Cela faisait plus de 30 ans que le taux d’inflation n’avait pas dépassé 3% sur une année civile. La situation était de ce fait relativement simple à gérer pour les entreprises, en premier lieu par les DRH. Le rythme annuel des négociations sur les salaires s’y prêtait à merveille, avec un savoir-faire solide permettant au bout de compte d’adopter des décisions pertinentes et de les répartir entre augmentations individuelles et collectives.

Cinq facteurs étaient pris en compte dans ces décisions :

• Une volonté de maîtriser les coûts, enjeu plus ou moins impactant selon le poids des coûts salariaux dans l’équation économique de l’entreprise, au regard de son secteur d’activité et de son positionnement marché.

• La perception fine du climat social et sa prise en compte pour anticiper et traiter les risques de tensions au sein de l’entreprise.

• Le caractère alimentaire du salaire, imposant de veiller à ce que le pouvoir d’achat des rémunérations les plus basses ne se dégrade pas.

• Une action de recomposition des positionnements des différentes populations en fonction de leur valeur ajoutée respective pour l’entreprise, à travers l’arbitrage entre augmentations générales et augmentations individuelles, avec des marges de manœuvre limitées du fait du montant réduit de l’inflation.

• En arrière-plan, un accord souvent implicite entre les partenaires sociaux, au-delà des positions de principe affichées par les différents acteurs.

Une situation nouvelle

Depuis dix-huit mois, la situation a changé. Certes la France est moins touchée que l'ensemble des grandes économies occidentales, du fait de son mix énergétique favorable. Mais ces taux ont un impact fort sur l’équilibre économique de l’entreprise et sur le pouvoir d’achat de ses collaborateurs. Or toutes les enquêtes confirment que cette thématique du pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations.

Certains font le pari qu’en matière d’inflation, l’économie française reviendra à la situation antérieure d’ici quelques mois. Mais les prises de position divergentes des économistes à ce propos sèment le doute. L’entreprise se doit de se préparer à la situation dans laquelle cette hausse des prix aurait un caractère structurel et se prolongerait. Il lui faut structurer ce que serait alors son approche, notamment en matière de rémunération. Alors qu’elle gère depuis plusieurs décennies les conséquences de l’inflation en réajustant les salaires a posteriori, elle doit se préparer à changer de logique, en basculant sur une démarche d’anticipation, beaucoup plus offensive et dynamique.

Durant le quart de siècle où l’inflation a évolué entre 4 et 14%, les organisations ont développé un véritable savoir-faire en la matière. Même si la situation économique et sociale était alors fondamentalement différente, il sera possible de capitaliser demain sur ce savoir-faire.

Les axes à travailler

Il va tout d’abord s’agir de clarifier les fondamentaux de l’entreprise en matière de politique de rémunération : que rémunère chaque composante de son dispositif de rétribution ? Quel positionnement marché cible-t-elle ? Quelles sont les populations qui ont une valeur particulière pour elle et qu’elle doit de ce fait traiter différemment ?

La nécessité de réponses claires à ces questions apparaît évidente. Les entreprises où elles sont absentes sont pourtant nombreuses. Or si ce flou a peu de conséquences en cas d’inflation faible, elles sont considérables lorsqu’une inflation élevée impose une gestion dynamique des rémunérations.

La DRH va devoir structurer l’information dont elle dispose. Lorsque l’inflation dépasse un certain niveau, il n’est plus possible de se limiter à un seul chiffre globalisant, de plus connu seulement a posteriori. C’est bien l’évolution passée et à venir du pouvoir d’achat de ses collaborateurs que l’entreprise va devoir analyser. Or la structuration de celui-ci est bien sûr différente selon les populations. L’information permettant d’appréhender son évolution doit donc être différenciée.

Un tel contexte pousse les entreprises qui ne l’ont pas encore fait à organiser leur contrôle de gestion social. La coordination entre DRH et DAF devient par ailleurs essentielle.

Pour ce qui est des décisions en matière d’évolution des rémunérations, le caractère alimentaire du salaire devra bien sûr être d’autant plus pris en compte que l’inflation sera élevée, avec un équilibre modifié entre des augmentations générales renforcées et les augmentations individuelles.

Pour autant, une situation d’inflation élevée peut aussi constituer une véritable opportunité pour faire évoluer de façon significative les positionnements respectifs des rémunérations des différentes catégories : modification de la hiérarchie des métiers, réallocation de moyens vers des métiers pénuriques, différenciation plus poussée en fonction des expertises ou du talent, etc. Sous réserve, là aussi, que l’entreprise ait au préalable penser et structurer ces choix à partir de ses enjeux stratégiques.

Gérer les acteurs

Plus que jamais, cette situation va supposer de faire preuve de pédagogie dans la communication auprès des collaborateurs, avec un rôle majeur à jouer par le management de proximité. Les entreprises dans lesquelles celui-ci assume pleinement son rôle de communication et d’explication sur ces sujets sont les mieux préparées à affronter cette nouvelle situation.

La DRH devra également veiller à alimenter le dialogue avec les partenaires sociaux pour prévenir les éventuelles incompréhensions et les tensions qui en résulteraient.

Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres en RH, anticiper permet à l’entreprise d’éviter de décider sous pression. A fortiori sur des enjeux cruciaux à la fois pour son équilibre économique et pour son climat social.

Il est facile de s’en tenir à l’affirmation selon laquelle il nous faut éviter de créer une spirale inflationniste en mettant en place une boucle salaire-prix (spirale dont le caractère systématique est d’ailleurs contesté par de nombreuses études). Mais ce qui est vrai au niveau macro-économique n’est pas toujours possible socialement au niveau d’une entreprise, ni même souhaitable sur le plan de l’engagement des collaborateurs.

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