Qui n’a pas fait l’expérience de questions décalées, déplacées voire carrément illégales en entretien ? Je pense que le pourcentage doit allègrement avoisiner les 99 % d’entre nous. Dès lors se pose la question de savoir comment réagir au mieux lorsque le cas se présente et, croyez-en mon expérience, il se présentera !

Cela se produira car tous les recruteurs ou devrais-je dire plutôt toutes les parties prenantes d’un recrutement ne sont malheureusement pas bien formées sur ce sujet. Aussi, avant de vous donner quelques conseils sur la meilleure manière de réagir, je vous propose de revenir au cadre légal.

Rappel du cadre légal

Comme toute activité professionnelle, le recrutement s’inscrit dans un cadre légal. En l’occurrence, les questions et informations que l’on peut demander à un candidat dans un processus de recrutement sont encadrées par l’article L. 1221-6 du code du travail qui s’impose aux recruteurs ou plus largement aux parties prenantes du recrutement et qui stipule :

« Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ou avec l'évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d'informations. »

En résumé, les questions posées doivent toutes avoir un lien direct et concret avec le poste à pourvoir. Et heureusement ai-je envie de rajouter ! A cela s’ajoute le fait que la loi reconnaît, à date, 25 critères de discrimination sur lesquels il est interdit aussi bien de poser des questions que de se baser pour refuser un emploi à quelqu’un mais également un service ou bien encore un logement.

Ces 25 critères sont les suivants : l’apparence physique, l’âge, l’état de santé, l’appartenance ou non à une prétendue race, l’appartenance ou non à une nation, le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, la grossesse, le handicap, l’origine, la religion, la domiciliation bancaire, les opinions politiques, les opinions philosophiques, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, les mœurs, le patronyme, les activités syndicales, le lieu de résidence, l’appartenance ou non à une ethnie, la perte d’autonomie, la capacité à s’exprimer dans une langue étrangère ou bien encore la vulnérabilité résultant de sa situation économique.

Sachez que si un candidat est délibérément écarté d’un processus de recrutement pour un motif discriminatoire, il peut attaquer le recruteur ou l’organisation en justice en saisissant le conseil de prud’hommes ou bien le tribunal correctionnel. Si le recruteur ou l’organisation ne parviennent pas à prouver que la candidature a été mise de côté pour des raisons objectives et professionnelles, ces derniers encourent 3 ans d’emprisonnement et une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros.

Exemples de questions illégales

Je vous propose un échantillon des questions illégales les plus courantes :

  • Etes-vous marié(e) ? Pacsé(e) ? Divorcé(e) ?
  • Avez-vous des enfants ? Prévoyez-vous d’en avoir ?
  • Quel(s) âge(s) ont vos enfants ?
  • Etes-vous membre d’un syndicat ?
  • Pour qui avez-vous voté à la dernière élection présidentielle ?
  • Votre nom de famille, c’est de quelle origine en fait ?
  • Vous êtes né en France ?
  • Je vois une longue pause dans votre CV : vous avez été malade ? Quelle maladie ?

Si toutes ces questions illégales sont évidentes, je tiens à souligner que d’autres questions illégales le sont beaucoup moins et ce aussi bien pour les acteurs du recrutement (cela inclut donc les managers N+1 et N+2/3) que pour les candidats.

Le cas le plus emblématique est le fameux « où habitez-vous ? ». Cette question très fréquemment et souvent innocemment posée n’est pas légale ! Il est, en effet, interdit de demander à un candidat où il réside. Ce qui importe c’est qu’il soit bien en mesure d’être présent, de manière ponctuelle, sur telle plage horaire, à tel endroit comme le demande le poste à pourvoir. Connaître son lieu de résidence n’a pas à entrer en ligne de compte.

Si un recruteur pose cette question c’est qu’il veut évaluer si le candidat n’habite pas trop loin de peur qu’il n’arrive souvent en retard ou qu’il parte plus tôt qu’un autre candidat dont le domicile est plus proche. Or il y a des salariés qui habitent à 10 minutes à pied de leur entreprise et qui sont toujours ou très souvent en retard alors que d’autres résidant à plus d’une heure de transport sont toujours à l’heure… A cela peut s’ajouter des conclusions hâtives tirées sur un lieu de résidence : quartier à la mauvaise réputation versus quartier jugé « chic »…

Comment réagir ?

Plusieurs solutions s’offrent à vous mais certaines ne vous permettront sûrement pas de décrocher le poste convoité ! Aussi c’est à vous de doser en fonction de la gravité des questions illégales posées (même si la loi met, bien évidemment, toutes les discriminations au même niveau), de leur nombre, de leur caractère intentionnel ( cf la question sur le lieu d’habitation) ou bien encore de votre envie d’obtenir le poste en question.

Concernant le dernier facteur, on peut légitimement se demander si on veut vraiment être recruté par une organisation où des questions illégales sont posées en entretien… mais les personnes qui les posent ne l’ont pas forcément fait de manière délibérée (problème de formation des différentes parties prenantes dans le recrutement ) et/ou ne représentent pas l’organisation en entier.

La stratégie à adopter dépendra également du fait que la réponse que vous allez apporter peut vous « porter préjudice » ( je précise que c’est une manière de parler) ou vous être favorable. Par exemple, à la question sur votre situation de famille, répondre que vous venez de vous marier et que vous comptez avoir des enfants dans 2/3 ans maximum est susceptible de vous porter préjudice. Là encore, ne tuez pas le messager 😉 ! Mais si vous n’avez pas d’enfants et ne souhaitez pas en avoir, alors là, répondez franco et assumez-le car cela sera perçu comme un « atout » par de nombreux recruteurs.

Recadrage plus ou moins « musclé »

En fonction des éléments évoqués ci-dessus, vous pouvez choisir de faire remarquer au recruteur que sa question est illégale et n’a pas lieu d’être et que vous n’y répondrez pas.

Vous pouvez le faire de manière véhémente : « Vous savez que cette question n'a pas lieu d'être, je n'y répondrai donc pas. Si vous avez des questions légales, j'y répondrai volontiers. » ou « Je ne souhaite pas répondre à cette question d’ordre privé » voire vous pouvez le menacer de le dénoncer au Défenseur des Droits.

Ou, seconde option, vous pouvez mettre davantage les formes en indiquant au recruteur que vous ne comprenez pas pour quelle raison il vous pose précisément cette question et que vous ne voyez pas le lien entre sa question et l'évaluation des aptitudes professionnelles pour le poste proposé.

Vous risquez cependant d’être écarté du processus de recrutement dans les deux cas.

Recours à l’humour

L’humour !! Encore et toujours ! C’est bien connu, c’est une technique imparable qui a fait ses preuves et qui permet de dédramatiser la situation, d’éviter de répondre à la question et de souligner, mine de rien, qu’on n’est pas dupe de l’illégalité de la question.

A la question, « prévoyez-vous d’avoir des enfants ? », vous pouvez ainsi répondre : « Arrêtez, j'ai l'impression d'être avec ma mère, c’est elle qui vous a demandé de me poser la question ? » suivi d’un grand éclat de rire ou bien encore « oui, c’est prévu dans 2 ans et 16 jours mais je peux le décaler si vous le souhaitez » 😉 !

Reformulation et opportunité de « rassurer » le recruteur

Enfin, la dernière option consiste à répondre de la manière la plus naturelle possible sans trop s’épancher mais en recadrant tout de suite sur le professionnel et en profitant pour « rassurer » le recruteur et lever ses éventuels freins :

  • « Je me doute que si vous me demandez si j’ai des enfants, c’est parce que ce poste nécessite beaucoup d’investissement. Je tiens à vous rassurer sur le sujet. J’ai X enfants et tel mode de garde très bien rôdé et ce depuis plusieurs années ce qui me permet de me consacrer pleinement à mon travail et à l’atteinte de mes objectifs ».
  • « Je me doute que si vous demandez où j’habite c’est parce que ce poste nécessite d’être sur site de manière stricte de telle à telle heure. Sachez que c’est une plage horaire classique pour moi qui ne me pose aucun problème et que je pourrai assurer sans difficultés ».

Vous pouvez vous dire que vous rentrez dans le jeu en répondant à une question illégale mais procéder de cette manière vous permettra de conserver vos chances de décrocher le poste tout en rassurant votre interlocuteur et en levant ses éventuels derniers freins.

Conclusion

A un moment ou à un autre, vous serez forcément confronté à une question illégale lors d’un processus de recrutement. C’est regrettable mais c’est ainsi. Dès lors, se pose la question de comment réagir.

Si vous estimez que les bornes ont été largement dépassées et que vous pouvez vous permettre de ne pas obtenir ce travail, vous pouvez faire remarquer le caractère illégal de la question à votre interlocuteur voire l’attaquer lui ou l’organisation en justice. Mais il vous faudra faire une croix sur ce poste et disposer de solides preuves !

Hormis quelques exceptions, je vous recommande plutôt d’opter pour l’humour qui permet de désamorcer de nombreuses situations ou la reformulation afin de « profiter de l’occasion » pour reprendre le lead, faire passer des messages et rassurer le recruteur.
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Références :

[1] Pour plus d’informations, je vous conseille le site A compétence égaleLes 24 Critères de Discrimination - À Compétence Égale (acompetenceegale.com)

Tags: Entretien Questions illégales Droit social