Ou comment la mise en œuvre d’une solution aggrave le problème !

Il arrive parfois qu’en tentant de résoudre un problème on mette en place une solution qui finisse par aggraver le problème initial et débouche sur des résultats diamétralement opposés à ceux recherchés. Cela s’appelle l’effet Cobra.

Ce terme « effet cobra » trouve son origine dans une anecdote datant de l’époque de l’Inde coloniale.

Delhi était alors littéralement infestée de cobras et le gouvernement britannique était fortement préoccupé par la situation. Aussi, il décida de mettre en place un généreux système de primes versées aux chasseurs de cobras. A chaque cobra mort une prime était offerte !

Au début, cette stratégie fonctionna du tonnerre de Dieu et fut une pleine réussite : beaucoup de cobras furent rapidement éliminés afin d’obtenir la récompense promise. Logiquement, les cobras devinrent de moins en moins nombreux réduisant ainsi l’espoir des chasseurs d’en capturer de nouveaux et d’engranger de nouvelles primes.

C’est précisément à partir de ce moment-là que se mit en place l’effet cobra !

Les cobras étant moins nombreux, des personnes eurent la bonne idée de se mettre à élever des cobras dans le seul but de les tuer et de toucher la prime. Le gouvernement s’en rendit compte et décida, bien évidemment, de supprimer purement et simplement la prime. Les cobras ayant perdu toute leur valeur et ne rapportant plus d’argent, les éleveurs de cobras les relâchèrent alors dans la nature… Résultat : la population de cobras à Delhi se retrouva supérieure à celle de départ .

Bref, la « solution » apportée au problème – versement incitatif d’une prime – obtint des résultats contraires à ceux initialement prévus et aggrava in fine la situation.

Cette savoureuse anecdote initiale étant rappelée, sachez que les exemples plus récents pullulent et sont très nombreux ! En voici 3 autres célèbres :

· Un des exemples emblématiques français est la contribution Delalande à savoir la taxe mise en œuvre en 1987 que devaient payer les entreprises qui licenciaient des salariés de plus de 50 ans. Initialement destinée à dissuader les entreprises de licencier les seniors, cette contribution a abouti à l’effet inverse : les entreprises se sont mises à licencier les salariés qu’elles n’étaient pas sûres de vouloir garder quelques mois avant leur 50e année.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que cette taxe a constitué un véritable frein à l’emploi des seniors et a participé à la mise à l’écart durable des plus de 50 ans.

· Un autre cas connu est celui raconté par Maya Beauvallet dans son livre « Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux » sur le don de sangIl a été prouvé que le fait de rémunérer financièrement les donneurs de sang ne les encourageait pas à donner plus régulièrement mais au contraire, de manière contre-intuitive, cela les désincitait ! Les désincitaitah bon ?!? Eh bien oui…carrément !

Donner son sang relève d’une action de type altruiste ou bénévole sous-tendue par « la satisfaction de faire une bonne action » pour le plaisir de faire une bonne action. Ceux qui donnent leur sang sont ainsi animés par une motivation d’ordre intrinsèque à savoir ils tirent de cette action en elle-même une satisfaction personnelle. Rajouter une motivation extrinsèque (compensation financière par exemple) pour inciter au dong de sang ne fonctionne donc pas. « Ou est l’action morale si nous en retirons un bénéfice personnel ? » Les motivations extrinsèques affaiblissent les motivations intrinsèques. » Autrement dit, quand on aime, on ne compte pas. Et si l’on commence à compter, alors on aime moins, voire on n’aime plus du tout. »

Petite digression pour évoquer une vérité bien connue en économie : « Pay enough or don’t pay at all » à savoir » payez suffisamment ou ne payez pas du tout « . [1] De manière contre-intuitive, une incitation monétaire jugée faible est plus nuisible que ne rien donner du tout. Si le don de sang est au départ gratuit et que vous souhaitez le rémunérer alors il va falloir dépenser beaucoup pour obtenir le même résultat qu’avec un don gratuit et des incitations purement intrinsèques. «Bref , le gratuit coûte finalement très cher. »

· Enfin, un dernier cas qui m’a marquée est celui raconté, une nouvelle fois, par Maya Beauvallet. Cela se passe dans un hôpital de New York. La Direction ayant observé que certains chirurgiens avaient un un taux de mortalité des patients durant des opérations à cœur ouvert plus élevé que les autres, elle mit alors en place un système pour améliorer cet indicateur en pénalisant de manière individuelle les chirurgiens qui dépassaient un certain seuil de mortalité au bloc opératoire. Résultat de ce nouveau mode de fonctionnement : plus aucun chirurgien ne dépassa ce seuil fatidique !

Franc succès, me direz-vous ? Eh bien non. Que nenni ! Au contraire ! Les chirurgiens se sont tout simplement mis à arrêter d’opérer et tout particulièrement les cas les plus graves lorsqu’ils approchaient dangereusement du seuil repère et ce jusqu’à la fin du mois et la remise à zéro de leur compteur personnel. Résultat : les patients ne mouraient plus au bloc opératoire, mais dans leur chambre d’hôpital.

La conclusion de cet article ? C’est que la mise en œuvre de mécanismes divers et variés d’incitation peut avoir des effets contraires aux bénéfices initialement escomptés. L’être humain va certes modifier son comportement suite à la mise en place de ces dispositifs incitatifs à base d’objectifs, de primes et d’indicateurs mais pas toujours dans le sens prévu.

Loin s’en faut comme l’explique très bien Paul Valéry : » Si je me fonde sur la seule expérience et si je regarde les effets du contrôle en général, je constate que le contrôle, en toute matière, aboutit à vicier l’action, à la pervertir. Dès qu’une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle. » [2]

On ne gagne jamais à réduire les autres êtres humains à un comportement binaire…

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Références

[1] Uri Gneezy et Aldo Rustichini « Pay Enough or Don’t Pay at All », The Quarterly Journal of Economics, vol. 115, 3, 2000, p.791-810

[2] Paul Valéry, Le Bilan de l’Intelligence, Allia, 2011 (conférence de 1935)

Tags: Incitation Comportement Effet pervers