L’origine : gestion de crise et transformations difficile à appréhender.
Cela provient d’un sentiment de succession de crises permanentes pour lesquelles nous n’avons pas de clés de lecture. Une crise, c’est un évènement soudain qui nécessite de gérer sur un mode d’exception, d’urgence, qui est difficile de maintenir dans la durée. C’est ce que nous avons vécu au début du Covid, lors de catastrophes environnementales type Lubrisol et on parle de crise alimentaire, de crise des matières premières.
En arrière-plan de ces crises, il y a des transformations profondes, avec des modèles et des organisations qui sont appelés à disparaître et un foisonnement d’initiatives entrepreneuriales, de changements dans le management qui nous amènent vers un nouveau monde. C’est la destruction créatrice de Schumpeter et nous en sommes qu’au début.
Les conséquences de cette gestion de crise à répétition est pour certains un sentiment de peur, une absence de points de repères et une sensation de fatigue. Cela pousse des collaborateurs de manière inattendue à se mettre en mouvement ou à se désengager, ce qu’on appelle la grande démission.
La fragilité, une clef de lecture des transformations en cours difficile à admettre.
L’enjeu de cette transformation, c’est de savoir faire avec la fragilité de nos ressources et notre propre fragilité. C’est une mutation importante dans notre manière d’agir et dans notre rapport à soi. Le Covid est important puisqu’il nous a renvoyé à notre fragilité existentielle, à notre finitude et il en est de même depuis avec les déséquilibres géostratégiques et environnementaux. Faire avec la fragilité, c’est être conscient de ses limites, savoir faire preuve d’humilité, d’ingéniosité et de tact par rapport à des environnements économiques, sociaux imprévisibles.
La grande démission recouvre plusieurs réalités :
Pour certaines personnes, il ne s’agit que d’une mobilité pour faire avancer leur projet professionnel et améliorer leur situation. C’est classique dans une période où l’offre de travail redevient plus forte après le Covid et où il y a une raréfaction de la demande liée à des facteurs démographiques. L’incidence est différente selon les entreprises, gagnantes ou perdantes. C’est globalement plus d’énergie passée à recruter, à intégrer, des compromis fragiles sur les salaires, sur les conditions d’emplois. La capacité de rétention devient un avantage compétitif, la loi du marché joue aussi sur les Ressources Humaines, faut-il s’en plaindre.
Pour d’autre personnes, les changements sont plus radicaux puisque les personnes changent de milieu et d’orientation professionnelle. Là, c’est plus perturbant parce que difficile à évaluer puisque des personnes quittent la fonction publique, quittent les grands groupes, quittent le salariat et vont ailleurs et souvent créent des activités auxquelles l’économie formelle ne sait pas répondre. Ces départs remettent en cause les fondements des organisations concernées, et génèrent une angoisse parce qu’ils sont difficilement compréhensibles.
Dernière forme de démission : des personnes sont sidérées par ce qui est présenté comme une succession de crises, elles sont fatiguées et sont hors des transformations en cours. Elles restent dans leur emploi, mais ne sont plus engagées dans leur vie professionnelle.
La plupart des solutions prises en réaction par rapport à cette grande démission aggravent le « mal ».
Les exemples les plus simples sont les tentatives de rattrapage salariaux des partants qui déséquilibrent les pyramides de salaire. Pour un salarié rattrapé, deux ou trois peuvent partir à terme.
D’autres solutions plus qualitatives sont mises en œuvre. Le passage à des statuts d’entreprise à mission, des stages de gestion du stress si demandés en ce moment, des remises en cause des modes de management, tout cela est nécessaire. Mais quand ces remèdes sont administrés en réaction face à des départs, ils viennent accréditer le fait qu’»il y a quelque chose qui ne va pas », mettent la puce à l’oreille des salariés et occasionnent encore plus de départ. Par exemple, l’affichage de la quête d’un nouveau sens au travail, totalement déconnectée des réalités de terrain finit en général de déboussoler les collaborateurs ou attiser des colères enfouies…
Un changement de perspective : le grand réengagement.
Tout est une question de présentation. 42000 ruptures conventionnelles en mars 2022 peut être vu comme une grande démission, mais aussi une tentative de construction d’autre chose, de nouvelles formes de travail, de nouveaux équilibres entre vie professionnelle et vie personnelle, de nouveaux modèles économiques et et managériaux en remplacement d’un modèle usé dans ses finalités et dans ses modalités. Les nouveaux services à la personne, les circuits courts, le réemploi, les nouveaux métiers liés au digital, la conjugaison de plusieurs activités, autant de nouveautés qui témoignent d’une volonté de réengagement dans autre chose.
Mesurer ce réengagement, nécessite une observation fine, de retenir ses jugements sur la viabilité économique et d’accepter d’être bousculé.
Un peu plus de stratégie peut faciliter ce réengagement.
Il n’est pas facile de répondre à la demande de sens tant elle déborde de la sphère professionnelle. En revanche, ce qui est clairement du rôle de l’entrepreneur, c’est de mettre en place et de diffuser une stratégie qui permette de répondre à la question lancinante du pourquoi on agit, présente à tous les niveaux de l’entreprise.
En quoi la grande démission peut-elle avoir un impact sur les stratégies ?
D’abord elle peut mettre en valeur leur carence, lorsque l’organisation est surchargée de missions prioritaires en inadéquation avec les attentes et les moyens des parties prenantes. La grande démission est un écho à une difficulté relevant de la gouvernance de l’entreprise.
Elle remet en cause l’utilité de l’activité de l’entreprise par rapport aux besoins de la société, avec le biais classique qui est que notre vision des besoins correspond à ce qu’on sait faire et à ce qui est viable économiquement à court terme. Les adeptes du grand retournement sont des explorateurs, identifient d’autres activités viables, d’autres modèles économiques.
Pour faciliter ce réengagement, il est nécessaire de manager un peu moins ou différemment.
Le management au sens très réducteur essaie d’obtenir toujours un peu plus de salariés. Et le risque est d’exiger encore plus dans des organisations fragilisées par les départs et les pertes de compétences et d’occasionner autant de départs ou de désengagement.
Le changement de paradigme pour les managers en situation de grande démission, c’est de savoir intelligemment faire avec ce qu’on a si la stratégie et les objectifs le permettent. Par exemple pour une structure d’aide à domicile de recaler ses niveaux d’activité de moins 20% tant que le turn over reste élevé plutôt que de mettre une pression excessive.
C’est un autre savoir-faire que le « toujours plus ». C’est une grande attention portée à l’organisation, aux tâches inutiles et complexes, c’est une anticipation des défaillances possibles, c’est du soutien aux salariés dans des phases critiques, c’est la résolution des conflits du quotidien. Tout est là, les managers savent faire ou peuvent apprendre à assumer ces missions, reste à éliminer des rôles, des comportements et des attitudes de toute puissance qui leur nuisent.
A titre de conclusion, la difficulté de fond que pose cette période de transformation relève de la cohésion sociale, tellement l’éventail des situations et des inégalités s’élargit avec des risques de conflictualité en interne dans l’entreprise et avec ses clients, fournisseurs. Avec les reprises des conflits sociaux, les manifestations d’incivilités, les thématiques de harcèlement et de violence au travail, les relations sociales prises au sens large sont à nouveau un sujet clef pour accomplir cette transformation.
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