Une relaxe au pénal concernant des faits de harcèlement moral empêche-t-elle toute action prud’homale ?

M. [T] a été engagé le 26 mai 2015 en qualité d'ambulancier par la société [H].

Les 13 juillet 2016, 9 septembre 2016 et 30 septembre 2016, l'employeur lui a notifié trois sanctions disciplinaires pour refus de procéder au nettoyage et à la désinfection des véhicules ambulanciers de l'entreprise.

Le 8 décembre 2016, il a été licencié pour faute et a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de cette mesure et de diverses demandes.

Dans un premier temps, la juridiction correctionnelle a relaxé M. [H] et Mme [S], dirigeants de la société [H], des poursuites engagées à leur encontre pour harcèlement moral au préjudice de M. [T] et d'une autre salariée, en retenant que « les différents éléments évoqués ne sont pas suffisants pour constituer des faits de harcèlement. Une partie des comportements et propos décrits ne sont pas avérés, d'autant plus que la majorité des salariés n'ont pas été entendus. D'autre part, certains comportements de l'employeur apparaissent compréhensibles au regard du contexte, et en tout état de cause relever davantage d'une mauvaise gestion du personnel ou d'un contentieux prud'homal que d'un harcèlement pénalement condamnable . »

A l’inverse, la juridiction prud’homale a ensuite jugé que le licenciement du salarié était nul en raison de faits de harcèlement moral et a condamné la société à lui payer diverses sommes, notamment à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité.

La société conteste cette décision et rappelle que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

Elle rappelle également qu’en matière de harcèlement moral, la seule différence de mécanisme probatoire devant les juridictions répressives et prud'homales n'est pas de nature à remettre en cause l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, dès lors que la qualification de harcèlement moral en matière pénale et en matière civile répond à la même définition

Par conséquent, elle considère que dans la mesure ou le juge répressif a, par jugement du 2 mai 2019 devenu irrévocable, relaxé les époux [H] des fins de poursuites de harcèlement moral au préjudice de M. [T] et Mme [F], elle ne pouvait être condamnée pour harcèlement moral par la juridiction prud’homale.

Pour mémoire, il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique n'ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, qu'en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

Par ailleurs, la caractérisation de faits de harcèlement moral en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1152-1 du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel.

Pour la cour cassation, dès lors que la cour d'appel a d'abord relevé que si le tribunal correctionnel avait, par jugement du 2 mai 2019, relaxé les employeurs des faits de harcèlement moral à l'encontre de l'intéressé, cette relaxe prononcée ne la liait pas en l'espèce, dès lors que le tribunal avait notamment jugé ne pouvoir se prononcer sur les obligations du salarié s'agissant de la désinfection et du nettoyage des véhicules de l'entreprise durant ses heures de permanence, en l'absence de production de son contrat de travail, de telle sorte qu'il ne pouvait apprécier l'absence de légitimité des sanctions prises à son encontre, alors qu'un tel élément était susceptible d'influer sur la qualification du harcèlement moral.

De même, dans la mesure où le jugement du tribunal correctionnel, qui avait retenu que certains comportements de l'employeur apparaissaient relever davantage d'une mauvaise gestion du personnel ou d'un contentieux prud'homal que d'un harcèlement pénalement condamnable, était fondé également sur le défaut d'élément intentionnel, et donc c'est à bon droit que la cour d’appel en a déduit, sans violer le principe de la contradiction, que la décision du juge pénal ne la privait pas de la possibilité de retenir des faits de harcèlement moral caractérisés par des méthodes de management inappropriées de la part de l'employeur.

Il résulte de cette décision qu’en matière de harcèlement moral, si la relaxe est uniquement fondée sur l’absence d’élément intentionnel, le juge prud’homal conserve son entier pouvoir d’appréciation sur les faits que les parties lui demande de juger.
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Cour de cassation

Chambre sociale

Audience publique du 18 janvier 2023

Pourvoi n°21-10233

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