Pour une entreprise, l’existence d’un projet stratégique adapté aux enjeux de son marché est une condition de réussite. Condition nécessaire, mais pas suffisante. Nous sommes fréquemment confrontés à des situations dans lesquelles le déploiement de ce projet de développement est « empêché » : les comportements des collaborateurs ne permettent pas de mettre en œuvre les axes stratégiques définis. Alors que l’entreprise et son environnement se sont transformés, parfois en profondeur, les comportements d’hier sont reproduits jour après jour. Ils ont été structurés par la culture dont l’entreprise a hérité.

L’enjeu de la culture

Maurice Thévenet, auteur de nombreux ouvrages de qualité sur le thème, positionne la culture d’une organisation comme « un ensemble de références partagées dans l'entreprise, consciemment ou pas, qui se sont développées tout au long de son histoire. » Cette définition souligne que cette culture héritée s’est construite progressivement pour répondre aux enjeux business du passé. Or ceux-ci ont parfois considérablement muté.

Prenons quelques exemples. Sur un marché beaucoup plus concurrentiel que par le passé, comment l’entreprise peut-elle déployer qualitativement avec ses clients certaines priorités de développement si elle est historiquement ancrée dans ses logiques internes, sans culture client forte ? Comment obtenir les résultats attendus si une culture de la performance insuffisante fait d’elle « une belle endormie » au regard de son potentiel ? Comment se développer à l’international si tous les réflexes sont franco-français ? Comment faire face à des acteurs émergents sur le marché, nativement agiles, lorsque se déploient en interne des comportements marqués par la culture du risque ?

La culture d’une entreprise est positionnée en amont de sa stratégie et se déploie sur des temporalités longues. C’est pour cela qu’elle peut handicaper en profondeur la mise en œuvre de son projet de développement. A contrario, être en position de s’appuyer sur une culture adaptée peut constituer un avantage concurrentiel.

Face à cette situation, certaines organisations ayant identifié une caractéristique limitante dans leur culture se centreront sur la transformation de celle-ci. Mais les différentes composantes d’une culture sont en fait très articulées et se renforcent mutuellement. C’est pourquoi d’autres entreprises adoptent une approche plus globale visant une mutation profonde de leur culture.

Avec un point d’attention : de même que pour les valeurs, il ne suffit pas d’identifier la culture ciblée pour que la réalité se transforme. C’est bien sa matérialisation dans les comportements du quotidien qui constitue l’enjeu. Ce sont donc les comportements qui doivent être transformés.

Une approche en trois étapes

Des entreprises ont réussi cette mutation d’envergure en 18 à 24 mois. Pour mener avec succès un tel projet, la première étape consiste à définir la cible : quels sont les comportements requis pour mettre en œuvre le projet stratégique ? L’approche suppose une analyse des caractéristiques stratégiques de l’entreprise (proposition de valeur client, business model, axes stratégiques). Ce sont ces éléments qui seront ensuite traduits en comportements cible, chacun illustré par des situations observables pour en faire un outil opérationnel.

La diffusion de la cible n’est bien sûr pas suffisante. Dans quelque environnement que ce soit, les intéressés sont toujours les plus mal placés pour percevoir et décoder le conditionnement culturel qui pèse sur eux. La deuxième étape va donc devoir permettre à chacun de se positionner par rapport aux comportements ciblés. Positionnement par le manager, 180° (ou 360° pour les managers), mises en situation via un assessment center : différentes méthodes peuvent être mobilisées. Dans tous les cas, la mesure devra être réalisée par rapport aux situations observables de la cible.

C’est dans une troisième et ultime étape qu’il sera possible de mettre en place un plan de développement des soft skills nécessaires pour déployer les comportements requis. Chaque collaborateur ayant été positionné par rapport à la cible, ce plan de développement pourra être personnalisé en mettant l’accent pour chacun sur les écarts les plus importants. Pour transformer effectivement les comportements, les modalités de développement des soft skills retenues devront être très pragmatiques et concrètes, en s’appuyant systématiquement sur des situations vécues par les intéressés dans leur quotidien.

Des choix à faire

Certaines entreprises mènent des projets de ce type en se centrant exclusivement sur les comportements managériaux. Cette approche à double détente est pertinente si les managers concernés ont intégré certes la nécessité de transformer leurs propres comportements, mais aussi leur responsabilité directe dans le développement au quotidien des compétences comportementales de leurs collaborateurs.

Bien sûr la dimension organisationnelle devra parfois être travaillée en parallèle. À titre d’exemple, il est inutile de développer l’agilité individuelle des collaborateurs si les normes, procédures et autres contraintes organisationnelles sont fortes. Mais très souvent la transformation culturelle imposera la transformation organisationnelle, alors que l’inverse se produit rarement.

Spécialisé dans les solutions de paiement et les services financiers, Oney a connu un changement d’actionnaire majoritaire, Auchan initialement, BPCE désormais. Le projet stratégique de l’entreprise, « Oney 2024 », portait quant à lui une mutation importante de son business model. L’ensemble de ces éléments appelait des transformations d’ampleur dans les comportements mis en œuvre par les collaborateurs, en France et à l’international, tout en conservant les atouts de « la culture retail ».

Le DRH Groupe d’Oney, Théo Ahonoukoun, a apporté une réponse complète en initiant une démarche couvrant les différentes étapes. L’analyse du plan stratégique, réalisée dans le cadre d’interviews des dirigeants d’Oney, a permis de faire émerger neuf comportements requis pour sa mise en œuvre. Ce sont ensuite des groupes de collaborateurs de différents métiers et pays qui ont décliné ces comportements en situations observables caractéristiques de leur quotidien, permettant ainsi à l’entreprise de disposer d’une cible détaillée. C’est sur cette base que la DRH a ensuite pu construire et déployer d’une part le dispositif de positionnement des collaborateurs, d’autre part les modalités de développement de ces compétences comportementales.

En agissant ainsi sur les comportements, Oney a levé l’hypothèque culturelle qui pesait sur la mise en œuvre de son projet stratégique. Le déploiement de ce projet a permis par ailleurs à chacun en interne de mieux comprendre les enjeux de transformation de l’entreprise et la contribution qu’il pouvait apporter.

Cet exemple illustre que la modification en profondeur des comportements est bien un enjeu majeur pour le DRH. Il devient alors l’acteur qui facilite le déploiement effectif du projet stratégique de l’entreprise.

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