Le phénomène « d’entreprise buissonnière » (lire « La révolution du Non » Eyrolles) amorcé depuis une dizaine d’années s’accélère et prend une dimension existentielle nouvelle.

Symbole du rejet des organisations déshumanisées animées par le seul souci de reporting et de l’hyper-financiarisation, « l’entreprise buissonnière » concerne des jeunes souvent bien diplômés, en poste dans des métiers généralement intéressants et rémunérateurs. Vers l’âge de 28 ans, un déclic s’opère et ils sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir continuer dans un système dans lequel ils ne se projettent pas : manque d’exemplarité des managers, contradictions entre valeurs affichées et réalités, rigidités de fonctionnement fondé sur la défiance…

Les médias se sont emparés depuis longtemps du phénomène en mettant régulièrement en avant des changements de vie parfois radicaux, « tout plaquer pour aller au bout du monde ».

Qualifiée de générationnelle, cette réalité prend une nouvelle dimension depuis la Covid avec une remise en cause radicale des cursus scolaires et des diplômes obtenus, jetant sur l’enseignement supérieur et sur l’éducation nationale, un opprobre sans précèdent.

Depuis plus de 40 ans, l’éducation nationale s’est muée sous l’injonction des 80% d’une tranche d’âge devant être bacheliers, en véritable « Fabrique du crétin » (du nom des opus 1&2 de Jean-Paul Brighelli). Le niveau moyen a chuté de manière vertigineuse, avec aujourd’hui des jeunes lycéens qui maîtrisent 40% de mots en moins que leurs ainés au même âge en 1987. L’université en particulier et les grandes écoles composent de fait avec ce niveau relatif qui met à mal les fondamentaux.

Les filières se sont multipliées dans l’enseignement supérieur pour accueillir la masse de bachelier, diplôme qui, tout en restant un sésame, n’a plus aucune légitimité de savoirs !

Depuis 20 ans, le nombre de diplômés a explosé en France, sans pour autant que ces diplômes servent concrètement l’économie. En parallèle, les filières dites généralistes, à commencer par les écoles de commerce, sont devenues un réceptacle rassurant pour des parents qui ont des enfants qui n’ont aucune idée de ce qu’ils souhaitent faire plus tard, « fais une école de commerce, ça t’ouvrira toutes les portes plus tard ».

De plus, l’enseignement étant devenu un business à part entière, les filières longues se sont multipliées, au point d’avoir un nombre croissant de jeunes diplômés d’un Master. La banalisation du Master est évidemment rentable mais le constat est accablant sur la qualité des savoirs : manque de maîtrise de l’orthographe au point où certains pédagogues assènent que cela n’a plus vraiment d’importance à l’ère du digital, difficultés à conceptualiser et à formaliser les émotions, sentiment confus d’avoir usé les bancs d’écoles sans avoir vraiment appris quelque chose…

Le pire étant que la plupart de ces filières conditionnent leurs étudiants par la supposée valeur de leur diplôme, « vous valez tant à l’embauche ».

Cette réalité que certains pourraient trouver exagérée se retrouvent en entreprise mais aussi dans l’explosion de l’individualisme du quotidien. Une nouvelle fracture sociale due à l’éducation nationale qui milite et œuvre pour un égalitarisme populiste au détriment de la méritocratie républicaine, sépare la société avec d’un côté une partie de la population qui vit dans l’illusion du savoir et l’arrogance de surdiplômés qui au final s’interrogent sur le sens même de leur vie et de l’autre, les laisser pour contre du sans diplôme. L’égalitarisme étant un fléau qui génère brutalité, l’ignorance faisant le lit de la violence, arrogance et repli sur soi, autant de caractéristiques qui illustrent la France aujourd’hui.

Les premiers et seconds emplois de la génération Z s’apparentent à des sasses de tests pour voir « si je vaux quelque chose », « pour tester et on verra bien », « pour profiter » … L’’emploi n’est en rien une finalité mais correspond à un prolongement naturel d’apprentissages creux.

De plus en plus de jeunes, au-delà de l’entreprise buissonnière, se rendent compte de l’inadéquation entre leur formation initiale, l’univers professionnel dans lequel ils évoluent et leurs réelles aspirations. Pire parfois : ils en ont le ressenti mais ne peuvent en formuler les conséquences, « certains ont besoin à 28 ans de faire un break pour se poser et réfléchir à mon avenir ».

Le digital et son accès à toutes les connaissances n’est pas étranger au phénomène qui aboutit, au bout de 3/5 ans d’expérience professionnelle, à une remise en cause complète des choix scolaires initiaux.

28/30 ans est devenu l’âge de la reconversion professionnelle, là où il y a 20 ans, l’échéance était davantage entre 40 et 50 ans ! C’est un big bang inédit que ni les entreprises, ni les pouvoirs publics n’appréhendent à sa juste valeur.

La génération Z qui a grandi dans des schémas pensés pour elle par des babyboomers hasbeen explose, revendique le droit légitime de choisir sa vie plutôt que de la perdre.

Le spectacle des burnout, du stress, de la langue de bois, de l’hypocrisie, de la dureté des rapports humains sous couvert de QVT (Qualité de Vie au Travail) et de RSE, la pousse à prendre des décisions de vie radicale, remettant en cause non seulement la nature de leur diplôme mais aussi le sens même du formatage de la vie professionnelle fondé sur l’hyperconsommation et « la tyrannie du divertissement » (Olivier Babeau, mars 2023).

La reconversion professionnelle des jeunes développe une appétence pour « LE FAIRE » et les oriente vers des métiers souvent pratiques, voir manuels ; ces métiers mêmes que les parents voulaient éviter à leurs enfants en les mettant dans des filières scolaires longues. Or, la jeunesse dite qualifiée et diplômée en valorise le sens et l’utilité au nom du partage, du plaisir, de l’utilité ; trois notions, il faut bien l’admettre, que le monde professionnel a du mal à cultiver et à entretenir !

À l’image de « l’éloge du carburateur » de Matthew Crawfford, les voies empruntées vers ses métiers du sens posent la question fondamentale de l’orientation et la remise en cause profonde du dogme des 80% de bacheliers. Le développement de l’apprentissage va dans le bon sens, même si l’apprentissage en cursus Master n’apporte pas autant qu’un apprentissage pâtisserie ou ébénisterie et représente surtout une opportunité financière pour les employeurs.

Le recul de l’âge d’entrée dans la vie professionnelle qui en soit pose aussi un vrai problème de gestion publique à commencer sur le sujet sensible des retraites, est un totem discutable ! Pousser des jeunes vers des niveaux Masters qui ne sont pas dans les faits des étalons d’excellence comme le Bac l’était dans les années 70, n’a aucun sens. On peut se targuer d’avoir des taux de diplômés élevés et être une Nation d’ignares !

Jusqu’à preuve du contraire un diplôme n’a jamais été la garantie d’une belle personne !

Les reconversions professionnelles des jeunes prouvent leur besoin de prendre leur vie en main plutôt que de se couler dans un moule qui finira par les faire ressembler à des tartes !

Dans les années à venir, ils seront de plus en plus à changer de voie, à s’autoformer, à quitter les grandes entreprises qui ne se réinventeraient pas mais aussi à ne plus aller à l’école au profit de formations choisies et souvent digitales. L’école à oublié son rôle premier, enseigner pour permettre de se penser par soi-même, les jeunes, eux, rêvent de se mettre sur le chemin de leur vraie vie !

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