Trois qualités cardinales des leaders pour 2023 et au-delà [1]

Après une année 2022, principalement marquée par la guerre en Ukraine aux conséquences multiples pour les entreprises et les individus, il est utile de s’interroger sur le type de leadership dont les entreprises auront besoin en 2023 et au-delà pour faire face aux incertitudes liées à la crise géopolitique, à la transition climatique voire au retour possible d’autres pandémies. Il n’y a évidemment pas une seule réponse possible à la question du type de leadership le plus adapté à un contexte de plus en plus imprévisible mais on peut néanmoins identifier certaines qualités des leaders qui ont fait leurs preuves dans les périodes de forte turbulence. Parmi ces qualités, trois émergent comme étant cardinales pour le renouvellement du leadership abandonnant la posture haute traditionnelle pour être beaucoup plus au service des personnes et des équipes : l’authenticité l’empathie et le discernement.

Authenticité et empathie : deux piliers d’un renouveau du leadership

La qualité de l’authenticité est de plus en plus reconnue comme étant cruciale pour les leaders face à des générations de collaborateurs, notamment les plus jeunes, qui n’acceptent plus les postures de dirigeants héritées du passé, le manque de cohérence entre les discours et les actes et la panne de sens au travail [2] . On ne naît pas leader, on le devient ! Et pour y parvenir, mieux vaut s'appuyer sur sa propre personnalité plutôt que de chercher à copier, imiter ou s'inspirer des autres. Cependant, si on se limitait à cette seule conception de l’authenticité, on pourrait affirmer que Elon Musk, le dirigeant qui vient de licencier plus de 80% du personnel de l’entreprise Twitter qu’il a rachetée fin octobre 2022 [3] , est un leader authentique car il est conforme à sa personnalité et les actes suivent ses discours !

Ce n’est pas de cette authenticité dont il est question ici mais de celle où le leader fait preuve d’humilité : c'est en étant lui-même, en affirmant sa propre « voix », qu'il lui est possible de gagner la confiance de son équipe, de cultiver avec elle des liens étroits, de développer sa force de persuasion et de donner davantage de poids à ses interventions [4] . L’authenticité s’appuie sur la conscience de soi : lorsque le leader est capable d’observer ses comportements et de comprendre comment il fonctionne, d’accepter ses vulnérabilités, il est plus à même de s’entourer des bonnes personnes, de connaître ses limites [5] .

Mais la force de l’authenticité ne peut devenir une réalité que si elle s’appuie sur une deuxième qualité qui semble indispensable pour les leaders : celle de l’empathie. Même si le Larousse définit l’empathie comme « la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent », la qualité de l’empathie pour les leaders en entreprise se fonde sur 4 dimensions dont certaines sont liées à l’authenticité : 1) valoriser l’autre : reconnaissance, écoute bienveillante, confiance, loyauté, curiosité...2) offrir une mission pertinente et inspirante et l’opportunité d’en faire partie, 3) projeter de l’optimisme de la confiance, obtenir des succès à court terme, 4) être authentique, humble et inspirant, travailler consciemment sur soi et partager ses expériences [6] . Le leadership empathique et collectif a fait l’objet d’un programme de développement des managers de Sodexo France [7] lancé en 2021 et qui s’est poursuivi en 2022 avec une extension prévue à l’international.

Des exemples de leaders ayant les qualités d’authenticité et d’empathie peuvent être identifiés à la tête d’entreprises ayant réussi des transformations majeures : par exemple, le dirigeant Indien Vineet Nayar qui a piloté le retournement de HCL Technologies entre 2005 et 2013 ou Jean-Dominique Senard qui a été le principal sponsor de la démarche de responsabilisation chez Michelin jusqu’à sa nomination en tant que Président de Renault en mai 2019. Ces deux cas emblématiques montrent que l’authenticité et l’empathie constituent deux qualités cardinales que les entreprises, à l’instar de Sodexo, devraient renforcer chez les managers au moment où les soft skills deviennent si cruciales [8] .

Le discernement : le ciment de l’édifice d’un leadership renouvelé

Défini par le Larousse comme « la faculté d'apprécier sainement les choses avec intelligence et sens critique [9] », le discernement permet de faire la part des choses et de prendre du recul par rapport à la situation et aux défis auxquels est confrontée l’entreprise. Le discernement invite à poser la question du « pour quoi ? » de tel ou tel choix [10] . Pour les managers, le renforcement de leur discernement requiert à la fois courage et confiance dans les choix qu’ils font avant de prendre une décision : courage de penser par soi-même et non plus par « corporate » interposé et confiance vis-à-vis de ce qui nait mais qui n’est pas encore reconnu par l’« intelligencia » dominante [11] .

En cultivant leur discernement pour prendre des décisions, les managers développent la qualité de leur jugement et leur capacité à faire des choix [12] :

- cohérents avec une finalité, une raison d’être, et des valeurs qui donnent un sens à la décision ;

- libres de biais inconscients – cognitifs ou émotionnels – pouvant influencer leurs perceptions ;

- éclairés, en s’appuyant sur un questionnement et sur une écoute de leur ressenti en intégrant les aspects rationnels, émotionnels et éthiques dans une relation juste avec les parties prenantes.

Mais être ici l’avocat de plus de discernement dans les entreprises ne doit pas nous conduire à sous-estimer les obstacles potentiels au développement de cette posture par les managers dont trois d’entre eux ont été identifiés dans un livre récent [13] :

- Des matrices de lectures différentes qui résultent de la variété des pratiques et des apprentissages des individus : nous devinons plus que nous n’écoutons, nous croyons entendre, et notre imagination structure notre perception ;

- Ces matrices ne sont que partiellement conscientes et maîtrisables car elles sont le fruit de notre éducation, de notre culture, des projets et des institutions dont nous avons plus ou moins intégré les traditions et les usages,

- Un aveuglement lié à la priorité donnée par chacun à son propre intérêt : notre imagination est souvent bridée parce qu’elle est au service de notre propre intérêt sans que nous en soyons toujours pleinement conscients.

Pour surmonter ces obstacles et permettre aux entreprises de développer la capacité de discernement de leurs managers, on pourra s’inspirer des trois étapes suivantes proposées par deux spécialistes : Laurent Falque et Bernard Bougon [14] :

- Formuler aussi clairement que possible le problème qui se pose aux décideurs, à en reconnaitre les enjeux et à identifier toutes les options possibles et réalistes. En se référant à sa finalité personnelle ou à la raison d’être de son organisation, il sera possible de formuler la question du choix.

- Considérer chacune des options de manière égale, apprenant ainsi à se dégager des nombreux biais qui trop souvent faussent les choix comme ceux de l’asymétrie d’informations sur les options, les prises d’intérêt de tel ou tel dans le choix d’une option ou d’une autre, et les attirances ou répulsions spontanées de certaines options.

- Impliquer les individus dans une décision collective : la délibération et la confirmation du choix. La délibération doit à la fois permettre à chacun d’exprimer sa préférence personnelle pour l’une des options en présence, et à la fois favoriser un consensus partagé. Le choix de l’option retenue pourra alors être confirmé dans la décision qui sera prise collectivement.

En définitive, développer les qualités de l’authenticité, de l’empathie et du discernement peut constituer le socle d’un programme de développement des managers que les DRH pourraient initier pour leur permettre de mieux répondre aux grandes incertitudes auxquelles ils vont devoir faire face en 2023 et au-delà.


[1] Cet article est une version adaptée de deux chroniques publiées en décembre 2022 et janvier 2023 par l’auteur dans l’hebdomadaire « Entreprise & Carrières ».

[2] Truong, O. ; Jaidi, Y. ; Storch, O. & De Geuser, F. : Panne de sens : managers pour qui, pour quoi, comment ?, Dunod, Octobre 2022.

[4] George, B. ; Sims, P. et Al : Leadership authentique, Harvard Business Review, 2020.

[5] Boudreau, D. : « Le leadership authentique :diriger et inspirer en étant soi-même », Gestion HEC Montréal, 13 janvier 2022. ( https://www.revuegestion.ca/le-leadership-authentique-diriger-et-inspirer-en-etant-soi-meme-- )

[7] Vincent M. & Besseyre des Horts, CH : « Le leadership empathique et collectif comme levier de performance et transformation : le cas de Sodexo France », Entreprise & Carrières, n°1555, du 20 au 26 décembre 2022, p.22.

[8] Lamri, J. ; Barabel, M. ; Lubart, T. ; Meier, O. : Le défi des soft skills, Dunod, juin 2022

[10] Bougon, B. : « Conduire un discernement collectif », Connexions, vol. 101, n°1, 2014, pp.31-42.

[13] Virville, M. avec Thévenet, M. et Besseyre des Horts, CH. : Ingénierie des Libertés, Vuibert, 2022. pp. 82-86.

[14] Falque, L. & Bougon, B. : Apprendre à décider, 4 ème édition, Dunod, 2020.

 

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