Adieu au « Carpe Diem » !

Pendant que la dame virevolte dans sa belle robe parme au bras de son cavalier sur le flonflon d’une fête de village, la forêt de la Teste de Buch brûle. Le coût de l’électricité est multiplié par plus de 10. Les stocks de marchandises se vident progressivement des rayons des supermarchés. Les jeunes générations se désaffectionnent du travail et les plus anciennes démissionnent. La canicule a desséché le grand cèdre centenaire et les réservoirs d’eau de l’Ariège sont vides au deux tiers. Et les sanctions imposées à l’envahisseur Russe se retournent contre l’Occident. La musique des évènements révèlera-t-elle enfin la partition de leur synchronicité ?

Le « carpe diem » c’est fini !

Cette année, on a consommé plus que la terre ne pouvait produire de ressources. Des déclarations même à haut niveau suffiront-elles à faire prendre conscience que « l’abondance c’est terminé » ? Si tout un chacun est impliqué dans la fin d’une consommation décrite comme abusive, ce serait oublier que les interrelations mondiales ont créé un jeu de dupes. Pour exemple , suite à des pertes constatées au premier trimestre de cette année et non inclues dans les vœux du PDG de la grande firme, celles-ci auront des répercussions directe sur le montant alloué aux actionnaires du fonds de pension qui composent son capital. Les retraites outre Atlantique en pâtiront. Licencier du personnel, vieux remède éculé pour faire remonter la cote de l’entreprise au CAC 40, ne suffira pas à redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs français, une fois qu’ils auront utilisé les pansements provisoires de la loi du même nom.

L’économie mondiale a besoin d’autres guides qui prennent en compte la rareté comme mode de pilotage ; et d’un but ultime pour lui donner un sens, telle la continuité de la vie sur terre des différentes espèces. Deux paradigmes ont été shunté depuis trop de temps, la diachronicité et l’interdépendance relationnelle.

La diachronicité n’est pourtant un secret pour personne !

Quelle entreprise, quelle collectivité territoriale, quelle institution, quelle école de commerce ignore encore la technique de prospective capable de projeter dans le temps l’évolution des choses ? La problématique est justement là. La plupart du temps, la prospective est considérée comme une technique et non comme une méthodologie. Quelle différence direz-vous ? Elle est gigantesque, incommensurable. Elle est révélatrice des retours ignorés des actions engagées et qui aujourd’hui surprennent : l’effet boomerang des impacts des décisions non suffisamment réfléchies dans le temps et l’espace. Pour exemple, les assembliers automobiles ont fabriqué des voitures électriques et ont incité les consommateurs à remplacer leurs véhicules thermiques polluants par des hybrides… Quand deux tiers des centrales nucléaires françaises ne fonctionnent pas et que personne ne sait comment refreiner la spéculation internationale sur le manque d’offre nationale d’énergie nucléaire. Ce qui ne saurait que provoquer un coût supplémentaire des charges pour les entreprises, les ménages, et l’Etat !

La méthodologie est systémique. Si le mot tendance est celui d’éco-système, il n’est pas défini et souvent, il est employé sans même savoir ce qu’est un système.

Ce n’est pas parce qu’on parle de système que le « système fait système » ! A l’instar des planètes, le système réunit dans l’interrelation de ses membres, les personnes morales, physiques, les objets, les espèces vivantes et tout ce qui lui est relié de près ou de loin car il a « à faire avec ». Le système présuppose une alliance de tous ceux qui y sont reliés afin de « tirer dans le même sens », celui d’un but commun projeté et jamais accompli.

Le système est à la fois global et local. Il ne peut exister sans les actions locales des individus qui forment un tout. Il poursuit une finalité commune et les évènements à l’échelle de la planète concernent tout le monde. La pandémie fut de ceux-là. Enfin, contrairement aux idées reçues, comprendre un système est simple. Son message tire le fil d’Ariane de la complexité ambiante : celui de la prise de conscience de l’interrelation dans laquelle les uns et les autres sont interdépendants.

L’interdépendance relationnelle ou la clé du « faire système »

La notion de partie prenante est bien connue des entreprises. Sa définition selon la norme ISO 26 000 (fondatrice de la RSE-RSO utilisée par les entités notamment sur le plan RH) est celle d’un acteur ayant une influence sur la stucture concernée. On aura oublié que le champ d’action de l’influence était plus vaste que celui concourant à la réussite d’un objectif à court terme, telle l’optimisation de la rentabilité, des conditions de travail ou de l’organisation. Il est celui de « l’intrication » entre toutes les entités existantes dans le sens où l’évolution de l’une se répercute indispensablement sur les autres.

La notion d’intrication vient de l’approche quantique qui poserait que les personnes ou les objets n’acquièrent les caractéristiques de leur nature que si et seulement s’il existe entre eux des interrelations. Cette notion fondamentale est à la genèse de la culture d’entreprise avec ses codes et son cadre. Elle produit celle de la Nation dans la rencontre et la mixité des différentes populations. Elle échafaude les relations internationales dont la nature politique est intriquée avec celle de la finance, de l’économie, du numérique ou de la consommation. Le résultat est simple à comprendre, si un élément bouge, tout bouge peu ou prou ! Et voilà un moment que les résultantes des évènements actionnés par des actions à court terme sur le plan local et global ont généré une synchronicité de difficultés voire même de catastrophes qui étonnent et dont on proclame que « le règne de l’abondance est terminé »… Quand ces signes pointent « la réponse de l’univers par rapport au chemin sur lequel on s’est engagé » (Cf Jung)…

Un système ouvert entre les humains resterait à inventer…

Un proverbe ancien proclame que : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! » Certains pensent que seuls les dirigeants sont en capacité de prendre les bonnes décisions. D’autres responsabilisent les individus sans leur donner les clés pour agir. Entre ces deux alternatives qu’on ne reniera pas car tous les efforts sont nécessaires pour tenter de « faire système ensemble », une tierce voie, celle des collectifs informels. A l’instar des « champs morphiques », la résonance entre leurs membres rassemble et stabilise les comportements, les champs sociaux, culturels et mentaux dans une influence réciproque.

Certains conservent un souvenir difficile du collectif « Gilets Jaunes » ou de celui du « Convoi de la liberté ». Un des paradigmes sociaux qui fut la cause de leur échec fut leur manque de constitution juridique en un groupe reconnu par les institutions. Une question s’impose : a-t-on besoin d’être reconnu juridiquement pour agir ? Faut-il refermer le « système » agissant en contingentant ses membres quand la nature de tout système par le fait de son intrication avec les autres systèmes est déjà d’être ouvert ?

On pourrait penser que les initiatives de ces collectifs et celles d’autres ne servent à rien, qu’elles sont hors normes ; qu’on n’y peut rien, qu’il n’y a qu’à continuer comme avant et qu’on verra bien ! Qu’après tout la vie sur terre n’est pas du ressort de la personne et que si la mer Méditerranée voit ses espèces de poisson décliner drastiquement, ce n’est pas important du moment que les enfants aient toujours à manger. Certes, mais quoi ?

Selon l’enquête du Céreq sur deux années 2020 et 2021, la génération sortie d’études en 2017 trouverait facilement des CDI quand certains parmi elle n’espèrent plus rien de la politique ou de l’économie traditionnelle. Ils ont fait le choix d’agir localement et activement. Et leurs initiatives rencontrent celles d’autres générations. Leurs résolutions sont nombreuses et efficaces tant dans le domaine de l’agriculture, de l’aide aux personnes, du partage ou de la rénovation de l’habitat, que ce soit en ville ou en campagne. Par le soutien qu’elles leur procurent, les collectivités territoriales jouent un rôle important sur les territoires. Par ailleurs, par le fait du télétravail, des pans entiers de patrimoine rural ont changé de main. Ils appartiennent notamment à ceux qui refusent de perdre la bouffée d’autonomie et d’oxygène que l’excentration du lieu de travail leur a apporté.

Toutes ces personnes ont osé libérer leur pensée des contraintes qui leur pesaient pour privilégier et partager l’essentiel avec d’autres individus qui pensent et agissent comme eux dans un même sens, celui d’être propriétaire du chemin de sa vie !

Pour une réforme de la pensée

Pascal célèbre penseur et philosophe du 17° siècle déclamait : « Toute chose étant causée et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties » ( Pascal, les Pensées, Ed. Brunschwicg, II, 72)

Lors des études, dans l’entreprise, dans l’exercice des mandats représentatifs, a-t-on appris à l’individu à devenir conscient des impacts de ses intentions ? A refuser le qualificatif « d’hors sujet » porté sur ses réflexions ? A se projeter en fonction d’un but poursuivi pour choisir en retour ses étapes ? En fait, la logique rationnelle en vigueur dans la société a réduit la pensée au profit de la réussite d’objectifs immédiats sans finalité avérée en lien avec la personne. Résultats immédiats souvent imposés par des contraintes extérieures qui ne le sont devenues, que parce qu’on les a naturalisées comme telles…

Comment alors s’étonner que la génération Z (née entre 1997 et 2010) préfère fuir un « système » dans lequel elle ne se reconnaît pas et qui par ailleurs n’en a pas les caractéristiques ? Ainsi, Xavier a choisi de faire le tour du monde pendant ses stages à l’école de commerce. Son métier ? il n’en sait rien. Il n’y pense pas. Virginie s’octroie une année sabbatique après avoir passé un diplôme d’administration du personnel. Elle ira voir ses cousines à Hawaï. Après on verra bien… Quant à Bertrand, après cinq ans d’armée, il vit chez une copine et préfère peindre ou faire du vélo… Et cerise sur le gâteau, la dernière enquête IFOP pointe que la génération Z n’est pas la seule à se désaffectionner de l’entreprise. Ainsi, les démissions, toutes générations confondues, ont dépassé celles de 2007, année de la crise des surprimes et dépassent le chiffre record de 500 000 !

Quels sont les messages que les pouvoirs dominants, les responsables d’entités envoient aux individus ? Auraient-ils oublié que rien ne peut se faire sans l’humain ? « Rien de ce qui concerne l’humain ne m’est étranger » déclarait Térence au II° siècle avant notre ère. Et auriez-vous déjà donné une poignée de main à une entreprise ou à une collectivité territoriale sinon salué son dirigeant ou un de ses élus ? L’entité, tel un artefact, ne saurait cacher la réalité vécue par les personnes.

La pensée est responsable des actions qu’elle induit…

D’hors et déjà certaines entreprises prennent en compte les implications de leur production pour leurs fournisseurs ou leurs clients et des accords comment à exister sur la préservation des matières premières ou l’évitement des déchets industriels. Aux USA les responsables du Wyoming ont compris qu’il était nécessaire de mixer des essences d’arbres afin de limiter les feux et ils ont réintroduit les grands herbivores pour entretenir les taillis sous futaies. Et en Gironde, les propriétés privées construites par des groupes de retraités ont pour mot d’ordre, « Tout sauf l’Epadh ! »

A l’opposé, en Europe, la crise économique internationale provoquée par le covid puis le conflit politique relatif à l’invasion de l‘Ukraine par la Russie, ont balayé les résolutions de l’agriculture biologique et raisonnée ; et ce, malgré ses rendements à l’hectare et ses bienfaits pour la conservation du patrimoine naturel. Le paradigme a été que seule l’agriculture intensive pourrait nourrir la population mondiale. De facto, cette prise de position a décidé le retour aux engrais quand ils sont en majorité importés de Russie !

Le temps est venu de réagir…

La multitude d’individus qui consomment est trop importante pour qu’elle puisse encore longtemps se satisfaire du « green working » de l’entreprise ou du « green washing » de l’économie. Le temps est sans doute venu pour qu’elle prendre conscience des signaux qui lui sont envoyés afin qu’elle élabore les scénarios de sa vie future. Elle n’est pas seule, chaque individu qui la compose est dans la proximité de l’un et des autres. Et à y bien penser, il y a sans doute plus d’éléments qui les rapprochent que d’éléments qui les séparent !

Puisse la dame, dans sa belle robe parme, continuer à valser dans les bras de son cavalier, dans l’espoir d’une autre complainte…

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