux parcours de vie et professionnels différents sinon elle tourne en vase clos.
C’est de cette diversité de parcours et d’expérience qu’une organisation se nourrit, tire sa force et sa richesse et accroît sa performance. Ces candidats sont ainsi de réels atouts. C’est donc plus que dommage de continuer à se priver de ce vivier de talents, c’est suicidaire…
Plusieurs entreprises l’ont d’ailleurs compris et commencent à se pencher vers ces profils ayant interrompu leurs carrières. La banque Wells Fargo a ainsi récemment mis en œuvre un programme pour relancer les carrières des travailleurs dits " seniors " (à savoir disposant de plus 7 ans d'expérience) s'étant arrêtés pendant deux ans voire plus.
La trypophobie, n’est donc pas une fatalité ! Ouf, cela se soigne ! Et si on se retroussait collectivement les manches pour qu’elle devienne rapidement un mauvais souvenir ?!? Cela ne tient qu’à nous…
Références
[2] https://pages.beamery.com/wellsfargo/page/glide-relaunch
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