Pendant le mois d’août, nous publions à nouveau quelques-uns des textes les plus lus de l’année écoulée.
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« Tout va bien, tout est sous contrôle ! » Oser avouer ses erreurs, ses difficultés ou son besoin d’être aidé n’est pas facile. Et c’est d’autant plus vrai lorsqu’on occupe un poste à responsabilités. Se révéler dans sa vulnérabilité va à l’encontre de la vision « virile » [1] du management qui valorise le rapport de force et assimile toute faiblesse à une forme d’incompétence. Il ne s’agit pas ici d’opposer le manager fort, assuré et charismatique au manager faible, hésitant et vulnérable, mais de soutenir l’idée qu’il peut être tout à la fois. On ne peut en effet réduire la vulnérabilité à certaines catégories de personnes (les travailleurs malades, stressés, handicapés…) ou à certains âges de la vie (l’enfance, la vieillesse). À l’étymologie, vulnérabilité – du latin vulnus – signifie blessure. Sauf à faire preuve d’aveuglement, il faut admettre qu’on peut à tout moment être blessé. Parce qu’elle « n’est pas la triste expression de notre imperfection, mais notre qualité constitutive » [2], la vulnérabilité mérite toute notre attention, d’autant qu’elle représente un atout managérial insoupçonné.

Reconnaître ses vulnérabilités.

Reconnaître la vulnérabilité humaine est un premier pas, mais il s’agit surtout de reconnaître ses propres vulnérabilités. S’il est fondamental d’avoir conscience de ses talents, le risque serait de se focaliser sur eux au point de nier ses zones d’incompétence. Quand le manager enlève son masque social de virilité, et qu’il assume ce qu’il est dans ses forces comme dans ses faiblesses, il humanise la relation à ses collaborateurs, il leur donne confiance et les libère de la peur de l’échec. Mes enfants sont toujours ravis lorsque je leur parle de mes bourdes, de mes doutes, de mes échecs. Quand j’ai indiqué à ma fille aînée que le concours qu’elle préparait, je l’avais passé 30 ans plus tôt et… lamentablement raté, j’ai senti chez elle un regain de confiance et une baisse de pression. Le manager sera d’autant plus crédible et influençant qu’il est précisément capable de se montrer dans sa vulnérabilité, signe de son ouverture aux autres et de sa volonté d’apprendre. À l’inverse, le trop plein d’assurance est envahissant, paralysant, voire angoissant. Lors de catastrophes à l’échelle sociétale (accident nucléaire, pandémie, etc.), quoi de plus inquiétant qu’une communication institutionnelle forte affirmant que tout est sous contrôle?

Le risque d’instrumentalisation de la vulnérabilité.

Le manager pourrait être tenté d’utiliser l’expression de sa vulnérabilité comme un moyen déguisé d’obtenir quelque chose en passant par une sorte de phase d’attendrissement. Or, la vulnérabilité est indissociable de l’authenticité et de la gratuité. Elle est étrangère à toute logique de manipulation. Par exemple, pour justifier son absence de soutien à la demande d’un collaborateur espérant une promotion, il serait délicat que le manager étale sur le ton de la confidence tous les obstacles auxquels il a lui-même été confronté avant d’arriver au niveau qui est le sien aujourd’hui. Les collaborateurs ne sont pas dupes vis-à-vis des postures affichées par leur manager, qu’il s’agisse d’une invulnérabilité de façade ou d’une vulnérabilité instrumentalisée. Il est donc important qu’il ne cherche pas à dissimuler ses incertitudes, ses doutes, ses faiblesses. Il ne s’agit pas d’en jouer mais simplement d’être soi, d’admettre qu’on est à la fois « autonome » et « vulnérable », « agissant » et « souffrant », pour reprendre les mots de Paul Ricœur [3].

Le manager qui partage clairement ses difficultés ne fait souvent que confirmer le ressenti de ses collaborateurs. Pourtant, sa posture de transparence favorise une relation authentique. Certes, il existe un risque, celui de voir l’expression de sa vulnérabilité utilisée à ses dépens. « Tu seras aimé le jour où tu pourras montrer ta faiblesse, sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force », écrivait si joliment Cesare Pavese dans son Journal. Mais il y a un risque encore plus grand d’afficher constamment une superbe, le risque de maintenir une distance artificielle avec les autres, de brider les échanges, de figer les choses.

La vulnérabilité fait partie intégrante de la vie humaine en général, de la vie au travail en particulier. Plutôt que la voir comme un défaut, une faille ou un manque, une vision plus positive de la vulnérabilité nous invite à la considérer comme indispensable à la rencontre avec soi et avec les autres. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort », disait Saint Paul. C’est en reconnaissant ses vulnérabilités que le manager favorise la confiance au sein de son équipe, et donc le partage d’informations, les prises d’initiatives, la coopération, autant d’ingrédients indispensables à la gestion des situations complexes de plus en plus nombreuses. Reconnaître la vulnérabilité de tous, la sienne et celle des autres, n’est-ce pas au fond réduire la vulnérabilité des organisations ?

Références

[1] Christophe DEJOURS (2014), Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Seuil.

[2] Enrique BURGUETE MIGUEL (2019), “Transhumanism and the emancipation of human nature”, <https://liberty4lifeorg.files.wordpress.com/2019/03/transhumanism-and-the-emancipation-of-human-nature.pdf>

[3] Paul RICŒUR (2001), « Autonomie et vulnérabilité », Le juste 2, éd. Esprit, p. 85-106.

Tags: Management Vulnérabilité Reconnaissance