Tout dispositif de rémunération est la résultante d’un système de contraintes dans lesquelles l’entreprise tente de trouver une voie praticable : le coût de la rémunération et des avantages sociaux, les besoins de l’employeur en termes de compétences, les attentes des collaborateurs, le marché externe qui influence ou contraint les pratiques internes.

La DRH est parfois perçue comme un juge de paix, qui appliquerait une loi universelle. Il n’en est rien. Les politiques de rémunération sont contingentes. En effet, les systèmes de rémunération sont si hétérogènes selon les entreprises que chercher la rationalité de chacun dans l’absolu ou au regard des autres est vaine. Pour sortir du relativisme et aborder les liens entre l’engagement des collaborateurs et la rémunération globale, plusieurs questions peuvent être traitées.

Comment donner du sens aux politiques de rémunération ?

Parce que l’entreprise est tournée vers l’atteinte de ses objectifs, il s’agit d’aligner le système de rémunération sur la stratégie. Ce sont ces objectifs stratégiques qui mobilisent les dirigeants, et sont supposés embarquer avec eux les managers et les collaborateurs.

Ces dix dernières années, peu d’entreprises ont modifié leur politique de rémunération. Les raisons sont évidentes : attente du retournement de la conjoncture, arbitrage plus ou moins explicite entre salaires et emploi en faveur de ce dernier, crainte parfois d’initier un chantier à risque.

Les tendances longues concernant l’évolution des rémunérations avant la phase de montée de l’inflation étaient connues : des budgets dédiés aux augmentations générales sans cesse resserrés voire supprimés, une individualisation des révisions salariales de plus en plus importante et une plus forte dispersion des augmentations au bénéfice des collaborateurs que l’entreprise veut retenir, les fameux « talents ».

Analyser ces tendances revêt un intérêt limité, sinon celui de se situer grossièrement et d’engager les NAO avec quelques points de repère. Mais pour se préparer à une épreuve sportive, il y a mieux à faire que d’analyser toutes les statistiques de ses concurrents sur la ligne de départ. Travailler sur la rémunération suppose de conduire une réflexion à la frontière de la stratégie et des RH.

Certains leviers majeurs de la stratégie (pénétration d’un marché, développement d’un produit ou préservation de la marge, par exemple) ne font l’objet d’aucune action en matière de rémunération et ne sont donc adressés par aucune composante. Des composantes rémunèrent plusieurs fois la même dimension. C’est souvent la conséquence du millefeuille de dispositions issu de l’historique des négociations et d’ajustements ponctuels. Il s’agit donc de repositionner en face de chaque objectif stratégique le levier de rémunération pertinent. Un système lisible sera plus facilement accepté et pourra alors lui-même devenir un levier de performance.

Comment la rémunération peut-elle devenir un thème de management ?

La rémunération a longtemps été un sujet tabou. Elle le demeure dans nombre d’entreprises. Accès large à l’information et nécessité de travailler sur l’engagement : tout pousse à en faire un véritable objet d’échange avec les partenaires sociaux de même qu’entre managers et collaborateurs. La prise de conscience grandit dans les grands groupes sur le sujet, mais peu d’entreprises agissent en la matière. La rémunération est un sujet absent sinon contourné. Il est même fréquent qu’aucun moment spécifique ne soit formellement prévu par l’entreprise pour que managers et collaborateurs échangent sur le sujet. Il s’agirait pourtant non seulement de traiter les aspirations, les interrogations et les inquiétudes qu’il recouvre, mais aussi d’éclairer et d’enrichir le « contrat » qui lie les salariés et leur employeur.

Or savoir aborder précisément le sujet de la rémunération est un atout pour le manager dans sa relation avec son équipe. Informé, formé et accompagné par l’équipe RH sur le sujet, il peut ainsi traiter les questions de ses collaborateurs sur l’équité interne, la compétitivité externe des salaires ou les choix structurants de l’entreprise dans le partage de la valeur ajoutée. En abordant ce sujet complexe qui l’expose à de fortes attentes, il crédibilise son rôle et illustre concrètement ce que peut être le « courage managérial ».

Une enquête du Cercle Magellan avait mis en évidence que 66% des DRH considéraient que les managers ne sont pas à l’aise pour expliquer les différentes composantes salariales à leurs équipes, près de la moitié pensant même qu’ils ne sont pas en mesure de soutenir la politique de rémunération. Pourtant à peine 42% des entreprises mettent en place des dispositifs facilitant l’appropriation par les managers de ce domaine sensible.

La thématique de la rémunération se pose tout au long du cycle de management (création du poste, recrutement, évaluation, people review, risque de départ, etc.). La première étape consiste à formaliser les rôles réciproques des managers et de la DRH. Ce qui permet de clarifier les « zones grises » : le manager peut-il évoquer la rémunération lors d’un entretien de recrutement ? Les RH ont elles un « droit de veto » sur les décisions d’augmentation ?

Que font les entreprises en pointe sur cette thématique ? Elles explicitent ce que chaque composante rémunère. Elles construisent une information ludique (MOOC, vidéo, présentation flash, forums, café d’échange, guide de la rémunération globale). Elles outillent et professionnalisent les managers pour qu’ils soient porteurs de cet élément déterminant dans le contrat qui lie les collaborateurs à l’entreprise. 

Comment faire face à l’inflation actuelle ?

Les taux d’inflation actuels ont un impact fort sur l’équilibre économique de l’entreprise et sur le pouvoir d’achat de ses collaborateurs. Or toutes les enquêtes confirment que cette thématique du pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations.

Pour autant, une situation d’inflation élevée peut aussi constituer une opportunité pour faire évoluer de façon significative les positionnements respectifs des rémunérations des différentes catégories : modification de la hiérarchie des métiers, réallocation de moyens vers des métiers pénuriques, différenciation plus poussée en fonction des expertises ou du talent, etc. Sous réserve, là aussi, que l’entreprise ait au préalable penser et structurer ces choix à partir de ses enjeux stratégiques.

Plus que jamais, cette situation va supposer de faire preuve de pédagogie dans la communication auprès des collaborateurs, avec un rôle majeur à jouer là encore par le management de proximité. Les entreprises dans lesquelles celui-ci assume pleinement son rôle de communication et d’explication sur ces sujets sont les mieux préparées à affronter cette nouvelle situation. La DRH devra également veiller à alimenter le dialogue avec les partenaires sociaux pour prévenir les éventuelles incompréhensions et les tensions qui en résulteraient.

Et à plus long terme ?

En matière de rémunération, l’entreprise s’inscrira toujours demain dans un champ de contraintes. Notons cependant qu’il sera de plus en plus inadapté de traiter les rémunérations via des grilles stabilisées puisque les compétences émergentes sont par nature hors grille.

D’autres éléments renvoient au caractère alimentaire de la rémunération. Selon l’Insee, deux millions de personnes exerçant un emploi ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. L’entreprise devra à la fois prendre en compte cette dimension pour adopter des décisions structurantes dans son positionnement en tant qu’employeur plus ou moins responsable et, bien évidemment, gérer les coûts de sa politique.

Elle aura également à intégrer ce que sont les attentes de ses collaborateurs, et notamment le besoin croissant d’équité et de transparence. Elle prendra en compte le marché externe, qui influence ou contraint les pratiques internes. Ses enjeux seront différents en fonction des populations, avec une politique qui devra être adaptée à la nécessité de s’attacher certains profils rares et pointus.

Nous l’avons vu, disposer d’une politique de rémunération choisie et non subie suppose d’avoir aligné les composantes de la rémunération sur les enjeux de l’entreprise à caractère stratégique. La politique de rémunération devra en effet être contingente et rétribuer ce qui a de la valeur pour l’entreprise, pour faire levier sur ces éléments. Elle a pour finalité de servir ses sources de création de valeur (mission et valeurs, composantes de la stratégie) ainsi que la matérialisation du modèle relationnel ciblé.

L’entreprise devra préciser quelles sont les composantes de sa rémunération et ce que rémunère chacune. Une entreprise pourra par exemple faire le choix de traiter l’enjeu de coopération en réduisant la place des augmentations individuelles. Les dispositifs de rémunération prendront dans d’autres organisations le fonctionnement en mode projet ou en matriciel et l’interdépendance des compétences. Le champ du possible est très large.

Donner du sens à la politique de rémunération suppose ensuite de la partager avec les collaborateurs. Accepter que cette politique de rémunération soit transparente n’est pas toujours simple. Certains groupes hésitent par exemple à assumer que leur structure de rémunération soit différente au sein de leurs multiples activités.

Disposer de réponses sur ce que rémunère chacune des composantes de la politique de rémunération est un atout pour communiquer efficacement. Mais l’entreprise doit aussi être claire sur l’objectif de cette communication : promouvoir une modification de cette politique, répondre à un sentiment d’absence d’équité, valoriser le niveau réel du package global ?

Dans les prochaines années, les entreprises en pointe développeront sur ce sujet une information ludique : MOOC, vidéos, présentations flash, forums, cafés d’échange, etc. L’information factuelle au travers d’un bilan social individuel restera pertinente à condition qu’elle soit portée. Envoyé au domicile du collaborateur, l’outil perd une grande partie de son l’impact. Alors que présenté au salarié par son manager, qui en explicite le contenu tout en portant la politique de rémunération de l’entreprise, il devient un outil de dialogue.

Tags: Rémunération Salaire Stratégie