Tout manager ou manager qui opère des délégations est soumis, tôt ou tard, à devoir arbitrer des conflits d’objectifs entre ses collaborateurs ; cela se ramène en général à départager deux décisions possibles, soutenues par des acteurs qui s’opposent.

L’arbitrage touche donc tout directement, au premier chef, l’orientation des décisions à prendre, et non le fait de départager deux personnes qui défendent leurs propres idées, par ailleurs certainement utiles. En effet, la justification des décisions ne repose pas sur celle d'une utilité quelconque, car la quantité de choses utiles à faire est infinie, alors que les ressources pour les faire – en temps, en argent, en matériel, en hommes… – sont finies. Il s'agit donc d'arbitrer en faveur des actions "les plus utiles", en fonction des ressources à allouer et de la mise en perspective d'un temps concret et conditionné.

Tout arbitrage se heurte ainsi à la double difficulté de l'opportunisme et du conservatisme.

  • Opportunisme, car il peut se transformer en une perpétuelle adaptation à la modification de l'environnement – selon les circonstances –, et partant à la modification constante de la mise en oeuvre des moyens et ressources.
  • Conservatisme, car le succès et la responsabilité d'une décision – et le mérite éventuel qui y est attaché et espéré – porte toujours à combattre ce qui viendrait modifier, changer, transformer la précédente.

L’arbitre est donc toujours pris dans un paradoxe : soit il fait évoluer en continu la nature même des décisions à prendre, dans une recherche indéfinie de "la bonne décision" ; soit il rigidifie le processus, et faute de n'avoir pas pris "la bonne décision", il essaie, à marche forcée, de rendre bonne la décision qu'il a prise et qui ne saurait être remise en question.

Dans les deux cas, c'est le sens même de ce qui est "le plus utile" qui se trouve perdu. Car le discernement du "plus utile" se fait au regard de l'orientation stratégique d’ensemble, et non de l'utilité opérationnelle ponctuelle, fonctionnelle, ou circonstancielle. C'est donc le sens stratégique, et non le simple concept d'utilité, qui sert de critère d'arbitrage. Cette affirmation, pour être probablement la plus connue de tous les managers et des managers, est cependant la moins appliquée.

La notion d'arbitrage repose ainsi sur la transformation d'un débat essentiellement subjectif – chacun des impétrants défendant sa propre idée, son propre projet – en un consensus éclairé par une règle objective antérieure au débat lui-même, et dont le manager est censé être le garant. Elle s'appuie donc sur un équilibre entre la subjectivité et l’objectivité. La subjectivité pousse toujours chacun à préférer spontanément son propre arbitraire à celui de la règle commune. La conscience de l'implication du « sujet » dans toute considération d’un objet ramène chaque acteur à une position rationnelle permettant une communauté d'intention, sans laquelle il n’est pas de bien commun.

En outre, l'arbitrage ne saurait reposer sur une simple comparaison quantitative (de coût ou de qualité par exemple). Ce n'est alors qu'un calcul d'intérêt descriptif, pour lequel le comptable est mieux placé que le manager. La notion d'arbitrage suppose une ambiguïté qualitative entre des grandeurs qui ne se réduisent pas à leurs mesures, et dont l’importance est patente. Le "sens", en effet, commence avec l'ambiguïté ; il n'y a point d'ambiguïté –ni par conséquent de sens différents à arbitrer – là où l'objet débattu répond à une analyse univoque. Une utilité quelconque ou une urgence ne sauraient donc constituer un critère d'arbitrage, car elles ont tendance à ramener la raison à une réflexion univoque.

En définitive, il faut concevoir l’arbitrage comme un véritable acte stratégique et non comme une réaction du supérieur hiérarchique départageant deux intérêts particuliers.

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