On associe communément l’Humain à son bien-être dans l’entreprise. Une autre approche consiste à le regarder à travers ce que l’entreprise aurait perdu ou pourrait perdre le concernant. C’est ce que proposent les 3 C de l’Humain. Le collectif et la coopération ont été abordés sur RH INFO le mois dernier. La connaissance conclut ce triptyque.

La connaissance est un des sujets les plus sous-cotés des réseaux sociaux alors même qu’elle revêt une importance majeure. Elle fait l’objet de nombreuses confusions. En 1er lieu, il y a celle avec l’information (1). « L’information est un ensemble de données structurées et formatées, mais inertes et inactives tant qu’elles ne sont pas utilisées par ceux qui ont la connaissance pour les interpréter et les manipuler (David et Foray/2002) ». Partant de cette définition, la connaissance serait donc cette étape supplémentaire d’une information comprise et utile. Pour comprendre une information, il faut une connaissance préalable. La connaissance appelle à la connaissance dans un cercle vertueux. Ainsi, penser que la transformation digitale entraînerait un partage d’information utile est un raccourci tellement rapide qu’il génère une croyance de plus sur les réseaux sociaux. Le digital véhicule de l’information qui sans la capacité à la comprendre n’apporte rien de significatif. Il peut même avoir un effet contreproductif en se transformant en vecteur d’infobésité. La connaissance demande également la capacité à manipuler l’information. Il lui faut donc une utilité et la capacité à agir. Elle prend donc toute sa dimension quand elle génère une action. Il faudra parfois une somme de connaissances acquises pour pouvoir agir. Si cette action se traduit dans un contexte de récurrence d’exécution dans une situation donnée, elle devient une compétence.  Selon l’AFNOR, « la compétence est la capacité à mettre en œuvre des connaissances, des savoir-faire et comportements en situation d'exécution ».

(Source Blended Learning Quality/2014)

Cette dimension de la connaissance est intégrée depuis longtemps dans les entreprises. Elle fait l’objet de formations explicites et formelles ou encore à travers la formation tacite (difficile à formaliser) comme le compagnonnage qui peut même l’élever au niveau d’art.

La connaissance : une nécessité pour s’intégrer dans l’organisation

La crise sanitaire nous a rappelé que la connaissance n’est pas exclusivement liée à l’acquisition d’une compétence métier. La difficulté de l’intégration des nouveaux arrivants pendant la crise sanitaire a rappelé que la compréhension des règles sociales, des divers enjeux entre les acteurs, ou encore les valeurs réelles de l’entreprise ne peuvent pleinement s’effectuer qu’à travers les interactions physiques et l’acquisition d’une connaissance dite informelle. On ne sait ni quand, ni comment, ni à quelle occasion on va l’acquérir. On pourrait le définir comme le niveau 1 de la connaissance organisationnelle. Il permet de se repérer, prendre ses marques et évoluer dans l’entreprise. Avec le modèle hybride, le temps d’acquisition de la connaissance organisationnelle de niveau 1 est structurellement allongé. Avec des entreprises pratiquant 2 jours de télétravail par semaine, il augmente mathématiquement de 40%. Ce temps est même plus important puisque désormais on ne sait plus qui on va croiser en présentiel. Il est probable que le principe des cent 1 er jours pour réussir dans l’entreprise augmente très significativement dans un environnement hybride jusqu’à pourquoi pas doubler si rien de spécifique n’est mis en place. Ceci concerne plus particulièrement les grands groupes avec des organisations aussi complexes que compliquées.

La connaissance : un préalable à la transformation de l’organisation

Ces derniers sont également très concernés par ce qu’on pourrait appeler la connaissance organisationnelle de niveau 2. C’est celle qui permet de comprendre de façon plus ou moins étendue ce que le sociologue des organisations François Dupuy appelle l’organisation réelle de l’entreprise (La faillite de la pensée managériale/Editions du Seuil/2015). Il rappelle que l’organisation réelle de l’entreprise n’est pas son organigramme. Ceci concerne également les process codifiés dans les ERP, ou encore les divers normes et procédures qui traduisent mal la réalité des interactions entre les divers départements quand ce n’est pas à l’intérieur d’un même service. Les grands cabinets conseils ne s’y trompent pas. Précédemment, un responsable de service promu au cours d’une réorganisation avait la responsabilité de définir sa propre organisation, c’est-à-dire « qui fera quoi ». Aujourd’hui dans les process de transformation vendus par les cabinets conseils leaders, on demande à chaque responsable de définir les risques sur certaines tâches ou métiers en fonction d’une organisation préalablement proposée (concrètement une baisse des effectifs), sans même savoir s’ils feront partie de l’organisation à venir. Ceci est la reconnaissance implicite que des salariés de l’entreprise peuvent avoir une connaissance plus étendue ou spécifique que d’autres sur l’organisation. C’est également un constat ou un rappel du fait que l’entreprise ne peut pas sous-traiter cette connaissance.

Celle-ci est liée à l’ancienneté, les divers métiers tenus, les projets réalisés, l’expérience professionnelle de chacun et par-dessus tout une volonté de comprendre les autres métiers et le fonctionnement de l’entreprise. Ceci permet d’identifier les risques et opportunités lors d’une transformation majeure et de résoudre pas mal de problèmes au quotidien. Cette compréhension est la conséquence d’une connaissance informelle acquise au cours d’interactions en présentiel. Les connaissances critiques se transmettent rarement au cours d’une réunion et jamais en compte rendu. Elles se font dans un bureau, un couloir, ou encore à la machine à café devenue presque mythique avec la crise sanitaire. Les bureaux et les couloirs ont disparu de nombre d’entreprises au nom de la réduction des m2. Une réunion chasse l’autre, ne laissant plus ce temps pourtant nécessaire de l’informel. Le problème est ainsi bien antérieur à l’entreprise hybride. Celle-ci ne fait que l’accentuer.

Retrouver les 3 C de l’Humain

Il a été facile de prendre en compte la connaissance organisationnelle de niveau 1 durant la crise sanitaire. Son manque est très rapidement visible. De plus, l’intégration des nouveaux salariés est généralement de la responsabilité des ressources humaines qui ont su réagir très vite dès les 1ers confinements. Qui est responsable de la performance organisationnelle globale de l’entreprise ? On aurait du mal à identifier des champions de l’organisation dans les grands groupes. La stratégie organisationnelle est généralement cédée aux grands cabinets conseils. Ceci ne désengage pas pour autant l’entreprise dans sa responsabilité sur l’acquisition de la connaissance organisationnelle de niveau 2. Pour des grands groupes qui désormais se réorganisent tous les 3 ans pour les plus avancés, cette connaissance devient critique. Au fil des réorganisations, il devient de plus en plus difficile de transformer tout en conservant l’efficacité de l’organisation. Même si historiquement, on demande aux managers de terrain de compenser les manques de l’organisation, ces derniers n’ont-ils pas déjà assez à faire avec le management hybride ? Même si les conséquences d’un manque de connaissance organisationnelle ne pourraient se ressentir financièrement qu’à moyen terme, il y a urgence à prendre le sujet en compte dès aujourd’hui. Le modèle hybride ou tout est à définir, la guerre des talents qui fait rage, sont autant de bonnes raisons pour questionner le travail sur le fond. Les entreprises pourraient commencer par se poser cette simple question : « si je viens au bureau pour faire la même chose que chez moi, pourquoi ne pas rester chez moi ? ». L’enjeu de l’entreprise hybride se situe sur la transformation du travail en présentiel.

Collectif, coopération et connaissance. Ces 3 C symbolisent l’Humain dans ce que l’entreprise aurait perdu ou risquerait de perdre à plus ou moins longue échéance. Ils sont liés entre eux. La connaissance améliore significativement le potentiel d’efficacité de la coopération. La bonne santé du collectif crée l’environnement nécessaire à l’épanouissement de la connaissance et favorise la coopération. Ils représentent un axe de réhumanisation de l’entreprise. Ils apportent pour les uns un potentiel de performance oublié via le retour de la coopération. Pour les autres ils sont une nécessité dans leur stratégie organisationnelle actuelle avec le maintien et le renouvellement de la connaissance. Pour tous, ils participent au bien-être des salariés en redonnant plus d’humanité au travail. Se retrouver avant de se réinventer. C’est ce que proposent les 3 C de l’Humain.
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(1) La 2èmegrande confusion concerne la créativité considérée communément comme le levier essentiel de l’innovation alors même que la connaissance est critique à sa conception et sa réalisation. C’est une des grandes interrogations des réseaux sociaux alors qu’il y a toute la littérature disponible sur le sujet. Du modèle SECI de Nonaka, en passant par la théorie CK ou encore le très didactique T Shaped, une analyse en est proposée dans Fake Management.

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