Depuis des années, le courant des RH initié par Antoine Riboud, alors patron du groupe Danone, avec son « double projet économique et social », postule que c’est en développant les personnes qui la composent que l’entreprise se développera elle-même.

Cette approche est en rupture avec l’approche utilitariste du facteur humain hélas encore présente chez de nombreux acteurs. Mais peut-elle échapper au débat public sur la croissance et sa nature ?

Inventer un nouveau modèle

Prendre position sur le projet de société à promouvoir n’est pas de notre ressort. Mais en tant que « citoyens parmi les citoyens », nous pouvons nous arrêter à deux évidences. La première renvoie au modèle de croissance actuel. Nous savons tous qu’il ne sera plus tenable très longtemps au regard des ressources finies de la planète. L’opinion publique évolue vite sur ces enjeux et les externalités négatives sont de moins en moins acceptées. Une telle externalité négative existe lorsque la production ou la consommation d'un bien ou d'un service génère des coûts sociaux ou environnementaux que la collectivité doit assumer alors qu’ils résultent de choix d’entreprises.

Deuxième évidence : que ce soit à l’échelle de la planète ou même à la seule aune des pays occidentaux, les besoins sont loin d’être assouvis pour une part significative de la population. Dans ce contexte, l’entreprise peut d’autant moins « renoncer à la croissance » que son modèle économique est construit sur cette base et que sa survie en dépend.

Ces deux constats apparaissent contradictoires. Il va pourtant bien falloir réussir à les articuler.

Une réponse possible réside dans le développement par les entreprises d’activités à impact positif pour l’Homme et la planète et dans l’effort pour faire décroitre leurs activités à impact négatif, de manière à promouvoir une croissance vertueuse. Vertueuse parce que frugale en ressources consommées. Et vertueuse parce que positive en externalités.

Ces éléments renvoient à deux dimensions. D’une part la nature de l’activité de l’entreprise, avec ce qui relève de son impact sociétal. D’autre part la façon dont elle réalise cette croissance, en capitalisant sur son potentiel humain et en lui appliquant cette notion d’externalités.

La raison d’être ? Oui, sous conditions

Dans le contexte actuel, l’entreprise va devoir tôt ou tard s’interroger sur la contribution qu’elle apporte à la Société et redéfinir sa finalité. Cela peut l’amener à formaliser sa raison d’être ou sa mission. Identité RH accompagne des entreprises sur cet enjeu et nous savons par expérience que trois conditions doivent être remplies pour que la démarche ait tout l’impact attendu.

La première est d’intégrer dès l’amont qu’il ne s’agit pas d’élaborer un slogan, mais de redéfinir l’ADN de l’entreprise pour pouvoir ensuite réorienter son activité. Certains sont devenus experts dans ce qui relève du greenwashing ou du « social washing ». Un des moyens d’éviter cet écueil est de de mener de façon large le débat dans l’entreprise pour prendre pleinement en compte ce qui en émerge. Après avoir formalisé sa mission, le groupe Labeyrie va ainsi faire travailler ses équipes sur la contribution apportée par chacune à la mise en œuvre. Les collaborateurs auront ensuite un double rôle d’acteur et de garant.

La seconde condition est d’utiliser ensuite cette raison d’être comme filtre des différentes décisions : choix stratégiques sur le scope d’activités et les priorités de développement, allocation des investissements, arbitrages du quotidien. La mission définie par l’entreprise doit en effet l’engager et la contraindre. Après avoir formalisé la sienne, « Améliorer la santé par l’alimentation », le Groupe Danone, précurseur en la matière, a cédé ses activités de brasserie et de biscuiterie et s’est développé dans l’alimentation infantile. Toute incohérence entre la mission et les choix viendra miner la crédibilité de la démarche.

Formaliser ces éléments de sens, les animer et garantir leur respect sera bien sûr source d’engagement affectif. Et c’est là qu’intervient la troisième condition. Ce lien que l’entreprise génère chez ses collaborateurs doit trouver son pendant dans la façon dont elle se comporte avec eux. La fidélité doit exister dans les deux sens. La dissymétrie dans ce domaine est sans doute une des causes de la distanciation et des stratégies de retrait du travail qui vont croissant depuis plusieurs années.

Développer le potentiel humain de l’entreprise

Ce sont également les modalités de réalisation de cette croissance qui lui donneront son caractère vertueux. Et notamment la façon dont l’entreprise gérera le facteur humain.

Il va s’agir pour elle de servir l’équation « Épanouissement au travail —> Engagement des collaborateurs —> Performance ». Ce qui suppose de mettre en place une identité employeur ou un pacte social qui non seulement sera aligné sur la stratégie mais qui fera aussi de l’entreprise un employeur de référence. Ce sont les éléments de cette identité employeur qui généreront l’engagement rationnel des collaborateurs.

L’entreprise devra également être vigilante aux externalités qu’elle génère sur cette dimension humaine, en travaillant des thématiques comme l’inclusion, la gestion de ses effectifs, l’employabilité de ses collaborateurs, leur santé physique et psychique ainsi que tous les autres enjeux qui impactent fortement son environnement, donc la Société dans son ensemble.

Dans cette optique, le double projet économique et social est plus que jamais pertinent puisqu’il est au service de cette conception vertueuse de la croissance. Ce positionnement engage. Dans le choix des entreprises à soutenir, en privilégiant celles qui avancent dans cette direction. Dans le choix des projets à mener, en servant cette transformation majeure. Dans la façon dont ils sont menés, en ayant l’obsession de leur impact sur le quotidien des collaborateurs et sur la Société.

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