La cohérence entre les discours et les actes : l’un des fondamentaux du management [1]

Dans contexte de grande incertitude comme celle que nous vivons actuellement, les responsables d’entreprises, et les DRH en particulier peuvent se sentir démunis pour remobiliser des collaborateurs désorientés dans un telle situation. Il existe pourtant un levier formidable et relativement simple de remobilisation des personnes à mettre en œuvre par les managers à tous les niveaux de l’entreprise : assurer la cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.

Or cette cohérence est plus rarement observée dans les entreprises comme le soulignait déjà un livre remarqué il y a plus de 20 ans [2] : des discours mais beaucoup moins de réalités concrètes ! Et cette perception de l’écart s’accroît à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie et que la taille de l’entreprise s’accroît expliquant, en partie, la désaffection actuelle des jeunes qui ne sont que 13 % à vouloir rejoindre une entreprise du CAC 40 contre 39% pour une entreprise locale, 26 % une start-up et 25 % une entreprise de l’économie sociale et solidaire [3] . C’est également sans doute par la perception d’un trop grand écart entre le discours des entreprises et leurs actes vis-à-vis de l’urgence climatique que l’on peut comprendre le mouvement récent de contestation des diplômé(e)s lors de cérémonies de remise des diplômes en mai et juin 2022 dans certaines grandes écoles d’ingénieurs et de gestion [4] .

Les raisons qui expliquent cet écart dans les entreprises, comme dans la sphère politique, sont multiples mais trois d’entre elles semblent plus prégnantes : (1) une ambition affichée par les responsables sans s’être assurés des moyens et des ressources disponibles, (2) des contraintes internes et externes non réellement prises en compte lorsque des objectifs à atteindre sont décidés, et (3) la volonté de satisfaire les attentes multiples des parties prenantes sans réelle hiérarchisation des priorités... et on pourrait continuer cette liste en évoquant l’impact des jeux politiques ou des facteurs plus personnels.

Il n’y a cependant pas de fatalité dans ce constat. A l’heure des réseaux sociaux où les entreprises sont évaluées en permanence, il devient urgent pour les managers d’assurer la meilleure cohérence possible entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font car celle-ci représente un socle fondateur de la confiance [5] dont nous avons tous besoin en ces temps de forte incertitude. Quelques pistes sont maintenant proposées pour permettre aux managers de renforcer la cohérence entre discours et actes dans l’exercice de leur difficile mission d’encadrement :

  • · Avoir une ambition inspirante pour soi-même et son équipe mais toujours réaliste ;
  • · Réduire autant que possible les injonctions contradictoires inhérentes à toute forme de responsabilité managériale ;
  • · Définir des objectifs pour son entité/équipe dans une démarche d’intelligence collective avec la participation du plus grand nombre de personnes ;
  • · Démontrer dans les petits actes au quotidien la réalité tangible du discours tenu ;
  • · Accepter de recevoir un feed-back par son(ses) manager(s), ses pairs et ses collaborateurs sur le degré de cohérence entre son discours et ses actes (approche 360°) ;
  • · Avoir le courage managérial de remettre en cause son discours ou certaines de ses propres pratiques.

La liste n’est pas évidemment pas exhaustive. A chaque manager de trouver son chemin de la cohérence, avec le soutien éventuel d’un(e) DRH ou d’un(e) coach, en commençant bien sûr par l’équipe dirigeante. C’est dans cette perspective que nous proposons maintenant une analyse de l’altruisme en entreprise comme une illustration de la cohérence entre le discours et les actes.

Playdoyer pour un altruisme raisonné : donner ? oui, mais pas trop

Ce sous-titre, qui reprend celui d’un des livres récents du célèbre moine bouddhiste Matthieu Ricard [6] , met l’accent sur l’intérêt pour les responsables, et en particulier les DRH, de s’intéresser à la question du don, l’un des signes les plus visibles de l’altruisme, comme l’une des compétences clés à développer en entreprise dans un contexte de post pandémie. Sur ce thème, le livre de Adam Grant « Give and Take » [7] est particulièrement éclairant car il identifie trois types de profils d’individus dans la vie courante et, en particulier, en entreprise : les « givers », les « takers » et les « matchers ».

- Les « Givers » (donneurs) cherchent à enrichir la vie des personnes avec lesquelles ils/elles interagissent. Ils/elles mettent l’accent avant tout sur l’intérêt des autres en les aidant y compris matériellement, les conseillant, voire en prenant des risques personnels et/ou professionnels pour eux.

- Les « Takers » (preneurs) aiment recevoir plus qu’ils/elles ne donnent. Ils/elles mettent leurs propres intérêts au-dessus des besoins des autres en tirant à leur profit les bénéfices de la situation. Les preneurs voient le monde comme une arène où la compétition règne en maître.

- Les « Matchers » (équilibristes) sont dans un rapport de réciprocité et d’équilibre. Ils/elles ne donneront que s’ils/elles reçoivent en échange dans une logique de don/contre-don chère à Marcel Mauss [8] . La question de la contrepartie est ici essentielle. Les équilibristes peuvent entrer en conflit, notamment avec les preneurs, si la réciprocité n’est pas au rendez-vous.

La thèse défendue par Adam Grant est celle d’un plaidoyer pour un altruisme raisonné en prenant clairement position en faveur des donneurs en entreprise, qui sont souvent entre autres parmi les meilleurs leaders et les meilleurs vendeurs, mais en nous alertant sur le fait que trop donner sans compter peut nuire à la performance et à la carrière ! Il y aurait un point maximum dans la volonté de donner et d’aider les autres, au-delà duquel les risques sont élevés pour les donneurs et particulièrement en entreprise surtout si la performance est évaluée beaucoup plus au niveau individuel que collectif.

Ce qui est séduisant en prônant un altruisme raisonné en entreprise par une formation des individus, surtout les managers, à l’adoption de comportements de donneurs c’est la capacité pour l’entreprise de développer des formes de leadership fondé sur la bienveillance et l’empathie et de renforcer la coopération si importante dans un contexte d’après pandémie comme le montre d’exemple de Sodexo France avec son programme de développement du leadership empathique et collectif [9] lancé en 2021. Mais la formation seule n’est pas suffisante pour faciliter la généralisation de comportements de donneurs au sein de l’entreprise, celle-ci doit également revisiter ses pratiques de recrutement en identifiant, par exemple, des profils plus proches de donneurs que de preneurs parmi les candidats.

C’est aussi dans le dispositif de management de la performance que l’on peut trouver l’un des leviers les plus efficaces pour inciter les individus, et particulièrement les managers, à faire preuve d’un altruisme raisonné en reconnaissant plus celles et ceux qui donnent et aident leurs collaborateurs comme le font déjà de nombreuses entreprises qui instaurent des bonus collectifs et qui mettent en avant le critère de développement des personnes et de l’équipe comme élément clé de performance du manager . Enfin, les systèmes de gestion des carrières peuvent jouer également un rôle clé pour la promotion d’un altruisme raisonné en privilégiant les profils donneurs par rapport à leurs homologues preneurs surtout si la coopération et l’intelligence collective [10] deviennent le nouvel ADN de l’entreprise

Mais cette prise de position en faveur du renforcement de la culture du don, du partage et de la coopération au sein de l’entreprise ne doit pas occulter le fait que les deux autres profils, le preneur et l’équilibriste, ont aussi leur place à la réserve près qu’ils soient aussi capables de donner lorsque la situation l’exige. Aux DRH et aux managers revient la responsabilité de la recherche d’un équilibre au sein des équipes entre « givers », « takers » et « matchers ». C’est sur cet équilibre, entre autres facteurs, qu’ils seront jugés sur la cohérence entre leurs discours et leurs actes.


[1] Cet article est une version adaptée des chroniques publiées en mai et juin 2022 par l’auteur dans l’hebdomadaire « Entreprise & Carrières ».

[2] Pfeffer J. & Sutton R.I : The knowing-doing gap : how smart companies turn knowledge into action , Harvard Business School Press, 1999.

[5] Truong, O., De Geuser, F., Wiersch, E., Besseyre des Horts, CH. & Chavanne, PM. : Le management par la confiance, Eyrolles, 2020.

[6] Ricard, M. : Plaidoyer pour l’altruisme , Presse Pocket, 2014

[7] Grant, A. : Give and Take, W&N, 2014

[8] Mauss, M. : Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques , Flammarion, Coll Champs Classiques, 2021

[9] Vincent, M. & Besseyre des Horts, CH. : « Le leadership empathique et collectif comme levier de performance et de transformation : le cas de Sodexo France », Entreprise & Carrières, n°1555, du 20 au 26 décembre 2021, p.22

[10] Du Payrat, C. : Orchestrer l’intelligence collective, Pearson, 2019

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