Lean, entreprise libérée, servant leadership, agilité, design thinking, management bienveillant, scrum, etc. En matière de RH et de management surgissent régulièrement de nouvelles notions qui font le buzz. Elles font l’objet de multiples posts, génèrent publications et conférences de qualité variable, ont leurs gourous.

L’engouement suscité peut paraître surprenant et tourner au ridicule. C’est parfois le cas avec certains dirigeants d’entreprise, qui s’emballent et ne voient plus de réponses aux problèmes qu’à travers ce filtre. L’effet de mode joue alors à plein.

Le rejet des effets de mode en RH et en management

Certes, ces approches peuvent être inadaptées et ne pas répondre aux enjeux ciblés. Leur application entraîne alors des dérives. Elle conduit notamment à occulter certaines dimensions de la problématique à traiter.

Bien sûr, la tentation naturelle pour tout acteur observant cette dynamique est de casser l’effet de mode observé et de le critiquer frontalement pour tenter d’éclairer les esprits. Cette réaction d’agacement est assez saine et utile, ne serait-ce que pour contrebalancer l’influence des gourous et marchands qui se sont engouffrés dans la brèche.

Une réponse inadaptée à une vraie question

Nous pourrions nous en tenir là. Ce serait négliger une première interrogation : pourquoi la nouvelle approche rencontre-t-elle un écho aussi important et génère-t-elle un tel emballement ?

Appuyons-nous sur un exemple. La notion d’entreprise libérée a connu à compter du milieu de la dernière décennie un engouement sans pareil. Elle a fait l’objet de milliers d’articles et de publications. Des dirigeants se sont enthousiasmés. Quelques entreprises ont mené des expériences, plus ou moins heureuses. Le modèle détaillé dans l’ouvrage ayant lancé cette dynamique décrivait le modèle d’une entreprise dirigée par un « leader libérateur », avec la suppression des fonctions support et la remise en cause des managers, en prévoyant « rééducation des salariés » et « contrôle social intériorisé ».

À partir de ces seuls attributs, il était aisé de critiquer et de déconstruire cette approche. Une autre réaction était possible. Elle partait d’une analyse : le succès rencontré par cette approche était révélateur d’un besoin, dépasser le modèle néo-taylorien encore si présent dans la culture et les modes de fonctionnement des entreprises. Le besoin étant réel, la vague autour de l’entreprise libérée offrait donc une opportunité pour analyser celui-ci et pour adopter une approche critique de déconstruction-reconstruction permettant de faire émerger un modèle alternatif.

Lorsqu’une nouvelle approche émerge, rencontre le succès et fait le buzz, il est possible de faire preuve d’esprit critique sans pour autant la rejeter d’emblée et par principe. De quoi cette mode est-elle le nom ? C’est en analysant le besoin auquel elle est supposée répondre qu’il sera possible de faire progresser la réflexion puis l’action. En traitant ensuite une seconde interrogation : la réponse émergente est-elle pertinente au regard du besoin ?

Le styliste John Galliano, surnommé « le surdoué de la mode », affirmait que « La mode est avant tout un art du changement. » La démarche envisagée ici permet d’éviter deux écueils : d’un côté adopter une approche moutonnière d’enthousiasme béat et de suivi inconditionnel. De l’autre rejeter par principe une approche émergente qui pourrait alimenter la réflexion sur le changement nécessaire dans les organisations.

En adoptant cette posture, l’effet de mode est alors utilisé comme un levier pour transformer la réalité. Le DRH qui voit dans son entreprise une nouvelle approche susciter intérêt et débat pourra ainsi en faire un levier pour mettre en évidence et pousser les transformations qui lui paraissent nécessaires.

Quatre précautions pour instrumentaliser la mode

Pour être menée à bien, cette instrumentalisation de la mode suppose plusieurs précautions. Nous ne reviendrons pas sur la première : avoir analysé au préalable le besoin de l’entreprise auquel une réponse doit être apportée.

La deuxième requiert du temps et de la curiosité. La notion à la mode n’émerge pas du néant. Autour du même enjeu, d’autres réponses ont été apportées auparavant, des travaux ont été menés, des écrits existent, des expérimentations ont eu lieu. De la même manière qu’un travail de recherche commence toujours par la réalisation d’un « état de l’art », l’entreprise va devoir s’appuyer sur ce qui a été déjà été pensé et réalisé sur l’enjeu qu’elle veut traiter. En veillant à la qualité des sources : la philosophie de comptoir et la logorrhée d’experts auto-proclamés n’ont pas la même valeur que les travaux de recherche ou les réalisations dont les résultats ont été mesurés.

La troisième précaution consiste à clarifier le contenu de la notion à la mode. Sa définition et son périmètre peuvent être à géométrie variable. Chacun y met sa sauce. Beaucoup l’utilisent en y intégrant le contenu qui les arrangent.

L’exemple de « l’expérience collaborateur » est éclairant. Certains la limitent aux impacts des processus RH sur les collaborateurs. Ils perdent ainsi tout l’intérêt de l’approche puisqu’ils conservent un prisme RH, alors que l’enjeu premier est de s’en défaire pour adopter le regard du collaborateur. Cet exemple illustre combien il est utile de définir précisément une notion émergente en caractérisant ce en quoi elle est innovante, de manière à ce qu’elle produise la transformation attendue.

Dernière précaution : ne jamais plaquer sur une entreprise une recette toute faite, même quand elle paraît séduisante. L’innovation RH faisant l’objet d’un effet de mode doit être analysée au regard des réalités de l’entreprise et être adaptée en conséquence. À quel besoin particulier de notre entreprise cette approche répond-elle ? Comment intégrer sa logique au regard de nos spécificités ? Avec quelles adaptations de ses modalités ? Faute de réaliser cet exercice, la greffe ne prendra pas et la réponse sera rejetée par cet organisme vivant qu’est le corps social de l’entreprise.

Ainsi, alors que le débat sur l’entreprise libérée était à son summum avec ses errances et ses réponses caricaturales, le groupe Michelin s’est interrogé sur l’organisation du travail de ses sites industriels. Le groupe a alors initié ses propres expérimentations avec 38 ilots de production dans 18 usines. Chacune des équipes a ainsi pu s’auto-organiser dans son travail quotidien en bénéficiant d’une très forte autonomie. Dans la préface de « Faut-il libérer l’entreprise ? », Jean-Dominique Senard, alors Président de Michelin, soulignait « les effets de cette démarche sur l’engagement des personnes et la performance des équipes. »

Tags: Mode RH Management