Les burgers ont fleuri en parterres sur les cartes des restaurants les plus chics, redoublant de créativité pour attiser la curiosité gustative des consommateurs. De la même façon et dans le même temps, nos entreprises se sont surpassées pour vanter leur marque employeur, pour créer des espaces bien-être, marketer leur projet d’entreprise, et sublimer « leurs packages ».
Tout est bon dans le burger, mais le pain n’est rien sans le steak…
Dylan vient de quitter son job de conseiller client à l’agence bancaire de Flores-en-Valois. Il en avait rêvé, mais les 18 mois de ce début de carrière l’auront surtout convaincu de s’orienter vers un autre métier. Des collègues sympas, un « onboarding » soigneux, presque prestigieux, et une formation initiale pointue. Mais il avait acheté ce métier pour ce qu’on lui en avait vendu : autonomie, moyens d’actions, « intrapreneuriat », et surtout l’approche conseil auprès du client. Au quotidien, Arthur son manager l’interroge tous les deux jours sur ses ventes d’assurances, valide chacun de ses gestes commerciaux, doit signer et faire signer chacune de ses demandes de crédit, tandis que les clients se bousculent à l’accueil ... bref, en ouvrant le burger : il manquait le steak.
L’accueil fanfare et trompettes, l’onboarding, le babyfoot, la salle de sieste, les soirées DJ, « ça, c’est fait » : la vitrine est chouette, mais ne suffit plus !
Le monde a changé…
Tout d’abord intégrons que le monde a profondément changé dans ces dernières années, les attentes des collaborateurs en ont été transformées.
La pénurie de main-d’œuvre n’épargne plus aucun secteur ni aucun pays. Ce déficit de ressources peut même interroger. En France le nombre d’offres d’emploi a augmenté de + 56 % de T1 2021 à T1 2022, malgré une faible croissance cumulée : de quoi se demander où sont passés les collaborateurs.
Au-delà des effets conjoncturels d’un marché porteur, cette tension s'inscrit dans un mouvement structurel majeur d'évolution du rapport au travail, et globalement au monde.
En 2021 aux Etats-Unis, 48 millions de salariés ont quitté leur emploi après avoir revu leurs priorités suite à la pandémie, touchant "même" les employeurs de rêve de la technologie, ceux dont nous avions fait l'apologie des modèles de management. Photographes, bloggeurs, loueurs de biens, chauffeurs…nombreux sont ceux qui s’investissent désormais partiellement voire totalement dans un job en marge de l’entreprise traditionnelle.
Si un tel mouvement de démissions massives n’a pas eu lieu en France, les attentes des individus, ont évolué. Le curseur s’est déplacé, avec une envie forte de faire évoluer leur carrière en donnant plus de sens à leur vie professionnelle, de replacer le travail dans un schéma plus équilibré de vie, et… avec la rémunération qui redevient le premier critère.
Les entreprises ne sont ainsi plus seulement en concurrence les unes avec les autres : elles sont en concurrence avec tout ce que chacun peut faire de sa vie, en dehors de leur travail ou au lieu d’un emploi "officiel". La croissance de 17% de la création de micro-entreprises en 2021 illustre précisément l’émergence de la concurrence de cette entreprise "non-traditionnelle".
…la recette de la fidélité avec…
Le « moi » a repris du terrain sur le « nous ». Le collaborateur qui pouvait chercher hier à servir au mieux l’entreprise, se demande aujourd’hui comment celle-ci peut satisfaire son besoin d’autonomie, servir son désir d’ascension rapide, faire écho à ses valeurs profondes, et s’adapter à sa vie personnelle.
L’entreprise se trouve donc à un tournant qu’elle ne pourra négocier qu’en faisant évoluer son rôle, son comportement, et son management, en relevant 4 défis.
1. Assurer l’Utilité de l’entreprise
Chacun attend désormais que l’entreprise ait identifié sa contribution au bien commun, qu’elle ait factualisé son impact positif sur la société, l’environnement. Plus question de « se trouver une raison d’être », de faire passer le burger pour un végan…mais plus question non plus de concéder une raison d’être au détriment pressenti du business. Les « entreprises chéries », comme les nomme Lisa Earle McLeod, ont une raison d’être si puissante qu’elles performent et génèrent une croissance extraordinaire. L’utilité doit être tellement vraie qu’elle en est « bonne pour le business ».
2. Assurer l’utilité du job
De nombreux recruteurs s’arc-boutent à vendre le « projet » de l’entreprise, quittent à s’inventer une raison d’être. Mais le Sens (S), le fameux SENS pour l’individu, ne se résume pas à la seule raison d’être de l’entreprise ; il résulte du produit de l’Utilité perçue de l’entreprise (U), et de sa propre utilité dans l’entreprise (u), Soit S = U x u. Avec cette particularité mathématique…quand l’un des deux tend vers 0…le produit s’écroule avec…
Le u satisfera le fameux MOI qui a repris sa place, avec sa double composante : le MOI pro (comment je suis utile à l’entreprise) et le MOI perso (comment ça me permet de me rendre utile dans ma vie).
Pour développer le petit u, il conviendra d’abord accorder au collaborateur la liberté d’identifier son utilité ; elle résulte avant tout d’une perception personnelle, même si celle-ci peut être éclairée par le management. Puis, il est nécessaire de ne plus partir exclusivement du besoin de l'entreprise mais d’écouter les envies, mêmes les plus folles, avant que le collaborateur ne les envisage à l’extérieur. Bref, il s’agit de comprendre les motivations qui pousseraient un collaborateur à changer de projet, et de chercher une convergence heureuse.
Le temps d’une individualisation plus forte est arrivé, sans pour autant risquer le chaos induit par le tout horizontal. Cette capacité à créer l’équilibre entre globalisation et individualisation ne serait-il pas d’ailleurs proche de la définition du leadership ?
3. Créer les conditions de l’utilité sur le terrain, vraiment…
Quand son PC ne démarre pas, quand il attend 3 jours le tampon du chef, quand le poste de son binôme vacant n’est pas pourvu…Dylan n’a que faire de la raison d’être, du projet d’entreprise, de la soirée DJ, du pain du burger…. Il se sent dans l’incapacité de donner le meilleur de lui-même ; le steak est grignoté… Oui, il est primordial de donner de la vision, mais elle ne peut éclipser l’importance du vécu de chacun dans son quotidien.
Quoiqu’on en dise, le salarié doit se sentir performant pour être bien.
C’est l’une des missions des managers de proximité, sur le terrain, que d’écouter les problèmes et attentes, de leur donner du crédit, pour créer les meilleures conditions d’exercice du métier
Il est impératif de dégager du temps, d’outiller les managers, et de leur donner les moyens d’agir pour qu’ils créent les conditions de l’épanouissement des collaborateurs.
4. S’investir dans une relation équilibrée de couple
Puisque le caractère « indéfectible » de la relation contractuelle ou morale n’est plus, la communication et l’échange en continu deviennent la condition d’un ajustement permanent de chacune des parties.
Le fameux « feedback », bilatéral, devient un élément central dans la culture d’entreprise, à maîtriser par chacun, manager, ou collaborateur ; il garantira la valorisation, la reconnaissance, le soutien à la réussite, l’écoute des irritants, l’ajustement de la zone d’autonomie la plus favorable à l’épanouissement, et donc à la fidélité.
Eh oui… faire un burger de compétition, c’est exigeant…c’est ce qui fait l’exception des grandes maisons, celles dont les clients sont fidèles.