« Pénurie de talents » : sauf à habiter dans une grotte, vous n’avez pas pu échapper à cette expression. Or, pour moi, cette dernière est fausse. Il n’y a pas moins de candidats ou de talents, ils sont juste plus difficiles à convaincre et cela nécessite donc d’accepter et d’être prêt à changer et à adapter ses pratiques de recrutement avec, comme premier réflexe, d’accorder une importance toute particulière à l’expérience candidat.

Un autre changement structurant est la fin du modèle du « plug and play » à savoir à chaque besoin une compétence correspondante immédiatement opérationnelle et « embauchable » existe sur le marché. Cela n’est plus forcément le cas mais cela n’est pas dramatique pour autant.

Cela peut même être l’opportunité pour les organisations de découvrir ou de redécouvrir des viviers de candidats« sous-exploités » dont elles ne tirent pas suffisamment parti : leurs propres collaborateurs passés et actuels, les personnes ayant un trou dans leur CV, les seniors, les personnes en situation de handicap, en reconversion professionnelle, les « jeunes » …

Pour y parvenir et tirer le meilleur de ces différents gisements de candidats qui ne cochent « a priori » pas toutes les cases, le recrutement immersif me semble être optimal.

Force est de constater, cependant, que le recrutement immersif est peu connu voire méconnu en France et donc sous-utilisé. C’est fort dommage car il pourrait permettre aux organisations de recruter plus et mieux et tout particulièrement parmi les viviers cités précédemment constitués de candidats dont les profils peuvent, à tort, faire peur. Aussi, je vous propose un petit tour d’horizon des différents types de recrutement immersif, c’est parti !

La mise en situation « classique »

Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de mettre en situation concrète les candidats afin de voir comment ils s’en sortent. Cela s’apparente donc à une période d’essai de quelques heures plus ou moins longue selon les organisations et processus.

Par exemple, Charlotte Danzon, consultante indépendante en recrutement au Mercato de l’Emploi, expliquait dans un article d’Hellowork comment elle avait utilisé avec succès cette méthode du recrutement immersif au sein d’une entreprise vosgienne confrontée à des difficultés de recrutement.

Courant 2022, elle avait ainsi proposé à un chef d’entreprise d’organiser des visites de son usine en lieu et place des traditionnels entretiens d’embauche. « Ce sont des métiers difficiles à expliquer quand on n’est pas sur le terrain. Ce n’est pas la même chose de dire à un candidat qu’il va devoir porter 600 bobines de 2 kg par jour et de lui permettre de les soupeser pour les ranger en hauteur. »

Elle avait alors mis en place des sessions lors desquelles des groupes de maximum dix personnes venaient visiter le site, rencontrer le dirigeant, échanger avec les employés et mettre la main à la pâte : « Sur le terrain, les candidats comprennent en deux ou trois heures si le métier est fait pour eux ou pas. Ils passent 30 à 40 minutes avec une tisserande qui leur montre comment réparer les fils cassés. Ce « nœud de tisserand » est un geste précis et méticuleux, tout le monde n’en est pas capable. Discuter, visualiser, manipuler permet au candidat de se projeter ou non dans cet environnement de travail. »

À l’issue de la visite, Charlotte Danzon débriefait avec le chef d’entreprise et établissait alors avec lui la liste des personnes à contacter afin de leur proposer un essai d’un à deux jours. Si l’expérience était concluante, la personne se voyait proposer un CDI.

La PMSMP

PMSMP, quesako 😶? Qu’est-ce qui se cache derrière cet acronyme barbare ?

Il s’agit simplement d’une Période de Mise en Situation en Milieu Professionnel. Cela consiste, pour une organisation, à proposer au candidat/collaborateur pressenti de réaliser une immersion professionnelle au sein de ses locaux, comme la mise en situation évoquée précédemment, mais pour une période beaucoup plus longue d’une durée maximale d’un mois et avec des modalités précises à respecter (dispositif encadré par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale).

La PMSMP s’adresse à toute personne faisant l’objet d’un accompagnement social ou professionnel personnalisé. En d’autres termes, les personnes sans activité et en parcours d’insertion peuvent en bénéficier ( demandeurs d’emploi inscrits ou non à Pôle Emploi, jeunes en demande d’insertion suivi par les missions locales, bénéficiaires du RSA, demandeurs d’emploi reconnus comme travailleurs handicapés et accompagnés par Pôle Emploi ou des Cap Emploi) dans le cadre d’une démarche proactive ainsi que les personnes en activité engagées dans une démarches d’insertion ou de réorientation professionnelle dans le cadre d’une démarche cette fois-ci préventive.

Toute PMSMP a un objet et un seul, obligatoirement l’un des 3 suivants fixés par la loi :

  • découvrir un métier ou un secteur d’activité ;
  • ou confirmer un projet professionnel ;
  • ou initier une démarche de recrutement.

Les PMSMP permettent aux organisations de constater, de manière très factuelle, comment les candidats se comportent et se confrontent à des situations réelles. Cela permet, de plus, aux candidats de découvrir un métier ou un secteur d’activité, de mieux se projeter dans un éventuel futur emploi et de pouvoir ainsi confirmer ou infirmer un projet professionnel. C’est vraiment une démarche gagnant-gagnant pour toutes les parties prenantes.

Attention cependant à ne pas détourner l’usage de la PMSMP. Elle ne peut, en aucun cas, être mise en œuvre pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste permanent, ni pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité, ni pour occuper un emploi saisonnier, ni pour remplacer un salarié absent.

Enfin, dernier point qu’il me semble important de préciser, dans le cadre d’une PMSMP, le candidat et bénéficiaire de ce dispositif n’est pas l’employé de l’organisation d’accueil et n’est donc pas rémunéré par elle. Il conserve le statut, le régime d’indemnisation ou la rémunération dont il bénéficiait antérieurement. S’il est salarié, il retrouve son poste de travail à l’issue de la PMSMP.

La MRS

La MRS ou Méthode de Recrutement par Simulation est une méthode développée par Pôle Emploi il y a déjà plus de 15 ans mais qui souffre d’un réel déficit de notoriété.

Aujourd’hui, il est courant d’entendre parler de recrutement sans CV comme d’une technique révolutionnaire. Pourtant, cela fait de nombreuses années que Pôle Emploi propose une méthode qui fait fi de l’expérience et du niveau de diplôme du candidat. Cette méthode se fonde, en effet, sur les habiletés requises pour occuper un poste de travail.

La MRS consiste ainsi à repérer l'ensemble des habiletés nécessaires pour réaliser un travail et tenir un poste, puis à construire des exercices permettant d’évaluer ces dernières chez les candidats. Ces simulations reproduisent par analogie le poste de travail et mettent donc les candidats en situation de démontrer concrètement leur capacité à occuper un poste.

C’est une méthode de recrutement objective et équitable qui a le grand mérite de donner sa chance à tout le monde en s’appuyant non pas sur l’exercice préalable d’un emploi précis mais sur la possession d’habiletés transférables. Elle permet, en outre, d’élargir le champ des possibles aussi bien côté organisations qui s’ouvrent à des profils qu’elles n’auraient pas considérés que côté candidats qui accèdent à des métiers ou secteurs auxquels ils n’auraient pas pensé. Bien évidemment, cela n’est pas possible pour tous les postes.

L’échantillon de travail

Enfin, je finis par la mention de l’échantillon de travail à savoir demander aux candidats de produire une ou plusieurs réalisations personnelles pour attester et justifier de leur capacité à remplir une tâche et tenir un poste. Par exemple, demander à un journaliste des exemples d’articles rédigés précédemment ou demander à un chef de projet des documents anonymisées typiques de son activité (tableau de bord, CR de copil, logigrammes…).

Les principaux écueils de cette méthodologie sont la confidentialité même des données et la difficulté d’application à certains métiers. Néanmoins, comme le souligne l’étude de référence en la matière réalisée par les chercheurs Frank Schmidt et John Hunter [1], le taux de prédictibilité de réussite d’un candidat dans son poste est de 29 % pour l’échantillon de travail versus 14 % pour un entretien non structuré. La variation est donc du simple au double. Ça mérite bien de s’y intéresser un peu, non ?!?

Conclusion

Relativement peu connu et sous-utilisé en France, le recrutement immersif – que ce soit via la mise en situation « simple », la PMSMP, la MRS ou l’échantillon de travail – est pourtant une redoutable méthode pour tendre vers un recrutement le plus objectif et équitable possible et donner ainsi leur chance à un maximum de candidats.

Certes cette méthode n’est pas applicable à tous les postes mais pour ceux pour lesquels elle est pertinente, elle est véritablement gagnant-gagnant aussi bien pour les candidats qui voient s’ouvrir à eux de nouvelles perspectives que pour les organisations qui tirent bénéfice d’un plus large vivier de candidats. Elle permet, de plus, d’atténuer l’impact des biais cognitifs qui font des ravages en recrutement.

Aussi, j’appelle de mes vœux que le recrutement immersif gagne de plus en plus du terrain dans les prochaines années !
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Références

[1] Schmidt, Frank L.; Hunter, John E. (1998). The validity and utility of selection methods in personnel psychology: Practical and theoretical implications of 85 years of research findings, Psychological Bulletin, Vol 124(2), 262-274

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