J'avais déjà publié ce texte il y a trois ans. Néanmoins ce que j'observe du monde du travail et de la société m'amène à le publier à nouveau.
Qu’il s’agisse de connaissance ou de compétence, une des problématiques de l’intelligence est celle de la « prise de conscience », de la « perception » des réalités internes et externes qui préside aux orientations, choix et décisions d’un acteur professionnel.
Or l’épuisement créé par nos absurdes pratiques de temps de présence maximal fini par nous borner à la recombinaison indéfinie de ce que nous savons déjà, sans qu’aucune prise de conscience créative ne puisse plus venir apporter un peu de lumière dans cette opacité du quotidien. Comme le disait Claude Bernard : « Ce que nous savons est le plus grand obstacle à ce que nous ne savons pas ». Parce que nous ne sommes pas prêts à la surprise : « nous ne croyons nos yeux qu’autant que nous avons la conviction préalable que ce qu’ils semblent nous apprendre est croyable », disait sous une autre forme Sir Arthur Eddington.
La difficulté peut se définir de la façon suivante : ce que nous avons coutume d’appeler notre « conscience » est structuré par un système de représentations, acquis depuis nos origines, au long de notre histoire, de notre formation, de notre expérience, de nos opinions arrêtées ; nous n'avons d'ailleurs pas une conscience complète de ce système et de la tyrannie qu'il exerce sur notre pensée et sur notre imagination, sur nos affects et sur nos sentiments et par conséquent sur les conditions de notre créativité.
La créativité nous oblige en effet à recevoir, regarder ou concevoir des "choses" qui outrepassent, voire contredisent absolument notre système. Et comme c'est à partir de ce système que nous jugeons spontanément, cette contradiction peut devenir en nous un véritable obstacle.
Il faut comprendre en effet que tout savoir, quel qu’il soit, s'appuie nécessairement sur des représentations. Qu'il traite de l’individu, de la société ou même de valeurs transcendantes, il ne traite jamais que des objets, c'est à dire de la structuration et de l'organisation des représentations d'un sujet, dans une corrélation avérée. Autrement dit, la représentation est une construction de l'esprit – imagination et raison, sensibilité et affects, mémoire et intuition – qui tâche de reproduire les éprouvés et les concepts de notre expérience, vécus par nous-mêmes ou induits par des tiers.
En outre, ces représentations se constituent nécessairement en système, c'est à dire en un tout cohérent et clos sur lui-même, dont chaque élément est en relation avec tous les autres. Toute nouvelle représentation doit pouvoir trouver sa place au sein du système, sous peine d'y faire germer une contradiction trop forte qui provoquerait l’aveuglement, l'exclusion, voire l'oubli. Chaque représentation dont l'intégration est possible trouve ainsi sa place d'objet au sein du système des représentations d'un sujet.
Il n'y a donc d'objets que pour un sujet. Et ces objets ne sont pas les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais telles que nous nous les représentons, en y projetant d'ailleurs les caractéristiques propres de notre système. Ce qui veut dire que nous ne pouvons nous représenter les choses… qu'en tant qu'elles constituent un objet acceptable pour nous ! Nous avons donc toujours tendance à construire l'objet pour qu'il soit compatible avec notre système existant. L’illusion consiste à prendre l'objet pour la chose, à penser que ce que nous nous représentons est le réel; alors que ce n'en est qu'une image plus ou moins déformée et altérée.
L’illusion est une fonction de lutte contre le stress ; stress provoqué par une représentation nouvelle et par conséquent toujours agressive pour notre système.
L’intelligence est la reconnaissance de l’illusion et donne la pertinence nécessaire pour en outrepasser les barrières.
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