Après l’ère des « happyness officers », chargés du bonheur au travail, le temps est aujourd’hui venu de la cathédrale « compliance »….

Depuis la parution en octobre du décret d’application de la loi du 21 mars 2022 relative à la protection des lanceurs d’alerte, les procédures internes d’alertes prennent de l’ampleur, occupant l’actualité sociale des entreprises.

Et pour cause, la loi du 21 mars 2022, modifiant les dispositions de la loi « Sapin 2 » de 2016, simplifie les modalités de signalement de faits illicites, et élargit le champ des bénéficiaires du statut protecteur de lanceur d’alerte.

Le domaine de l'alerte englobe plus de faits, le texte supprimant la condition de gravité requise auparavant pour les menaces ou préjudices pour l'intérêt général, ainsi que pour les violations d'engagements internationaux, de la loi ou du règlement.

S’ajoutent également à cette liste les tentatives de dissimulation de ces violations.

Par ailleurs, dorénavant, un salarié pourra bénéficier du statut de lanceur d'alerte en signalant des faits illicites dont il n'aurait pas eu personnellement connaissance, mais qui lui auraient été rapportés.

La loi étend également le bénéfice du statut protecteur aux facilitateurs, aidant le lanceur d'alerte à signaler et divulguer des informations sur des faits illicites, ainsi qu’à ses collègues et ses proches du lanceur d'alerte (les personnes en lien avec un lanceur d'alerte et risquant de faire l'objet de représailles).

L’alerte s’étend, et avec elle, son statut protecteur.

Au-dessus du champ de l’alerte ainsi élargi, plane en effet la sanction de la nullité : tout acte considéré comme étant pris en représailles sera nul, qu’il s’agisse d’une mesure de licenciement, de mise à pied, de formation, d’affectation, de promotion, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance… Et la liste des interdits est longue.

Face à un tel gouffre, un réflexe de sidération est naturel et pardonnable.

Mais c’est sans compter sur les spécialistes de la conformité, la « compliance », qui surgissent, pour plonger le sidéré en léthargie.

A les entendre en effet le déclenchement d’une procédure d’alerte condamne à l’immobilisme : les pouvoirs de direction et de contrôle de l’employeur doivent obligatoirement s’effacer devant l’enquête pour le traitement de l’alerte.

« La procédure, toute la procédure – mais surtout – rien que la procédure » ! Voilà ce que claironnent ces marchands de peur pour condamner l’employeur à l’inaction.

La forme – la procédure elle-même – compte alors plus que le fond. A les entendre, la relation de travail, sa gestion, son exécution, ne pourraient plus se concevoir en dehors de l’alerte dès lors qu’elle est déclenchée. Tout acte pourrait en effet être frappé de nullité.

Un tel dévoiement de la « compliance », s’il s’inscrit dans l’air du temps – où la dénonciation fait naître une suspicion de culpabilité – correspond peut-être aux canons du droit coutumier de la common law dont elle est issue, qui raisonne « a posteriori ».

Il ne saurait toutefois résister au raisonnement « a priori » de notre droit écrit et des principes fondamentaux qui le fondent.

La relation de travail n’est pas suspendue par l’alerte, et les pouvoirs de direction et de contrôle de l’employeur peuvent pleinement s’exercer, à charge pour lui de démontrer que son acte est dûment justifié vient heureusement rappeler la loi.

Il ne fait aucun doute que les entreprises doivent se saisir de cette procédure d’alerte, pour lui donner un plein effet utile et redonner ainsi ses lettres de noblesse à la « compliance ». Son objet essentiel est en effet de savoir si les entreprises mettent en œuvre un dispositif efficace pour prévenir le risque d’infractions.

L’enjeu est de taille pour que cette procédure d’alerte ne devienne pas un miroir aux alouettes, une procédure séduisante mais trompeuse, tant pour les salariés que pour l’employeur, en leur faisant croire au gel de la relation de travail.

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