« Nous naissons avec des possibles innés » Paul Valéry

Dans notre pays le travail des séniors représente une difficulté que d’autres nations ne rencontrent pas ; par exemple, dans les pays scandinaves le taux d’emploi des séniors atteint 90 % alors qu’il plafonne à 60 % en France. Chez nous, la construction de la compétence est comprise de manière « verticale », car elle se fait par l’adoption de « gestes professionnels » et la maîtrise de connaissances principalement techniques ; la logique de l’honneur [1] (le statut, le diplôme) nous enferme dans des métiers en lien avec nos formations initiales, limite le transfert d’expérience d’un secteur à l’autre et empêche la valorisation des compétences « horizontales » ou « transverses ».

Les séniors sont les victimes principales de cette situation, le gâchis est immense car leur potentiel est à la hauteur de leurs expériences ; ces personnes ont encore beaucoup à offrir. En améliorant son savoir-faire, on développe son « savoir y faire »: ces compétences relationnelles et stratégiques, horizontales ou transversales qui deviennent aujourd’hui des facteurs clés du professionnalisme.

La compétence c’est de l’expérience capitalisée 

« Le savoir n’est qu’une rumeur tant qu’il n’est pas dans le muscle » proverbe africain

La compétence c’est de l’expérience capitalisée, organisée, transformée en énergie, en potentiel d’action. En exerçant une activité, une personne va se rendre compte que son savoir-faire peut (ou pas) être adapté aux exigences de la situation, avant d’ajuster sa manière de faire. Après de nombreux essais, après plusieurs expériences, le geste professionnel devient spontané, fluide ; la conscience s’efface et l’énergie se libère. L’apparente élégance du professionnel en situation est un signe que la compétence s’est installée. Le potentiel n’est pas la compétence qui est déjà détenue, c’est l’énergie stockée par un individu à travers les acquis de son expérience ; c’est la ressource que cette énergie apporte à la personne. Comme le terreau accumulé dans le sol pendant de longues années qui apporte aux racines les ingrédients indispensables au développement naturel de l’arbre. Par exemple, quand quelqu’un dit de son ami qu’il est « plein de ressources », il fait référence à l’énergie que celui-ci a emmagasinée dans ses expériences de vie. Plus l’expérience d’une personne est grande, plus son potentiel de compétence est élevé. La validation des acquis de l’expérience (VAE) s’appuie sur ce phénomène ; Au-delà de la reconnaissance sociale, les effets bénéfiques concernent l’énergie qu’elle produit pour tous ceux qui font cet effort de capitalisation. En prenant du recul sur leurs compétences acquises, les personnes « séniors » accroissent leur confiance, aiguisent leur appétit pour évoluer et diversifier leurs activités.

Sénior ou l’âge de la maturité professionnelle

« Un jour il se retourna et comprit que son errance avait tracé un chemin »

Plutôt que démultiplier son énergie, l’individu expérimenté s’interroge et recherche des synergies pour atteindre son objectif ; il est davantage dans la stratégie, moins dans la réaction, davantage sur le jeu des forces, moins dans le rapport de force. En effet, la compétence est le produit d’un système de travail complexe où l’action conduite par une personne à partir de ses savoir-faire – compétences techniques – va être influencée par les relations que celle-ci tisse avec son environnement humain – compétences relationnelles – et va être guidée par la représentation qu’elle a des enjeux de la situation ainsi que la perception qu’elle a de ses intérêts – compétences stratégiques. L’espace dans lequel s’exerce la compétence est aussi occupé par les autres ; il faut se confronter à leurs désirs, négocier parfois avec les esprits dominants, « prendre sa place » à leur côté. En interrogeant son savoir-faire, la personne développe son intelligence des situations, son « savoir y faire », à savoir une habileté particulière pour réaliser le « geste juste » de manière spontanée car ce dernier a été assimilé après une longue expérience remplie de tâtonnements, de multiples tentatives, d’essais-erreurs.

Le développement professionnel procède d’une aptitude à se remettre en question, à apprendre ; il constitue un processus, une dynamique dans laquelle une personne s’inscrit lorsqu’elle cherche à s’améliorer. De simple exécutant plus ou moins expert, l’individu devient progressivement l’entrepreneur de lui-même. Car développer sa compétence, c’est interroger ses désirs véritables.

Voyager dans l’archipel de compétences [2]

« Tout le monde ne développe pas ses compétences de la même manière »

Chaque individu, en revisitant son parcours, en diagnostiquant ses compétences, peut les illustrer par ses expériences, ses réussites, ses difficultés ; en outre, il peut les classer dans des catégories afin de dessiner « son profil », construire « un récit », faire ressortir « son projet », et démontrer ainsi sa maturité professionnelle. Cette auto-analyse peut être complétée par un travail sur soi afin de repérer ses désirs profonds, pour hiérarchiser ses moteurs, pour identifier ses aspirations professionnelle et personnelle, pour découvrir la singularité de son profil, pour donner du sens à son expérience professionnelle. La méta-compétence désigne la capacité d’un individu à analyser sa manière de faire lorsqu’il met en œuvre un savoir-faire ; elle se développe à mesure que la capacité de réflexion de renforce. Elle consiste pour lui à adopter une attitude réflexive sur son travail, à analyser comment il s’y prend pour réaliser une activité, à prendre du recul sur ses pratiques professionnelles, aussi bien du point de vue de l’efficacité de son action que de son propre intérêt : « Se comprendre soi-même, comprendre ses leviers de motivation ». C’est une prise de recul particulière que cette « position méta », elle nécessite une hauteur de vue afin de réaliser cet aller-retour permanent entre le rôle d’acteur et celui d’observateur de son propre fonctionnement. La compétence et le potentiel sont directement liés. Quand une personne travaille dans la direction de ses désirs qui la mettent en mouvement, son énergie et sa motivation augmentent, garantissent sa compétence, l’atteinte des résultats et l’encouragent à développer encore son potentiel. La « machine à compétences » qui nous constitue va se mettre en marche dès lors qu’il y a un intérêt, pour nous et pour nous seuls. Pour beaucoup de séniors, la deuxième partie de carrière est l’occasion de rechercher le fil conducteur qui donne un sens à leur travail de manière à conjuguer le souci du travail (bien faire) et le souci de soi (bien être).

L’archipel des compétences propose une carte pour qualifier les talents singuliers et pour ouvrir des perspectives à ceux qui veulent évoluer ; c’est une table d’orientation pour se situer et s’orienter, ainsi qu’un langage indispensable pour convaincre et pour se vendre. A l’aide de cette grille d’analyse, la personne expérimentée met en perspective ses compétences souvent banalisées par la routine et découvre une autre réalité de son profil. Cet exercice vise à donner une dimension nouvelle à ses acquis et à élargir le champ de ses possibilités d’évolution. C'est une révolution RH que nous allons vivre ces prochaines années afin que la dernière partie de carrière de nos concitoyens soit vécue comme une transition douce de l'emploi à la retraite.
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[1] Philippe d’Iribarne a étudié les liens qui existent entre les modes de gestion et les cultures nationales. Il distingue les rapports sociaux dans différentes économies, constate en particulier que notre culture, la culture latine (logique de l’honneur), se transforme progressivement pour intégrer les codes et modes de fonctionnement de la culture anglo-saxonne (logique de contrat).

[2] Jean-Marie Breillot, Jouer des compétences pour évoluer et s'orienter ; Construire son parcours professionnel avec l'archipel des compétences, ESF, 2019.

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