« La valeur travail n’a pas disparu pour les jeunes générations mais elle n’est plus au centre de leur existence . » Cette assertion figure dans le chapô d’un article de Patrick Capelli , dans La Tribune du 22 mai 2022.

Cela me pose un problème, car je ne suis plus tout jeune, et que le travail n’a jamais, mais alors jamais été “au centre de mon existence”. Dois-je me sentir coupable, docteur ?

Ce qui est vrai, c’est qu’il est peut-être plus difficile de réussir à trouver un équilibre de vie dans les conditions du travail que nous connaissons aujourd’hui. Sans doute les valeurs essentielles de l’existence ont-elles refait surface pendant une crise sanitaire sévère ! Augustin de Romanet, PDG d’Aéroport de Paris, avait eu cette remarque très forte sur France Info : « C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’on arrête totalement l’économie pour sauver des vies. (…) Beaucoup d’historiens disent que le XXe siècle a commencé avec la guerre de 14 ; au fond, on peut se demander si le XXIe siècle n’aura pas commencé avec le coronavirus. »

Des pratiques de travail déplacées

Passer le plus clair de son temps sur son lieu de travail finit en effet par faire poser question. Et encore, combien d’entre-nous parviennent-il réellement à s’extraire de leurs soucis professionnels, une fois rentré chez eux ou l’ordinateur éteint ? Le télétravail partiel, lorsqu’il est bien conçu et pratiqué dans les bonnes conditions – et seulement dans ce cas –, peut sans doute alléger l’agitation quotidienne qui finit par nous user. Mais il y a souvent loin de la notion d’organisation hybride à celle d’équilibre de vie !

Comme je l’écrivais déjà avant la pandémie, notre mode de vie est plus trépidant que jamais… et le stress quotidien – en croissance importante, selon la dernière Enquête d’ADP « People at Work 2022 » – est le salaire de nos investissements excessifs. De nos investissements maladroits. De nos investissements inutiles. De nos surcharges volontaires, simplement parce que la logique qui préside à nos activités est une logique essentiellement quantitative. Une logique du toujours plus. Toujours plus avec moins. Et surtout toujours “excellisé” ! Dans un monde où toute baisse de rythme est immédiatement perçue comme une faiblesse, il est de plus en plus difficile d’avoir une vraie vie, surtout depuis que le “bluring” – mais oui ça existe ! – a pénétré nos pratiques digitales, comme le décrivait déjà ironiquement cet article de Courrier Cadres !

Le travail, OK ! Mais à sa place !

Je ne dis pas que le travail n’est pas une dimension importante de la vie humaine. Outre le fait qu’il nous permet de gagner l’argent nécessaire, il constitue un lien social constructif, par les échanges instaurés avec d’autres professionnels ; un lien citoyen et politique, parce que notre travail peut contribuer à un bien commun ; il procure également un lieu de création et de développement personnel, lorsque les conditions s’en trouvent réunies. J’affirme en revanche que le travail n’est qu’un moyen et qu’il convient de le laisser à sa place dans cette vie. Car il n'y en a qu’une !

Dire que le travail n’est qu’un « moyen » consiste à affirmer qu’il ne trouve pas sa finalité en lui-même ; qu’il n’est qu’une partie de notre vie. C’est ce qui différencie proprement le travail humain de celui de l’esclave – ou de la machine –, dont la seule raison d’être est la tâche à effectuer. Pour garder un équilibre, c'est-à-dire une certaine harmonie – qui permet au demeurant à chacun de vraiment donner toute sa mesure dans son travail –, il est opportun d’avoir d’autres lieux et d’autres investissements fondamentaux que la seule vie professionnelle.

Le choix de vie est premier

Je donne volontiers aux jeunes que je rencontre le conseil suivant : « choisissez d’abord le mode de vie que vous voulez avoir… puis choisissez votre vie professionnelle – métier, fonction, entreprise, etc. – en fonction de cela. Sinon vous subirez votre vie et deviendrez même de piètres professionnels . » Ceux qui pensent que la performance ne s’obtient qu’au prix d’un repli psychorigide, d’une focalisation exclusive sur leur investissement professionnel, commettent une erreur qui se paie souvent très chère aux heures des échecs ou des drames ; car, comme le disait Claudel, « à force de ne pas vivre comme on pense, on finit inévitablement par penser comme on vit ».

Certes, tout ne se passe pas toujours exactement comme on veut, dans la vie, mais il est certain que l’on finit toujours par aller, comme disait Saint-Exupéry, « vers là où l’on pèse vraiment». Il importe, plus que jamais, de « penser » notre vie.

Tags: Travail Equilibre Vie