Le concept d’employabilité est perçu par beaucoup comme suspect. Le terme est imprécis. Il est polysémique. Son utilisation est à géométrie variable, puisque selon le type d’acteurs qui l’utilise, il porte sur des objets différents. Il existe peu d’études sur ses manifestations en entreprise.

De plus, l’organisation est parfois soupçonnée d’intentions cachées quand elle aborde cet enjeu. Sa volonté de renforcer l’employabilité viserait sans l’avouer à préparer des restructurations et licenciements futurs ou à rendre les salariés malléables à ses besoins immédiats. Dans la même logique, elle conduirait à se soumettre aux « exigences du marché de l’emploi ». Comme si dans l’équation de l’emploi, les besoins des entreprises ne constituaient pas une donnée avec laquelle chacun doit composer. Reconnaissons à décharge que cette notion a parfois effectivement été utilisée à mauvais escient.

La caractérisation de l’enjeu

Les définitions de l’employabilité sont innombrables. Nous retiendrons celle la décrivant comme la « capacité relative que possède chaque individu d’obtenir un emploi satisfaisant compte tenu de l’interaction entre ses caractéristiques propres et le marché de l’emploi. » Cette approche a pour avantage de souligner que l’employabilité dépend d’une part des caractéristiques de la personne, d’autre part des marchés de l’emploi, que ce soit en interne ou externe.

L’employabilité constituera un enjeu de plus en plus important dans les prochaines années, du fait de la rupture majeure et croissante dans la vitesse de transformation des métiers et des compétences requises. Ces mutations sont désormais continues, elles ne constituent pas une crise qui amènerait à une nouvelle période de stabilité. Chacun peut être frappé par ce phénomène d’obsolescence de ses compétences. Ce qui souligne l’importance de la capacité de l’individu à adapter ces compétences au besoin, donc celle de l’employabilité.

Hier, avoir un emploi était ce qui rendait les individus employables. Désormais, dans un contexte de chômage qui reste important, il faut être employable pour avoir un emploi et pour le conserver. Avoir un diplôme, un métier, un savoir-faire à un moment donné n’est plus une garantie pour le parcours professionnel ultérieur.

La disparition de métiers n’est pas un problème en soi si les personnes sont facilement mobilisables sur d’autres métiers, donc employables. Prenons le cas du remplacement des hôtesses de caisse par les bornes automatiques dans les grandes surfaces. Si l’entreprise a installé ces dispositifs uniquement pour réaliser des économies sur les coûts de personnel via des réductions d’effectifs, l’employabilité n’est pas son sujet. Mais si l’entreprise estime avoir une responsabilité sur l’emploi ou qu’elle vise une performance augmentée, l’équation est différente. Quand elle envisage par exemple de développer le service et le conseil apportés au client, qu’en est-il de la transférabilité des caissières sur ce second métier ? Comment les intéressées y ont-elles été préparées ?

Il s’agit a minima de ne pas reproduire les impasses collectives et individuelles du passé. Des métiers entiers se sont ainsi retrouvés massivement et durablement au chômage, faute pour ceux qui les occupaient d’avoir pu acquérir d’autres compétences que celles requises dans leur activité antérieure.

Pour l’entreprise, le renforcement de l’employabilité de ses collaborateurs est essentiel à plusieurs titres. Dans un environnement aussi mouvant, sa capacité à faire évoluer ses compétences est un accélérateur pour mettre en œuvre en œuvre son projet stratégique. En lui permettant d’éviter les sureffectifs dans certains métiers et les sous-effectifs dans d’autres, l’employabilité apparaît particulièrement utile quand les ressources permettant de couvrir ses besoins spécifiques sont peu abondantes à l’extérieur. L’amélioration du sentiment de sécurité de ses collaborateurs sur l’emploi peut avoir un impact sur le climat social, d’autant que la capacité d’une entreprise à créer les conditions de renouvellement des compétences des collaborateurs sera de plus en plus un levier d’engagement. Ajoutons la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de la société en la matière.

Pour le collaborateur, la gestion de son employabilité renvoie au management des risques et des opportunités concernant son emploi et son parcours. Si chacun a un enjeu de renouvellement continu de son capital compétences, le travail qu’il réalise sur cette dimension est une des clés de maîtrise de son avenir.

Pour la société dans son ensemble, la question première est celle du chômage, avec la coexistence déjà évoquée d’un chômage de masse et de pénuries de compétences.

Chez chacun de ces acteurs, quels sont le niveau de conscience et la prise en charge de l’enjeu aujourd’hui ? Le niveau d’employabilité d’une personne relève encore d’un constat posé a posteriori, elle est la conséquence observable de différents facteurs liés au passé. Comment en faire un résultat construit, en ayant identifié et déployé en amont les actions qui permettront de la maximiser ?

Le contenu de l’employabilité

Beaucoup se sont cassé les dents à tenter d’établir une liste complète, voire un modèle des éléments déterminant l’employabilité. Certains sont biographiques et factuels : l’âge, le sexe, l’état de santé, la scolarité, les expériences, les compétences, les qualifications professionnelles, la situation professionnelle, mais aussi le réseau. D’autres sont moins mesurables : le niveau de conscience de l’individu quant à ses capacités ou à son aptitude à se situer sur le marché de l’emploi tant interne qu’externe, par exemple. Ajoutons des éléments liés à la personnalité, comme la confiance en soi, la résistance ou la dimension volontaire.

L’employabilité ne renvoie pas seulement à une photographie qui capturerait les aspects biographiques. Elle relève aussi d’une dynamique, à travers la capacité de la personne à projeter ces données en opportunités professionnelles, en croisant ses projets et ses représentations avec le futur marché de l’emploi interne et externe. Ces derniers éléments renvoient plus particulièrement à la capacité individuelle à gérer son parcours. L’employabilité n’est donc pas une donnée stable, mais renvoie plutôt à un processus itératif qui se construit et se déconstruit avec le temps.

Pour être complet, il faudrait ajouter que tout ne dépend pas des caractéristiques propres de la personne. Les stéréotypes peuvent avoir un impact fort sur son employabilité. Qui oserait affirmer que dans un certain nombre d’environnements, l’âge, le genre ou l’origine ne jouent pas un rôle premier ?

Demain, les responsabilités respectives en matière d’employabilité

La puissance publique a une responsabilité dans le fait de rendre la population active plus employable, via ses politiques de l’éducation et de l’emploi. Mais à l’avenir, le premier acteur de l’employabilité d’une personne sera cette personne elle-même. Aucun autre acteur ne pourra parvenir au niveau d’attention à l’individu et à ses mécanismes que l’intéressé lui-même. De plus, le développement de l’employabilité d’une personne dépend de sa mise en mouvement sur cet enjeu et de sa motivation à s’en saisir. C’est à elle d’entretenir son capital humain. Laissons de côté les expressions du type « devenir entrepreneur de soi-même ou de sa carrière », qui n’ont pour seul effet que de décrédibiliser cette approche basée sur la responsabilité individuelle.

Œuvrer à sa propre employabilité suppose tout d’abord d’approfondir la connaissance de soi. Pour mieux gérer son capital compétences, il est indispensable de maîtriser ce qu’il intègre et en quoi il a de la valeur. Au-delà des outils classiques du type bilan de compétences, dont la limite est souvent dans le caractère descriptif, un des moyens est de se confronter au marché extérieur chaque fois que possible. La personne devra également d’être en capacité de prioriser ses moteurs individuels : sécurité, apprentissage, revenu, envie de découverte, contenu de l’activité, etc. Selon les individus et les moments de vie, cette hiérarchisation peut varier. Clarifier cette dimension permet de se préparer aux choix qui se présenteront. Le développement de son réseau interne et externe constituera un atout supplémentaire. Le collaborateur deviendra ainsi architecte de son propre parcours, en prenant la main là où il en a la possibilité, dans le cadre d’un champ de contraintes qui s’impose à lui. Il devra avoir pensé le type d’opportunité professionnelle à favoriser à travers le filtre du renforcement de son employabilité.

Pour autant, la responsabilisation du collaborateur ne se décrète pas. Il n’est pas toujours en capacité d’assumer seul cette responsabilité. C’est là que l’entreprise devra l’accompagner.

Quelle approche pour l’entreprise ?

Comment l’entreprise peut-elle mieux jouer ce rôle et travailler la sensibilisation, les caractéristiques et projets des collaborateurs au regard des besoins futurs du marché de l’emploi interne et externe ?

Le préalable est de lever une hypothèque. La dichotomie entre employabilité interne et employabilité externe, souvent présente dans les esprits mais rarement explicitée, doit être abordée ouvertement pour pouvoir être relativisée. À la question « Que ferons-nous si les salariés que nous avons rendus employables nous quittent », la réponse réside dans une autre question : « Que ferons-nous si les salariés que nous n’avons pas rendus employables restent ? » La démarche de l’entreprise doit comprendre deux volets. D’une part développer l’employabilité de ses collaborateurs, qu’elle soit interne ou externe. D’autre part mettre en place le contrat social qui leur donnera envie de rester. Cette explicitation est la condition sine qua none pour pouvoir faire de l’employabilité un objectif mobilisateur.

L’entreprise doit ensuite sensibiliser les collaborateurs sur cet enjeu. En la matière, il y a du chemin à faire : seuls 12% des actifs qui expriment une envie de changement de métier, d’entreprise ou de secteur citent comme motivation la volonté de se prémunir contre le risque de chômage et de s’adapter aux évolutions du marché du travail. Développer cette prise de conscience suppose de communiquer sur les raisons pour lesquelles cette dimension est essentielle à la fois pour les personnes et pour l’entreprise. Déployer une démarche de responsabilisation passe par le développement des compétences de gestion de carrière chez les individus en matière d’élaboration, réalisation et l’évaluation de leurs projets individualisés de développement des compétences et de parcours professionnels. Pour cela, l’entreprise pourra notamment mettre à sa disposition une démarche d’auto-questionnement sur son projet professionnel, comme l’a fait Business France.

Il s’agira ensuite de fournir aux collaborateurs les informations qui leur seront nécessaires. Elles sont de différentes natures. Les résultats de démarches systématisées de Strategic Worforce Planning fourniront des repères larges sur les métiers émergents et sur ceux pour lesquels une reconversion doit être envisagée.

Pour ce qui est de la gestion des parcours, les modèles adoptés différeront selon les entreprises. Certaines construiront et mettront à disposition des parcours types intégrant l’impératif de renforcement de l’employabilité, en laissant des marges de manœuvre importantes aux collaborateurs dans leurs choix. L’exploitation et le croisement des data disponibles en interne et en externe (expérience, localisation, souhaits exprimés, etc.) permettront à d’autres organisations de proposer des opportunités plus adaptées aux personnes que sur la base des éléments parcellaires aujourd’hui disponibles.

L’approche de l’employabilité est souvent réduite au développement des compétences, ce qui est très limitatif. Pour autant, cette dimension doit être couverte. L’entreprise devra mettre en place ce qui permettra aux collaborateurs de maîtriser les compétences nécessaires dans leurs activités futures. À l’avenir, elle devra franchir une deuxième étape en veillant à renforcer les compétences dites transversales, transférables ou génériques, utiles dans de nombreux métiers, comme par exemple la gestion de projet, le traitement des données ou la prise de décision. Elle pourra même aller plus loin en développant chez ses collaborateurs les compétences permettant de traiter des situations nouvelles : apprendre à apprendre, s'autoévaluer en situation, renforcer ses points faibles de manière autonome, etc.

Le physicien Niels Bohr affirmait que « Ce qui ne se mesure pas n'existe pas. » Comment mesurer alors l’employabilité ? Dans un futur proche, certaines entreprises auront construit leur modèle qui, à partir d’algorithmes, permettra au collaborateur de disposer de son indice d’employabilité. Chacun suivra l’évolution de la valeur de cet indice, ce qui contribuera à la mise en mouvement sur sa propre employabilité. Le chiffrage à travers cet indice de l’impact de ce qui est mis en place pour développer l’employabilité contribuera à l’attractivité de l’entreprise et à la rétention.

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