Partie 1/2. Suite le 6 octobre prochain

A la lecture de différents articles qui le citent, traiter de l’Humain dans l’entreprise revient régulièrement à s’attacher au bien-être du salarié. Une autre approche consiste à l’aborder par rapport à ce que l’entreprise aurait perdu. Les confinements nous ont montré l’importance du lien social et son impact sur la santé mentale des salariés quand celui-ci disparaît. Ce constat sur la dégradation du collectif de travail a été d’autant plus facile à faire qu’il était la résultante de l’obligation de travail confiné. L’histoire n’est pas la même quand l’entreprise peut se retrouver impliquée dans les causes de cette perte. Les articles abondent par exemple sur une génération en quête d’un nouveau sens au travail. On en trouve à peine à la marge quand il s’agit de traiter ce qui pourrait être également considéré comme une perte de sens dans le travail. Et pourtant il y aurait beaucoup à en dire. Même avec cette approche, les réseaux sociaux chercheront le buzz, comme mettre en avant la création de bullshit jobs qui justifieraient cette perte de sens. Questionner ce qui serait la conséquence d’une dérive du travail ou encore des stratégies organisationnelles maltraitantes n’est pas quelque chose de facile à entendre pour l’entreprise. Il s’agirait concrètement de remettre en cause ce qui pourrait être considéré comme une déshumanisation de l’entreprise en fonction de ce qu’elle enlèverait à l’Humain. Proposer cet autre regard offre pourtant un fort intérêt. En se confrontant à une réalité, l’entreprise se positionne pour être en mesure d’en évaluer les potentiels impacts et en tirer les conséquences. Les confinements ont montré de manière violente l’impact de la dégradation du collectif de travail à travers la perte du lien social. Ceci a permis de tuer dans l’œuf l’idée émergente d’une entreprise sans siège social (aux exceptions d’usages prêt), pour très rapidement valider l’organisation hybride. Les crises et le choc qu’elles génèrent ont cet avantage de mettre en pleine lumière des constats que l’on ne ferait pas par négligence ou évitement, et qui pourtant nous mettent en situation de prendre de bonnes décisions. Si la mise en place du modèle hybride a permis de préserver le lien social, la désagrégation du collectif de travail, surtout dans les grands groupes, est bien antérieure à la crise sanitaire. Elle trouve son origine dans la déréglementation des marchés financiers à la fin des années 1990. La vision de court terme imposée par ces derniers a amené les grands groupes à développer une stratégie organisationnelle dégradant la qualité du collectif de travail. « Il y a collectif quand plusieurs travailleurs concourent à une œuvre commune dans le respect des règles (Cru/1987) ». L’individualisation des objectifs, l’effet silo lié la financiarisation du management (voir Fake Management aux éditions ems), ou encore la mise en place du management par les process, ont été des atouts pour garantir une stratégie financière visant la maximisation de l’efficacité de court terme. Une conséquence rapide a été la fin de la coopération au profit des normes et des procédures. Leurs dérives ont entraîné l’installation d’une culture de la bureaucratie. Cette stratégie organisationnelle largement diffusée dans les grands groupes via les cabinets conseils a conduit à une autre perte, celle de l’intelligence de l’Humain dans l’entreprise. Selon Jean Piaget, « l’intelligence, ce n’est pas ce que l’on sait mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ». Les diverses normes et procédures qui sont censées garantir l’efficacité de l’action de chaque salarié ont pour conséquence d’éviter qu’il se trouve dans la situation de ne pas savoir quoi faire et donc d’utiliser son intelligence (lire « Grands groupes, l’intelligence perdue » sur RH INFO). On imagine alors assez mal l’intelligence collective comme solution quand l’intelligence de chacun n’est stratégiquement pas requise au quotidien. A l’épreuve des faits, l’intelligence collective relève finalement plus de la facilitation du collectif que de l’intelligence. Ce n’est déjà pas si mal quand on est confronté à une culture d’individualisation. Face à la désagrégation du collectif de travail, l’intelligence collective apparaît alors comme un outil de compensation. On ne transforme pas une culture avec des outils surtout quand la stratégie organisationnelle qui la soutient porte ses fruits. Comment remettre en cause une stratégie qui malgré toutes ses dérives, délivre encore aujourd’hui ce pour quoi elle a été conçue ? Années après années, elle améliore l’efficacité opérationnelle en baissant structurellement son coût. La compensation apportée par une intelligence collective risque très vite de se transformer en une injonction paradoxale de plus face à un modèle qui démontre son efficacité financière. Les managers ne sont-ils pas déjà débordés à tenter de gérer une nouvelle organisation hybride alors même que la qualité du collectif a été bien entamée pendant des décennies ? Pour faire évoluer les grands groupes, il faut leur proposer des transformations qui soient en phase avec leur stratégie. Le prérequis est de proposer un impact significatif sur la performance opérationnelle. Pour beaucoup d’entre eux, l’abandon de la coopération au profit de l’individualisation et des procédures a commencé depuis une génération. Ceci implique logiquement que durant plus de 20 ans, des potentiels de productivité liés à la coopération entre départements ont eu très largement le temps de se générer sans être pour autant exploités. A ceci, il faut ajouter les potentiels de réduction des coûts cachés, conséquences de décennies de transformations en mode silo, ne s’attachant pas nécessairement aux gains réels en « end to end », c’est-à-dire aux conséquences négatives éventuelles dans d’autres départements. Les potentiels sont là, conditionnés par la volonté de l’entreprise à accepter de regarder l’Humain d’une autre façon. Plutôt que de chercher à préserver tant bien que mal un collectif toujours plus chahuté, le valoriser afin d’installer une nouvelle culture de coopération permettrait de repositionner l’Humain dans l’entreprise.

Collectif et coopération, ces 2 C de l’Humain, offrent un potentiel de performance certain pour des entreprise les ayant négligés depuis trop longtemps. La connaissance, le 3ème des 3 C, pourrait être la clé pour convaincre des grands groupes de revoir un modèle par ailleurs à bout de souffle pour beaucoup d’entre eux. Si investir sur la valorisation du collectif et retrouver une culture de coopération relèvent d’un choix stratégique, les risques sur la connaissance dans l’entreprise sont un sujet majeur à traiter par les grands groupes. Ce thème apparaît rarement à l’agenda des COMEX. Il est pourtant à la base de leur stratégie organisationnelle et plus généralement représente le pilier de l’innovation. Pour en savoir plus, c’est dans un prochain article sur RH INFO. Pour celles et ceux qui ne voudraient pas attendre, et dans tous les cas aller plus loin sur le thème de l’Humain, c’est dans Fake Management paru aux éditions ems, collection pratiques d’entreprises.

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