La vertu de la curiosité représente incontestablement, dans l’entreprise, une qualité tant utile que rare ; surtout en ces temps de désenchantement et de démotivation proclamée. Il faut dire que les réalités de l’actualité invitent souvent davantage à une prudence un peu frileuse qu’à une énergie dynamique qui nous pousse vers la confiance, la recherche et l’initiative qui les accompagne.

Une qualité « clé »

Reposant en effet sur une capacité à s’étonner encore de quelque chose, la curiosité témoigne de la jeunesse d’un esprit, de sa capacité d’adaptation, et d’une motivation de la découverte et de l’apprentissage qui permet de contrebalancer utilement la routinière urgence quotidienne ou le dogmatisme de la pensée unique. A ce titre, elle mériterait de figurer parmi les qualités « clés » – comme leur nom l’indique : celles qui « ouvrent » les autres – d’un professionnel avéré.

Néanmoins, il ne faut pas se cacher que la curiosité n’est pas toujours appréciée par les autres, notamment parce qu’elle amène tôt ou tard à poser des questions embarrassantes ou à soulever des problèmes délicats… ce que toute hiérarchie accepte en général assez mal d’intégrer dans ses perspectives. Comme le disait Henri Queuille dans une formule lapidaire : « faire de la politique, ce n’est pas résoudre les problèmes ; c’est faire taire ceux qui les posent ».

Bref, qu’elle soit qualité ou « vilain défaut », la curiosité peut en effet couvrir des champs multiples et variés. Elle fait partie de cette tendance à chercher et à connaître ce que l’on ne comprend pas ; une tendance qui habite tout homme, sauf à ce qu’il reste confiné dans l’indifférence ou le désabusement maladif.

L’homme curieux est celui qui ne néglige aucune occasion de s’instruire, sur quelque plan que ce soit. Mais il faut pour cela qu’il se sente personnellement concerné par tout son environnement, intéressé par toutes les choses et les êtres qui se présentent sous son regard. Ainsi la curiosité est-elle, dans l’entreprise, un ferment de culture, de créativité et d’innovation qui pourrait et devrait être objectivement encouragée.

La curiosité : un « vilain défaut » ?

Il peut y avoir, certes, de mauvais comportements en la matière : la curiosité indiscrète est précisément celle qui vise ce qui ne nous regarde pas professionnellement. Elle est souvent motivée par l’envie ou la jalousie. Elle conduit alors à des pratiques néfastes, voire au petit jeu des calomnies et de la délation, ce qui mérite les plus vives réactions. Mais la mauvaise curiosité peut aussi trouver son mobile dans la jouissance ou le pouvoir que peut conférer la possession exclusive d’une information importante, ou par un voyeurisme qui reste stérile dans ses effets sur notre développement personnel. Comme disait La Rochefoucauld: « Il y a deux sortes de curiosité : l’une d’intérêt, qui nous porte à désirer apprendre ce qui peut nous être utile ; l’autre d’orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent. » Nous n’insisterons pas sur les problèmes que peut poser la rétention du savoir, qui, là encore, ne semble correspondre qu’à un intérêt très pratique, de se montrer indispensable par exemple, ou de garder l’ascendant sur « ceux qui ne savent pas ».

Ainsi, la curiosité est un sentiment complexe, qui recouvre en fait – quelle que soit la direction qu’elle emprunte – plusieurs mouvements : l’attention, le désir et la passion du savoir.

L’attention

L’attention rejoint d’une certaine manière la notion de soin, de préoccupation. Elle établit une relation aux objets et aux personnes qui semble préalable et nécessaire pour éveiller le désir de connaitre. On pourrait presque dire que quelque chose n’existe « pour nous » qu’à partir du moment où on y prête attention et qu’on peut ainsi lui donner un sens. C’est une disposition de l’esprit qui s’ouvre sur l’extérieur de soi-même : elle est naturelle, mais aussi enrichie par l’éducation et la formation. Elle vaut tout autant pour des problématiques de métiers que de management.

Le désir

Le désir de connaitre naît du même mouvement, si l’on peut dire, que cette attention portée hors de soi. Savoir : cette question anime toute existence, et Aristote proclamait déjà que « tous les hommes désirent naturellement savoir ». Au sein de tout homme réside donc une demande de savoir, d’apprendre, de donner signification et sens, demande d’entendre du sens, de chercher la vérité, ce qui est nécessaire pour vivre. Il faut se souvenir que « savoir » vient de sapere, qui signifie « ce qui a de la saveur », ce qui donne du sel à l’existence ! On parle d’ailleurs de soif de savoir ou d’appétit à connaître. Comme disait Hyacinthe Dubreuil : « Lorsqu’un collaborateur est mis en position d’exercer son activité sans que son intelligence soit amenée à s’associer à ses actes, cette intelligence a faim ». Il faudrait que les managers tirent toutes les conséquences de cette réalité, dans leurs pratiques de motivation !

La passion

Le troisième terme est la passion du savoir. Le problème se pose : le savoir, en tant qu’acquis, peut-il être en lui-même objet de passion, ou bien ce dernier mot désigne-t-il plutôt là l’amour de la découverte de l’inconnu, du nouveau ? Le savoir correspond en effet à la capitalisation, dans la mémoire, d’un ensemble de connaissances organisées ; mais il semble évident qu’il ne revêt pas toujours un aspect passionnel, selon les motivations qui l’accompagnent. Ce sont donc plutôt les raisons qui motivent l’acquisition du savoir qui peuvent éventuellement dépasser le stade de la nécessité et faire que quelqu’un se sente personnellement concerné par ce qu’il apprend, et curieux d’apprendre plus encore.

On pourrait dire finalement que cette « passion » du savoir n’existe qu’accompagnée du désir de la faire partager et de créer ainsi chez l’autre la curiosité. Les problématiques de partage des connaissances devraient bien s’inscrire dans cet axe là pour devenir enfin effectives.

Curiosité et diversité

Pour conclure, la curiosité est évidemment articulée à la recherche et à la découverte d’un savoir nouveau, mais il ne s’agit pas d’une accumulation passive de données enregistrées que l’on peut éventuellement étaler ; il s’agit d’une connaissance vivante qui alimente de nouvelles curiosités, s’enrichit, nourrit la vie de la personne et devient source d’un partage fructifiant avec autrui. La diversité trouve sans doute là son meilleur argument !

Disons que le travail en retrouverait un peu de sens… dans les lieux où il n’est plus que course au résultat, laissant souvent l’homme affamé et desséché.

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