« La stratégie ? Nous avons déjà bien assez à faire avec les enjeux RH ! » Telle fut la réaction de la DRH d’un groupe français à forte renommée alors que nous l’interrogions sur la contribution des RH à la stratégie de son entreprise.

Fort heureusement, la très grande majorité des DRH sont conscients de la valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter à la définition et à la mise en œuvre de l’ambition à plusieurs années que leur entreprise se fixe. Reste pour eux à identifier les voies les plus efficaces pour garantir le déploiement effectif des choix arrêtés.

Le besoin

L’enjeu est de traduire la stratégie dans les faits, en éléments concrets de l’activité quotidienne des collaborateurs. Rappelons bien sûr au préalable que ce sera d’autant plus facile que les intéressés auront été associés à la conception de cette stratégie, sous une forme ou sous une autre. Est-il nécessaire de rappeler ici la nécessité d’anticiper les enjeux du déploiement dès la phase de conception, en organisant la contribution en amont de ceux qui auront à matérialiser en aval, ceci afin de structurer l’adhésion et l’appropriation ?

Mais une fois la stratégie définie, il reste dans tous les cas à identifier et à adopter les pratiques qui permettront de mener les projets nécessaires pour qu’elle pénètre dans le quotidien et transforme les réalités. Comment faire en sorte que ces projets se matérialisent ? Comment impacter et transformer la vie de l’entreprise ? L’enjeu majeur est bien là : la réalité et la pratique constituent le critère. La stratégie la plus pertinente ou la plus élaborée n’aura aucun intérêt si elle reste à l’état de projet.

La voie classique

L’approche adoptée depuis des décennies par de nombreuses organisations est connue. Pour chacun des macro-projets déclinés à partir de la stratégie arrêtée, un responsable, des résultats à atteindre, des indicateurs clés et un découpage en plusieurs étapes auquel est associé un calendrier.

La « gestion de projet » est alors assurée en utilisant différents outils. Excel est le plus basique, mais les éditeurs ont rivalisé d’imagination pour concevoir et commercialiser les solutions les plus élaborées, les plus pointues et les plus ergonomiques.

À travers l’utilisation de l’outil retenu, les instances de pilotage des projets assurent leur responsabilité de suivi, de relance et d’adaptation au regard des avancées. Dans les plus grandes organisations, une structure dédiée est mise en place, composée de Project Managers Officers qui apportent aux responsables des projets un support méthodologique. La démarche consiste même parfois à installer une « Direction Projets », voire par abus de langage une « Direction de la transformation ».

Cette approche séquentielle de la gestion de projet a été popularisée par les grands cabinets anglo-saxons, dont elle est aujourd’hui encore un des éléments du fonds de commerce. Elle reste dominante dans les grandes organisations. Jusque-là, pas grand-chose à voir avec les terrains d’intervention de la DRH.

La critique de cette approche

C’est le caractère mécanique de cette approche qui conduit de fait à son absence de pertinence et d’impact. Comment imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que les réalités vont se transformer du seul fait de la décision initiale et de la structuration de son suivi ? Cela renvoie à une conception du travail dépassée. Lorsque celui-ci restait pour l’essentiel composé de tâches d’exécution dans le cadre du modèle organisationnel hérité du taylorisme, sans doute était-il possible d’imaginer qu’une fois la décision prise, « l’intendance suivrait » et qu’une approche de gestion de projet administrée et découpée de manière séquentielle serait efficace.

Mais le travail est désormais constitué pour l’essentiel de décisions, d’initiatives et d’actions adoptées par le collaborateur à partir de son appréciation des informations dont il dispose et des relations qu’il gère. Ce qui signifie que le déploiement d’un projet dans l’entreprise n’emprunte pas une ligne droite et que le facteur humain impacte directement sa réalisation. La mise en œuvre dépend des acteurs, de leurs interactions ainsi que de leurs différences de perception.

Les tableaux de bord et indicateurs certes, mais pas seulement, ni même d’abord. Le chemin n’est pas une ligne droite puisqu’il dépend des femmes et des hommes qui l’emprunteront. Exprimé autrement, ce n’est pas grâce au tableur Excel que la réalité change, mais grâce aux dynamiques humaines que l’entreprise arrive à générer. Et c’est là que la DRH entre en scène.

Le chemin

En effet qui mieux que la fonction en charge du levier humain peut imaginer et animer les démarches qui permettront ces mobilisations ? Plusieurs repères pavent ce chemin.

En premier lieu la nécessité d’aider les acteurs à comprendre la stratégie et à en partager le sens. « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » écrivait Antoine de Saint-Exupéry. C’est parce que la valeur ajoutée du projet à mettre en œuvre aura été intégrée que la mise en mouvement pourra se faire.

Ce qui suppose d’accompagner un premier acteur clé qu’est le manager. L’aider non seulement à comprendre et à intégrer la stratégie et ses déterminants, mais aussi à la rendre lisible et opérationnelle pour ses équipes. Développer donc les compétences des managers à animer sur le sens et à faire preuve de pédagogie et à générer de l’adhésion et de l’engagement.

L’autre volet porte sur la capacité des responsables des projets à être ancrés dans la réalité de l’entreprise. Ils vont devoir multiplier les allers-retours entre le déploiement du projet et le terrain, puisque c’est bien de cette réalité qu’il faut partir pour la transformer. Ce qui suppose :

  • Qu’ils apprennent à gérer les aléas et à prendre en compte les évolutions opérationnelles qui se produisent tout au long du projet, avec des réajustements en continu.
  • Qu’ils adoptent parfois une tactique de petits pas, décidés de façon opportuniste parce que permettant d’avancer dans la mise en œuvre.
  • Qu’ils sachent analyser les accélérations et les freinages, ainsi qu’à transformer les contraintes en opportunités.
  • Qu’ils intègrent la nécessité de gérer le risque que les acteurs s’épuisent, oublient les objectifs ou s’égarent.
  • Et enfin, c’est essentiel pour renforcer la dynamique initiée, qu’ils valorisent les progrès et les résultats, ou plus exactement ceux qui les ont permis.

Développer et accompagner sur ces dimensions les acteurs en charge de ces projets stratégiques constituera une activité à forte valeur ajoutée pour une DRH.

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