Les réunions rythment notre quotidien professionnel à tel point que nous avons parfois l’impression de subir nos agendas. Nous avons même inventé un mot : la réunionite. Cette impression que nous ne sommes pas maître de notre journée conduit à ce sentiment fâcheux que la situation nous échappe. Nous n’avons même plus le temps de travailler ! À l’image des shadocks, nous entrons dans ce cycle infernal pour en ressortir lessivés. Mais de quelle maladie ce syndrome est-il révélateur ?

Enchaîné à son agenda :

De back-to-back meeting en réunions stratégiques interminables, nos agendas ressemblent davantage à une liste de course qu’à un planning pensé et réaliste. Les réunions de préparation se multiplient pour accorder les violons avant les réunions de présentation, qui sont immanquablement suivies de réunions de débriefing pour pouvoir organiser la prochaine. Et quand on commence à faire des réunions pour planifier les prochaines réunions, la sonnette d’alarme devrait retentir.

Et pourtant… Et pourtant, dans certaines organisations, la réunionite est si profondément ancrée que le réflexe portera davantage vers la planification de réunions pour réfléchir à la question des réunions qu’à la réelle résolution du problème.

Cette spirale infernale ne semble pouvoir être réfrénée quand, au détour d’un couloir, les visages fermés se rendent en réunion - sans vraiment savoir quel en est l’objet - pour finalement découvrir que l’organisateur est à distance… Ça valait bien la peine de mettre un pantalon ce matin !

La réunion : un symbole de pouvoir.

S’il est aussi difficile de lutter contre cette réunionite aigüe qui sclérose certaines organisations, c’est justement parce que la réunion dit quelque chose de nous dont on n’est pas près de se débarrasser. Comme si, plus on faisait de réunions, de préférence tard le soir, plus nous étions un personnage important au sein de l’écosystème.

« Un comité est une réunion de gens importants qui, pris séparément, ne peuvent rien faire mais qui, ensemble, décident que rien ne peut être fait. » comme disait l’humoriste américain Fred Allen.

Et pour preuve, tout le monde comprend que tu ne sois pas disponible parce que tu es en réunion, beaucoup ont plus de mal à comprendre que tu n’es pas disponible parce que… tu travailles ! La réunion devient finalement la seule justification de ce travail que l’on ne réalise plus, tant on s’englue de comités en comité à réfléchir sur ce qui pourrait être fait plutôt qu’à le faire.

« Dis-moi quelles sont tes réunions, je te dirai qui tu es ». En réunion, comme au théâtre de l’antiquité, on s’y rend davantage pour être vu. La place que l’on occupe, son temps de parole mais aussi qui est arrivé à l’heure et qui repart avant la fin deviennent des marqueurs de son statut social professionnel. La réunion devient alors le symbole de notre importance et de notre pouvoir sur l’autre. Qui de nous deux décalera ses contraintes pour coller à celles de l’autre ?

Tant que l’image primera sur ce qu’on réalise concrètement, la réunionite a de beaux jours devant elle.

Alors à bas les réunions ?

Face à ce syndrome, l’ultime remède pour certains semblent être de crier à l’abolition. Mais au même titre qu’être contre la maladie ne suffit pas à trouver des vaccins, être contre les réunions ne libèrent pas de leurs contraintes.

La réunion est utile bien sûr : il est bien souvent plus facile de s’accorder sur un sujet en échangeant de vives voix qu’en croisant les mails. Embarquer les contributeurs d’un projet et assurer que tout le monde avance toujours dans la même direction se fera toujours facilement en partageant une unité de temps (si ce n’est une unité de lieu) qu’en comptant sur le bon vouloir de chacun à aller consulter la documentation à disposition.

Mais ces réunions-là ne sont en fait utiles que si nous les rendons utiles. Et pour cela, nous devons les associer avec des vrais temps de qualité, seul, pour produire, pour avancer, pour réfléchir, concevoir ou encore analyser, préparer, formaliser et j’en passe. Bref, pour travailler. Bien sûr, en réunion aussi on travaille. Mais une réunion, qui ne serait suivie, pour aucun de ses participants, par une réelle session de travail pour mettre en œuvre ce qui a été convenu dans la réunion, est une réunion inutile.

Un retour aux évidences ?

Rappelons quelques évidences :

  • Une réelle préparation avec ordre du jour, sélection des participants, préparation des contenus, diffusion en amont des documents, prise de connaissance des sujets par l’ensemble des participants pour arriver préparé.
  • Une conduite de réunion respectueuse des sujets inscrits à l’ordre du jour et des temps qui y sont associés.
  • Suivi d’un compte-rendu précisant les décisions prises, les alertes éventuelles et les prochaines actions à mener. Sans parler évidemment, du fait de mener les actions identifiées…

Des évidences bien sûr. Tout le monde le sait, pour s’en convaincre, partager cette bonne pratique la prochaine fois autour d’un diner et regardez le nombre d’yeux qui se lèvent aux cieux. Bien sûr c’est évident que pour qu’une réunion soit utile, il faut tous ces ingrédients, mais force est de constater que l’exception a remplacé la règle.

Peut-être alors que ce retour aux évidences n’est pas suffisant. Ce constat nous invite à chercher les sous-jacents de cette réunionite aigüe. De quelle maladie est-elle le symptôme ?

Vouloir lutter contre la réunionite, suppose de questionner :

  • Les sources de reconnaissance : être invité à une réunion comme ambition ultime, pour être bien vu des chefs qui décident de mon bonus de fin d’année. Et s’il fallait reposer les fondements des modes de reconnaissance pour qu’ils valorisent le « faire » plutôt que le « dire ».
  • Les modes de partage d’information : quand ne pas être invité à la réunion nous prive d’informations pourtant essentielles pour comprendre les décisions et orientations qui sont prises et discerner les impacts sur notre propre activité alors pas étonnant que l’on manque de siège ! Et si c’était l’organisation du travail qu’il fallait revoir et avec elle les rôles de chacun des services ainsi que la fluidité des processus lorsque les acteurs se multiplient ?
  • L’autonomie des collaborateurs et avec elle celles des managers qui, s’ils laissent leur place à leurs collaborateurs, plus au fait des sujets opérationnels qu’ils traitent, pourraient vite être considérés comme inutiles dans ces organisations qui ont oublié ce qu’était réellement le management. Ils préfèrent alors jouer les passe-plats plutôt que de perdre leur position. Redonner une vraie place au manager et les valoriser pour ce qu’ils font plus que pour ce qu’ils savent permettrait peut-être de réduire le nombre de personnes en comités opérationnels.
  • La priorisation et l’acceptation du temps long : dans un contexte où tout le monde dit tout le temps que tout va trop vite, à force de tout vouloir gérer nous survolons au lieu de traiter. Faire rentrer 2L d’eau dans une bouteille d’un litre ne sera jamais possible, alors essayons de faire mieux et nous verrons ensuite si nous pouvons faire plus.

Loin d’être exhaustive, cette liste est en fait une invitation. Non pas à un voyage mais à un questionnement de nos modes de fonctionnement et de la culture dont ils sont imprégnés. Car ce n’est pas en imposant des règles comme l’absence de réunion entre 12h et 14h ou les vendredis après-midi que nous répondrons vraiment au problème mais bien en s’adressant au sujet de fond : ce que veut dire travailler et comment on le fait. Un sujet éminemment culturel dont la DRH devrait s’emparer, en commençant par analyser ses propres processus au regard de ces questions.

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